1863 http://1863.fr THE NEXT STATION Sun, 17 Mar 2024 00:53:40 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.5.17 “Seule la musique peut me toucher”, quand les actrices du rap luttent contre les violences sexistes et sexuelles http://1863.fr/actrices-rap-lutte-contre-vss/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=actrices-rap-lutte-contre-vss Mon, 18 Mar 2024 17:30:00 +0000 http://1863.fr/?p=7144 Voilà plusieurs années que le secteur de la culture est ébranlé par des révélations toujours plus édifiantes de cas de VSS. De nombreux dispositifs de lutte contre ces dernières, portés par ses professionnel·les, et en faveur de la féminisation de la filière voient le jour.

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Détruire le monstre. Voilà plusieurs années que le secteur de la culture est ébranlé par des révélations édifiantes de cas de viols et d’agressions sexuelles en interne. Ces déclarations mettent en lumière la persistance d’un boys club et d’une impunité. Pour autant, les lignes bougent. De nombreux dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), portés par ses professionnel·les voient le jour.

TW – Cet article fait mention à des cas de violences sexistes et sexuelles.

Mercredi 06 mars 2024, une deuxième plainte pour viol est déposée contre un artiste francophone de premier plan. Celle-ci intervient moins d’un an après les premières accusations pour ce même chef d’accusation. Plus que jamais, le message de sororité de Lola Levent, prononcé à la veille du trio de dates à l’Accor Arena de ce même artiste, résonne : « J’envoie toutes mes pensées aux voix tapies dans le silence, et aux autres rendez-nous l’argent, rendez-nous l’art, rendez-nous le temps et l’énergie, rendez-nous la vérité. » Les mots de la journaliste et co-fondatrice du label D.I.V.A rappellent la réalité d’une industrie encore traversée par de trop nombreuses violences. Quelques années auparavant, en pleine vague #MeToo, elle avait pris la parole aux côtés de nombreux·ses autres pour dénoncer la multiplicité de cas de violences sexistes et sexuelles (VSS) au sein de l’industrie musicale. 

Depuis 2018 et le mouvement de libération de la parole des femmes de la musique (porté par les hashtags #BalanceTaMajor, #BalanceTonRappeur, #MusicToo et #MeTooMusic), de nombreuses initiatives internes de lutte, prévention et protection contre les VSS ont vu le jour. Si certaines ne sont qu’à leurs premiers pas, leur création est symbole d’un renouveau et le signe d’une nécessité de prendre la problématique pleinement en charge. 

Afin de mieux saisir ces initiatives, nous avons recueilli les témoignages de la journaliste musicale Chloé Sarraméa (réalisatrice du documentaire Booska-P Que se passe-il dans la tête du rap français ?) et de deux professionnelles impliquées dans ce combat : Clara Sagot (chargée de production et responsable VSS à La Place) et Safiatou Mendy (coordinatrice du collectif Consentis).

#Je te crois : libérer la parole et visibiliser les affres du métier

La première étape, et peut-être la plus difficile, fut de libérer le récit. De témoigner, au risque de voir son récit contredit, voire pire, ignoré. La double peine. Dans le rap, des prises de paroles fondatrices ont permis de désamorcer l’omerta, notamment grâce aux enquêtes de journalistes telles que Inès Belgacem (Street Press), Caroline Varon (Street Press), Manue K (Abcdr du Son). Ces papiers pionniers suivent les travaux engagés par le collectif #MusicToo, né à la suite du témoignage de la fondatrice de Nüagency, Emily Gonneau. Publié en novembre 2019 sur son blog, elle y déclare en ces termes : « Ma colère est intacte, mais elle est d’autant plus profonde aujourd’hui devant la prise de conscience de l’ampleur du problème : c’est l’injustice de tout un système qui broie les femmes. » 

Dans la foulée, le mouvement #MusicToo (2020) a permis de pointer du doigt les dysfonctionnements de l’industrie musicale évoqués par Emily Gonneau, en relayant des récits de victimes, et en leur proposant une plateforme d’expression. S’attaquant à l’industrie musicale dans sa globalité, les militant·es de #MusicToo ont été parmi les premier·ères à apporter des chiffres et réaliser un travail d’archives sur le sujet. « Il est temps que la peur change de camp », peut-on ainsi lire dans les lignes du manifeste de l’organisation. 

« 1 femme artiste sur 3 a été agressée ou harcelée sexuellement dans l’industrie musicale en France. Et c’est aussi une réalité pour 1 femme sur 4 parmi les professionnelles de la filière. » 

– Extrait du manifeste #MusicToo (2020)

Les militant·es #MusicToo s’appuient, en partie, sur les données évocatrices de l’étude du collectif CURA sur la santé dans la musique et les pressions associées (2019). Des chiffres édifiants, qui ont toutefois permis de prendre la mesure de l’ampleur des violences et des travaux à engager. Trois ans plus tard, en 2022, CURA publiait un nouveau rapport, concentré autour de trois axes : la santé mentale, les violences sexistes et sexuelles et la précarité. Elle révèle en outre que 21% des répondantes déclarent avoir été victimes d’une agression sexuelle dans le cadre pro.

Extrait de l'enquête CURA (2022), collectif fondé en 2019 par Shkyd (beatmaker), Suzanne Combo (artiste ), Sandrine Bileci (naturopathe) et Robin Ecoeur (journaliste).
Extrait de l’enquête CURA (2022), collectif fondé en 2019 par Shkyd (beatmaker), Suzanne Combo (artiste), Sandrine Bileci (naturopathe) et Robin Ecoeur (journaliste).  

Briser l’omerta dans le milieu rap

Avec plus de 200 enquêtes recensées par #MusicToo, dont 16 focalisées sur le rap, les recherches montrent bien que les VSS ne sont pas des cas isolés, mais bien un fait holistique. Surtout, cela met en évidence que l’oppression ne se cristallise pas uniquement autour d’un genre musical, ni autour d’artistes-stars. Bien au contraire, les révélations ont mis en lumière l’existence d’un plafond de verre (intrabranche et interprofessionnel), à la faveur d’un boys club verrouillé dans chaque filière musicale (rap, classique, jazz, pop), et consolidé par leur adhésion à un modèle de fonctionnement capitaliste et mercantile.

« Nous connaissons le fonctionnement – ou plutôt le dysfonctionnement – du secteur : les disparités salariales, l’invisibilité des femmes aux postes à responsabilité, les préjugés et les non-dits qui bloquent le développement et les carrières de professionnelles pourtant compétentes et investies. Le temps est venu pour le monde de la musique de faire sa révolution égalitaire. »

– Extrait du manifeste F.E.M.M (pour Femmes Engagées des Métiers de la Musique) signée par 1200 professionnelles 

Qui plus est, très tôt dans leur carrière, les femmes de la musique sont confrontées au sexisme ordinaire, la mise en concurrence, la précarisation et la discrimination si elles sont mères. Difficile donc de briser l’omerta quand la libération de la parole se fait au risque de la carrière ou de la sécurité personnelle, le tout en considérant les probabilités que le témoignage soit invisibilisé.  “Il y a une prise de conscience générale dans le milieu, ou tout du moins une médiatisation. Sans cesse, on est alerté, et pourtant on ne voit pas les coupables tomber”, note en ces mots la reporter Chloé Sarraméa, rencontrée dans le cadre de cette enquête. Derrière cette déclaration, se trouve une question sous-jacente essentielle : comment passer des paroles aux actes ? 

Le choix de la sororité

De par son historicité, le rap, en tant qu’expression artistique, s’est originellement rangé du côté des opprimé·es. Dès le début, les acteur·ices du rap se sont emparé·es de la question pour mettre en place les premiers dispositifs de lutte, prévention et de signalement des VSS. Mentionné plus haut, le label D.I.V.A, fondé en 2019 par Lola Levent, Laetitia Muong et Cintia Ferreira Martins, naît d’abord d’une volonté de sensibiliser autour des VSS. Son ambition est alors de communiquer, dénoncer et de partager des expériences entre femmes du milieu. Devenu un projet d’accompagnement d’artistes qui s’identifient comme femmes (Lazuli, Angie, Zonmaï), D.I.V.A est la réponse par la sororité au boys club. D’autres dispositifs basés sur ce même principe, tels que Percé, Beatmak’Her, Go Go Go, Fleh, Rappeuz, Rappeuses en liberté, Wrap (Nouvelle G) ou MEWEM (et bien d’autres), voient le jour au cours des cinq dernières années. 

Leur(s) but(s) ? Féminiser le milieu, briser le continuum de la violence, imposer des terrains fertiles d’expression et d’apprentissage féminins, visibiliser et enfin accompagner les professionnelles ou artistes-femmes dans leur carrière. En parallèle, des roles models à l’image de Narjes Bahhar (Deezer), Pauline Duarte (Epic Records), Ouafae Mameche Belabbes (Faces Cachées éditions) – pour ne citer qu’elles – ouvrent la voie aux professionnelles de demain.

Du côté du public, les soirées en non-mixité pourraient, au même titre, devenir une porte d’entrée pour les femmes souhaitant participer à des concerts de rap. Un dispositif gagnant, puisque de nombreuses artistes féminines se sont également lancées grâce au regard bienveillant de leur public.

« Les espaces queer dans le rap doivent exister. Dans la scène anglaise, la question d’une scène rap queer et inclusive ne se pose même pas. La scène rap française galère à intégrer des personnalités queer, que ce soit dans l’industrie ou des artistes. C’est culturel et du à un certain retard au niveau des mentalités. » 

– Chloé Sarraméa, journaliste indépendante

Dans cette dynamique de féminisation, et encouragées par la politique de subvention du Centre National de la Musique (CNM), de plus en plus de structures reliées au rap suivent les formations dispensées par Act Right et Consentis, deux collectifs spécialisés sur les VSS en milieu festif (principalement les musiques électroniques). Lorsqu’elles interviennent, les membres de Consentis ont pour mission première de « présenter les chiffres, le cadre légal et les différentes étapes pour prendre en charge une personne autrice de VSS » nous explique Safiatou Mendy, coordinatrice du collectif. Cela passe, en outre, autour d’éléments tels que « la signalétique, la gestion des flux et la réduction des risques, notamment autour de la consommation d’alcool et de drogues qui peuvent altérer les comportements. » C’est ainsi qu’on a pu par exemple apercevoir Consentis sur un stand lors de la dernière édition du Grünt Festival, en septembre 2023.

Du côté de la lutte contre l’impunité, « il y a également des festivals qui se positionnent et qui agissent » souligne Safiatou Mendy, à l’image de Marsatac qui s’est associé à Safer. On peut également citer l’organisation du Cabaret Vert qui a fait le choix de déprogrammer le rappeur susmentionné à la suite de l’ouverture de la première enquête pour viol le visant. Les festivals ouvrent des voies en matière de lutte contre les VSS. Cependant, « il faut voir comment cela se fait, quels sont les précédents, les pressions, le temps de réaction. » 

La chute des monstres : mobiliser les labels

Si de nombreuses initiatives indépendantes et passionnées voient le jour, leur impact dans l’industrie reste encore malheureusement marginal comparé à la quantité de violences subies. Pour faire bouger les lignes, d’autres batailles restent à entreprendre. A commencer par celle au sein des géants du milieu. 

Fin 2020, Because Music remercie un directeur général adjoint. Ce dernier est licencié pour faute grave, suite à une enquête indépendante et externe qui dévoile sa participation à une ambiance “sexualisée” et “toxique” au sein du groupe. La décision du leader des labels indépendants suit celle prise par Def Jam, qui s’était également séparé de son patron, accusé de harcèlement moral et sexuel. Le label avait toutefois évoqué des “raisons personnelles » pour justifier ce départ. 

Les mesures prises par des labels et majors en faveur de la lutte contre les VSS restent très opaques, car bien souvent gardées dans la sphère interne. Mais en plus de la lutte contre les VSS, “la féminisation de l’industrie reste primordiale.” À ce titre, de premières initiatives portées par des structures fortes du paysage musical francophone sont à relever. Dans son documentaire, la journaliste Chloé Sarraméa introduit par exemple le dispositif Believe for Parity lancé par Believe. Un programme qualifié de “phare dans la tempête” à l’occasion des Assises de l’égalité femmes-hommes dans la musique du CNM. Lors de notre rencontre la journaliste note à cet effet “je n’ai pas connaissance de l’existence de dispositifs similaires ; on m’a dit que X ou Y labels proposent telle ou telle chose, mais c’est difficile à identifier.” Avec Believe for parity, le label de Denis Ladegaillerie a entrepris une démarche égalitaire passant par plusieurs étapes : “intégrer la diversité au sein du conseil d’administration et au sein du comité exécutif ; fixer des objectifs ; et mesurer les avancées.”

« Dans le rap, les places sont rares, il y a une mise en concurrence. Si on regarde l’historique de la direction générale des labels, il y a très peu de femmes à des postes élevés. »

– Chloé Sarraméa, journaliste indépendante

Reste à savoir si ce grand ménage favorise l’accès à des postes stratégiques pour les femmes, ou s’il n’est que la façade enjolivée d’un pinkwashing bienséant. “Pour cela, il faudrait des quotas, donner plus d’aides, donner des bons points aux personnes qui se comportent bien ; à l’inverse, il faudrait également pénaliser ceux qui se comportent mal”, suggère Chloé Sarraméa durant notre entretien.   

Protéger et accompagner les professionnelles du rap 

Mais, le principal chantier dans lequel le rap devrait se plonger demeure probablement la protection des professionnelles. Régisseuses, journalistes, intermittentes, stagiaires, attachées de production et freelances : toutes sont confrontées, au quotidien, à de potentielles violences liées à leur genre, et souvent aussi leur âge. 

Horaires de travail tardifs, harcèlement en ligne, tournages excentrés, environnement masculin, milieu festif ou encore isolement des professionnelles, l’industrie du rap présente ses propres spécificités et ses travailleuses doivent en être protégées. Comme le note Safiatou Mendy, « les lieux festifs sont un lieu de décharge d’émotions ». Les concerts donnent lieu à un « temps de lâcher prise » particulièrement présent en France, où règne l’idée que la fête est un « espace de transgression des mœurs et du quotidien » 

Hors ou pendant la fête, il existe des initiatives positives telles que RIDER.E ou Safer. Les protections demeurent toutefois encore trop faibles et rares, surtout lorsqu’il s’agit d’accompagner les personnes indépendantes. « Quand on est une femme en freelance dans cette industrie et qu’un client se montre abusif, tu n’as aucune cellule, aucune structure, personne à qui t’adresser pour te mettre en sécurité », note Chloé. Un constat partagé par la coordinatrice de Consentis, qui note que « dans le cadre du travail, ce qui va dépendre pour protéger ou punir un individu, c’est le statut juridique”, puisque nous ne sommes pas tous·tes encadré·es de la même manière. 

Charte de l'initiative rider·e
Charte de l’initiative rider·e

Contre cela, certaines structures salariales se sont organisées. Pour protéger ses employé·es, La Place a notamment élaboré collégialement une charte VSS interne et externe, et réalisé tout un travail de signalétique au sein de son établissement. « C’est durant la journée de formation Act Right qu’on a abordé l’idée de travailler sur une charte VHSS », précise Clara Sagot, avant d’ajouter : « On a voulu continuer sur cette lancée et avoir donc un document clair pour les salarié·es, mais aussi à destination des permanent·es, des intermittent·es, des barman·aids etc…  Quand une personne travaille à et avec La Place dans le cadre d’un contrat, elle doit s’engager à respecter les valeurs de l’organisation et de la charte VHSS.”

D’ailleurs, le groupe de travail autour des VSS du centre culturel travaille actuellement sur la rédaction d’un processus de signalement à déployer durant ses soirées. « L’idée est de ne pas avoir à gérer tout·e seul·e. », explique la chargée de production, « mais aussi d’avoir un processus clair, notamment pour le personnel de la régie, de la technique, du bar ou de la billetterie, qui peuvent être présent·e·s ponctuellement sur des dates.” Pour reprendre ses mots, il s’agit donc bien de « former des équipes et d’avoir des dispositifs concrets pour ensuite faire changer les mentalités du public ».

Vers la fin du travail gratuit ?

Les initiatives sont nombreuses, inspirantes et rassurantes pour l’avenir de la filière. Toutefois, certains points noirs persistent. À commencer par celui du travail gratuit, puisque beaucoup de ces médias, groupes de paroles sont développés en parallèle ou en addition des missions quotidiennes des professionnelles. Comme l’indique Clara Sagot, il faut « pouvoir se dégager du temps et aménager des moments de travail. » 

00:20:15 – Le documentaire « Santé mentale : dans la tête du rap français », aborde la place des femmes dans l’industrie du rap.

Aussi, les formations sont à financer et à renouveler fréquemment. C’est pourquoi, il est primordial de créer des postes spécifiques aux enjeux de lutte contre les VSS dans la filière musicale. Les personnes formées sont celles qui ont les compétences pour sensibiliser, communiquer mais aussi trouver les financements existants. Car s’il existe de nombreuses subventions institutionnelles, très peu parviennent aux oreilles du rap et sont spécifiquement construites pour la filière. 

Pour durer dans l’industrie musicale, c’est important d’être au clair avec les questions d’oppressions systémiques”, pèse Clara Sagot, avant d’ajouter en guise de conclusion : “Il faut savoir qu’elles existent pour lutter, adapter les réponses et proposer des dispositifs de protection efficaces.” Les mots de cette dernière ont une résonance singulière de par leur justesse. Car pour lutter, il faut avant tout comprendre, cibler, définir. C’est ce travail besogneux, et parfois ingrat, qu’a entrepris une partie de la nouvelle générations d’artistes et de professionnel·les dans le l’industrie du rap. La porte est enfoncée, il ne reste plus qu’à faire tomber la tour de verre. 

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kahnji : « On a fait confiance à nos souvenirs » http://1863.fr/kahnji-interview-on-a-fait-confiance-souvenirs/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=kahnji-interview-on-a-fait-confiance-souvenirs Sun, 11 Feb 2024 16:59:03 +0000 http://1863.fr/?p=7120 Si l’on pouvait composer un projet axé sur l’ambivalence de nos souvenirs ? C’est le défi relevé par le producteur kahnji.

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Et si l’on ne devait plus choisir qu’une seule identité musicale ? Si l’on pouvait composer un projet axé sur l’ambivalence de nos souvenirs ? C’est certainement le défi relevé par kahnji, producteur multi-facettes de la scène explosive strasbourgeoise, avec son projet l’été aura tout brûlé sauf la solitude. Une approche authentique et spontanée que nous avons retracée pour 1863 au travers d’un portrait de l’artiste. 

kahnji
Crédits : @antoineprett et @wwwel3n0

La visioconférence commence. Tous les trois – kahnji, Pierre et Alissa, sommes connectés depuis nos chambres par souci géographique :  l’un est à Strasbourg, l’autre est à Bruxelles et la dernière à Paris. En se lançant, on prend la température. Après tout, on découvre kahnji pour la première fois. Malgré des airs réservés, le jeune artiste n’a pourtant aucun mal à se confier. De ses débuts à son récent album, on vous en retrace les moments forts…

La genèse de l’aventure kahnji 

On en sait encore peu sur kahnji. Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut pas se laisser avoir par son nom de scène. Même s’il ne cache pas être influencé par la musique ambient asiatique, ce n’est pas de là que son nom prend ses racines : « Quand j’ai commencé à faire du son en seconde, je voulais trouver quelque chose qui reflète mes origines asiatiques, et celui-là est tombé par hasard. Au début, c’était Kaan-g. C’était la phonétique qui me plaisait. J’ai appris après coup ce que ça voulait dire », nous confiera t-il. 

Pour implanter ce nom de scène, kahnji va être partout, en créant des groupes avec ses potes ou en se représentant dans des bars. Depuis qu’il a découvert la guitare au collège, il n’y avait plus que la musique à ses yeux : « Je voulais être une rockstar », sourit-il. Petit à petit, rattrapé par une curiosité grandissante, il découvre d’autres styles qu’il s’amuse à mélanger avec ses bases de guitare : « Tout s’est mélangé à partir de 2015-2016, dès que l’électro et le rap se sont croisés. C’est devenu flou à ce moment-là car j’ai envie de devenir une rockstar, puis de devenir Avicii. Finalement, je vais devenir le premier moi. »

« À Strasbourg, on est tous différents. Il y a une grande diversité et tout le monde peut y trouver son compte. On a tous ce rapport affectif à Stras’. L’isolation nous a permis de faire quelque chose d’authentique. »

Kahnji

Strasbourg comme laboratoire d’expérimentations

En parallèle de ses expérimentations, le jeune artiste alsacien découvre SoundCloud et en fait son nouveau réseau social préféré : « Quand je l’ai découvert, je passais plus de temps dessus que sur Messenger. Puisqu’on pouvait s’écrire, c’est ainsi que j’ai connecté avec plein d’artistes à l’époque. » Ces mêmes artistes qui sont des habitants de sa ville natale, Strasbourg, et avec qui il connectera bien vite. Ce qui est marquant, c’est que ce ne sont que des noms déjà implantés dans le paysage musical actuel : SonBest, Kay The Prodigy, Jeune Austin ou encore HIBA.

À cet égard, kahnji décrypte : « Contrairement à d’autres viviers comme Lyon, pour la trap, ou le Sud, avec un rap plus électronique et ensoleillé, à Strasbourg on est tous différents. Il y a une grande diversité et tout le monde peut y trouver son compte. On a tous ce rapport affectif à Stras’. L’isolation nous a permis de faire quelque chose d’authentique. » De ces rencontres naît un projet commun avec le duo HIBA, quasi triste. Sorti en novembre 2023, nous y retrouvons les premiers jets de l’esthétique plutôt pop de kahnji. 

S’en suit, six mois plus tard, son premier projet, l’été aura tout brûlé, sauf la solitude. Il représente la première compilation de ses années d’exploration musicales. Cet album s’éloigne des bases pop empruntées par l’artiste dans ses collaborations pour basculer vers des sonorités plus expérimentales. 

« Ce que j’aime beaucoup faire dans ma musique, c’est souvent d’essayer de centrer les choses autour d’un élément en développant un thème simple en l’habillant d’éléments harmoniques sans le transformer. »

Kahnji

Une recette entre minimalisme et mélange des genres

Si pour certains, les vacances d’été riment avec amusement, pour kahnji il s’agissait plutôt de longs mois d’isolement. Se sentant obligé de passer le temps avec « des gens » sans pour autant y parvenir, il reste seul dans sa chambre. Paradoxalement, il s’agit aussi de la période où le collégien – à l’époque, est le plus libre. Loin du regard des autres, kahnji prend le temps d’explorer et d’apprendre la musique et consacre des heures à la découverte de la guitare et des logiciels de composition.

La solitude lui permet de découvrir les recoins des genres qu’il affectionne : du rock de Metallica ou AC/DC aux premiers grands noms de la scène électronique actuelle comme Sam Gellaitry ou Flume, en passant même par la musique de film. Pour condenser l’ensemble de ces inspirations, il décide de miser sur la simplicité de la forme musicale des compositions électro-minimalistes. « Ce que j’aime beaucoup faire dans ma musique, c’est souvent d’essayer de centrer les choses autour d’un élément en développant un thème simple en l’habillant d’éléments harmoniques sans le transformer », explique kahnji. 

Pour lui, partir d’un thème permet d’ouvrir un panel infini de constructions harmoniques possibles. Plus simplement, une mélodie unique peut être complétée par d’innombrables sonorités dans l’accompagnement. Par exemple, quand kahnji reçoit un acapella, il propose au moins deux versions d’instrumentales différentes : « Ça me vient des riffs iconiques du rock, comme chez AC/DC ou Metallica. Tu retiens une mélodie principale, puis une voix et une batterie qui viennent se calquer dessus. J’aime bien faire ça. »

Prenons par exemple le titre « apprends-moi le piano ». Le morceau commence par un thème mélodique qui vient se répéter deux fois et qui ne nous quittera plus. À la troisième répétition, un accord de synthétiseur s’ajoute au thème qui se répète une seconde fois. Un bref motif à la guitare électrique distordue crée une transition vers une énième répétition. Cette fois, l’ensemble des précédents éléments sont unis, mais des accords de cordes pizzicato et une ligne mélodique à la basse doublent le thème. Ce dernier sera répété une seconde fois avant de disparaître.

« C’est la première fois où je ne me suis pas posé la question [de l’identité musicale, ndlr]. Quand ça fait dix ans qu’on le fait, on l’a déjà en nous. Il faut réussir à se faire confiance, se détacher de toutes les interrogations. C’est là qu’on parvient à faire quelque chose d’authentique. »

Kahnji

Un projet sur la solitude, né de multiples collaborations

Pour intégrer ces inspirations au sein d’un projet, kahnji a fait le choix d’aller à contre-courant. Souvent, on demande aux artistes de choisir un genre musical dans lequel ils doivent évoluer pour être reconnus. Pourquoi se limiter en définissant une identité musicale lorsque celle-ci peut être plurielle ? « C’est la première fois où je ne me suis pas posé la question [de l’identité musicale, ndlr]. Quand ça fait dix ans qu’on le fait, on l’a déjà en nous. Il faut réussir à se faire confiance, se détacher de toutes les interrogations. C’est là où on parvient à faire quelque chose d’authentique. » Le projet ne se limite en rien. On vagabonde dans des sonorités rock, pop ou ambient avec cohérence.  

L’authenticité de kahnji va au-delà de sa production personnelle et se transmet jusqu’aux collaborations présentes sur l’album. De annie.adaa, mei, Tony Seng, koboi, Jorrdan, san juliet à fisherman, elles se sont avant tout créées sur le plan humain, plus que sur la direction musicale. Ces connexions se travaillent dès les premiers pas en studio : « Lorsque je travaille avec des gens, on discute pendant deux ou trois heures avant de faire de la musique. C’est une façon d’accorder les violons », nous confie-t-il. Malgré la distance, le lien unissant les artistes à leurs souvenirs d’étés solitaires a été suffisant pour créer. 

Ce travail de sincérité s’est imposé pour la pochette : « J’avais envie de faire un truc avec les câbles car je trouve ça fascinant comme ils nous relient à tout. On a tout le temps la tête dedans, on est dépendants d’eux car ils nous relient et nous déconnectent à la fois. On n’a jamais été aussi connectés mais j’ai l’impression qu’on est loin des autres. » C’est ainsi que kahnji a rencontré cherry (@aletiune) sur Twitter, qui créait des images avec des câbles. Un seul pitch fut envoyé, pour permettre de laisser libre court à la nostalgie de chacun et proposer le projet le plus authentique possible. « On a fait confiance à nos souvenirs », sourit kahnji.

Si la solitude avait une bande originale 

Ces souvenirs nostalgiques façonnent même la trame du projet. L’ensemble des titres se suivent les uns après les autres et content l’histoire d’une journée d’été. Nous commençons par la « routine matinale » où l’on va sur « l’aire de jeu », et on « apprend le piano ». Puis, lorsque « la nuit tombe même en août », on gamberge et finalement on se dit que « même les ordinateurs iront au paradis. »

« Les journées en été sont plus longues, il y a plus d’images, de tableaux, de souvenirs. C’est comme un rideau qui flotte. Des tableaux que tu vois, auxquels tu prêtes plus d’attention parce que tu as le temps. Émotionnellement, c’est une saison intéressante. Je voulais peindre des décors qui sont banals pour tous, grâce à la musique », décrit kahnji. La clé de ce fil conducteur est de permettre à tout auditeur de plonger dans sa mémoire, le temps d’une journée. En quelque sorte, c’est le dessin d’une ode à l’ennui.

Ce projet est un retour vers le passé de l’artiste. Si autrefois être seul dans sa chambre était une crainte, il s’agit aujourd’hui d’instants recherchés. “Quand tu es petit, tu as le temps de t’ennuyer. Maintenant, les responsabilités nous en éloignent”, pense kahnji. Le temps lui a permis de créer un rapport ambivalent à la solitude. Entre tendresse et mélancolie, qu’il a réussi à retranscrire dans cet album. Un sentiment universel que le compositeur a souhaité retranscrire avec le plus d’authenticité possible. 

Encore discret sur les prochains projets à venir, une chose est sûre : le live est en cours de conception et promet de mêler musique et image. Comme des chimistes, kahnji et ceux qui l’entourent travaillent méticuleusement pour extraire chaque substance des musiques qui les animent pour expérimenter la leur. Il sera curieux de voir comment tout cela continuera de grandir. 

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Zequin, Mandyspie, Gapman : les artistes à suivre en 2024 http://1863.fr/zequin-mandyspire-gapman-artistes-a-suivre-2024/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=zequin-mandyspire-gapman-artistes-a-suivre-2024 Mon, 08 Jan 2024 18:00:05 +0000 http://1863.fr/?p=7092 En 2023, nos paris ont plutôt été réussis avec les essors de Kay The Prodigy, Theodora, Sonny Rave, FEMTOGO ou encore Asinine. Si tu veux les bonnes combinaisons du loto pour cette année et gagner autant qu’en 2023, on est repartis pour un tour avec nos artistes à suivre en 2024. TH TH est un tueur…

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En 2023, nos paris ont plutôt été réussis avec les essors de Kay The Prodigy, Theodora, Sonny Rave, FEMTOGO ou encore Asinine. Si tu veux les bonnes combinaisons du loto pour cette année et gagner autant qu’en 2023, on est repartis pour un tour avec nos artistes à suivre en 2024.

Crédits photo : @killuonthecam

TH

TH est un tueur à gages et l’année qui vient de s’achever a été létale pour la concurrence. Avec un run calibré en trois opus, SI – SIGN – SIGNAL, le bondynois n’a rien laissé au hasard. Attaquant de pointe implacable, TH creuse l’écart. Avec des placements uniques et un flow dissymétrique, le prodige de Noviceland trace les contours d’un rap croisant horrorcore et trap. À l’image de son label, TH ne fait aucune concession dans ses choix esthétiques. 

Pourquoi on compte sur lui ? Avec un style affûté et désormais bien identifié, TH a le terrain libre pour se dévoiler davantage dans ses textes et faire évoluer sa recette. Un chemin qu’il a d’ores et déjà entrepris en apparaissant sur BRUT4L d’Ikaz Boi et Trix City 2 de Diddi Trix. D’autant plus que le rappeur du 93 ne semble pas avoir chômé pendant l’hiver. C’est formel, 2024 sera immatriculé E-TRAP. 

Le morceau à écouter :

Sodade

Sodade porte bien son nom. S’il vient du portugais « saudade », qui n’a pas de traduction littérale mais qui exprime un mélange de mélancolie et d’espoir, la jeune alsacienne a tout donné pour l’imager en chanson. Son premier EP Undecim est comme un plaid-chocolat chaud en hiver : réconfortant. 

Pourquoi on compte sur elle ? Sa voix, son écriture, son émotion. Tout nous séduit chez Sodade. L’alliance musicale avec le producteur kahnji nous laisse entrevoir une esthétique qu’on souhaite entendre davantage en 2024.

Le morceau à écouter :

Gapman

Tout semble avoir été déjà dit sur Gapman. Proclamé par ses pairs comme héritier de la trap, GP a su s’entourer des plus grands pour accomplir sa destinée : devenir la prochaine chèvre. L’année 2023 aura été une véritable rampe de lancement pour le lillois qui s’est notamment offert de belles collaborations avec 8ruki et Binks Beatz. Sereinement, le Gap pose les bases de son esthétique avec un premier projet très remarqué. Ses passages sur scène aux côtés de Dafliky sont dignes des traphouses les plus fiévreuses. Ceux qui savent, savent. 

Pourquoi on compte sur lui ? Après avoir déterré les 808 et sécurisé l’axe Lille-Atlanta, pas question de fuck avec le crew. Gapman doit maintenant confirmer son hégémonie sans s’enfermer dans sa recette. Une chose est sûre, les street bangers vont pleuvoir. Ici, on l’attend fort sur un premier album toujours plus insolent et novateur.

Le morceau à écouter :

LinLin

LinLin a probablement à peine dessiné les contours de ce qui arrivera pour elle en 2024. Autant à l’aise sur des ponts et refrains aériens que sur des synthés qui peuvent parfois rappeler ceux de Mike Dean, la rappeuse a su vite se démarquer avec peu de choses. Chacune de ses œuvres a été livrée avec une précision et une exigence artistique millimétrée, en témoignent son premier EP rempli d’interludes et ses deux premiers clips.

Pourquoi on compte sur elle ? Si ce premier EP conceptualise la société fictive THE ESPERS capable de lire la suite de votre avenir, ici nous mettons une pièce sur le sien, tant son charisme, son aura et ses choix de productions font d’elle déjà un personnage fascinant à suivre. 

Le morceau à écouter :

Urde

Le plat pays continue de faire des vagues dans le grand océan du rap francophone. Issu de Bruxelles, Urde possède l’aisance technique du surfeur et la fragilité du gouvernail. Pourtant, son radeau continue de voguer en direction d’un futur plus radieux, en atteste son année 2023 qu’il a égayé de deux projets. Dessus, il y fait l’étalage d’une intelligence textuelle au service d’une introspection poignante. Habile aussi bien avec les mots qu’avec ses émotions, il a de quoi construire son archipel et affronte sereinement cette nouvelle année.  

Pourquoi on compte sur lui ? Se livrer tout en réussissant à être politique est une prouesse assez remarquable qu’Urde manie avec aisance et ironie. Son rap amène un vent de fraîcheur par ses multiples influences qui s’étendent de l’underground américain aux musiques électroniques. Preuve qu’en plus d’avoir un certain héritage, il dispose de toutes les cartes en main pour s’imposer dans l’écosystème actuel.

Le morceau à écouter :

OgLounis

Le froid et le chaud se combinent dans la musique de ce jeune rappeur. Le froid, ce sont ses doutes, exprimés sur l’équivoque OGLOUNIS VS LES DOUTES avec un sang-froid glaçant. Le chaud, c’est la paradoxale chaleur avec laquelle il met ces mêmes doutes en forme, crachant les rimes avec une maîtrise saisissante. En somme, OgLounis a déjà trouvé une sorte d’équilibre à son récit plein d’espoir.  

Pourquoi on compte sur lui ? Il arbore déjà le recul nécessaire pour se raconter tout en étalant son charisme derrière un micro, lui conférant de solides bases pour étendre son récit au-delà de ses doutes. Sa connexion avec LEDOUBLE, rappeur de Montpellier, et qui lui sert de terrain d’expérimentation, prouve également sa grande versatilité qui ne peut qu’être un atout dans le game actuel.

Le morceau à écouter :

La Mano 1.9

Il se passe vraisemblablement quelque chose de spécial dans le 19e arrondissement de Paris. Une invasion d’artistes ultra talentueux vient tout rafler. Parmi eux, il y en a un qui risque de tout emporter en 2024, c’est bien La Mano 1.9.

Pourquoi on compte sur lui ? Il coche toutes les cases pour être la prochaine sensation du rap français. Son point fort réside dans son empreinte vocale qu’il magnifie avec un flow unique. Chaque morceau vise juste et marque un pas vers son ascension. Comme il le dit dans son morceau « I SAY », on lui souhaite de faire un Bercy prochainement.

Le morceau à écouter :

Mandyspie

Mandyspie est une artiste qui a su briller grâce à sa versatilité. En 2023, la rappeuse franco-canadienne a glissé sur des sonorités expérimentales et hypnotiques, de la trap à la plug en passant par la jersey, avec souvent un fond de matériel électronique. 

Pourquoi on compte sur elle ? Avec l’une des meilleures performances du chapiteau du Grünt Festival à la rentrée et surtout un premier long format réussi avec Polar Escape, Mandyspie a su nous captiver. Nul ne sait quel sera son prochain shoot, et c’est ce qui en fait l’une des rappeuses les plus intéressantes à suivre en 2024.

Le morceau à écouter :

Zequin

C’est le nouveau souffle de la trap cette année. Le rappeur du 92 propose une musique remplie de références ancrées dans son quotidien. Avec RESCAPÉ DES RUES (RR 700FS), Zequin a montré qu’il était capable de digérer de nombreuses influences et d’adopter avec brio une multitude de flows, comme sur les titres « YOUNG THUG » et « NO AUTO ». Chaque son est une nouvelle découverte et on ne peut qu’en demander davantage pour 2024.


Pourquoi on compte sur lui ? Parce que ZEQUIN LA FÈVE. Si sa performance sur 24 a mis tout le monde d’accord, on pouvait déjà saisir tout son potentiel sur son dernier projet. Son style unique en France et sa vision ne laissent clairement pas indifférent. Quand on l’écoute, on ressent l’énergie d’un homme prêt à tout exploser sur la scène francophone. Et on sera là pour l’accompagner.

Le morceau à écouter :

Carter ATN

Notre principe pour apprécier une musique, un artiste ou un projet peut résider dans le sentiment qui s’en dégage. Avec son projet 2 6 8 SoundSystem, Carter ATN a totalement coché cette case. Rares sont les artistes qui marquent autant à la sortie d’un premier opus. Une émotion qui porte un projet moderne, bien produit et avec un flow à son image libre et ambitieux.

Pourquoi on compte sur lui ? Il y a une multitude de bonnes idées chez l’artiste qui déjà, n’hésite pas à se livrer avec une écriture pertinente. On a hâte de voir la suite d’un talent encore à l’aube de sa création et de son parcours. Si vous voulez être convaincu.e, vous n’avez qu’à lancer le titre « 268 Malédiction » et faire comme nous : le suivre en 2024.

Le morceau à écouter :

Retrouvez notre sélection de l’année dernière, où figuraient notamment Kay The Prodigy, FEMTOGO ou encore Asinine.

Le récapitulatif de l’année 2023 est également disponible dans notre playlist à retrouver sur toutes les plateformes de streaming :

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Le rap s’embourgeoise-t-il ? http://1863.fr/rap-embourgeoisement/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=rap-embourgeoisement Mon, 13 Nov 2023 17:30:00 +0000 http://1863.fr/?p=6098 Pour certains, l'arrivé dans le rap se fait la rage aux dents, seul moyen de s'éloigner d'une vie de misère ou de délits, l'authenticité est frappante donnant un rap brut qui n'a rien à perdre et tout à gagner. Peut-être même un peu trop ?

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Pour certains, l’arrivée dans le rap se fait la rage aux dents, seul moyen de s’éloigner d’une vie de misère ou de délits. L’authenticité est frappante donnant un rap brut qui n’a rien à perdre et tout à gagner. Peut-être même un peu trop ?

La rage des débuts

Avec le streaming, diffuser sa musique et rencontrer un public se fait plus facilement et demande surtout moins de moyens et de temps. En parallèle à cette nouvelle manière de produire et de consommer, un style musical a pris particulièrement en ampleur en francophonie : le rap. Paris, Marseille, Bruxelles, Genève : les frontières se brisent, les styles se diversifient et s’imposent comme LA « nouvelle pop ».

Retour en 2015. Booba affirme que la couronne lui va toujours aussi bien avec Nero Nemesis, Nekfeu confirme les attentes avec son premier album Feu, Jul est déjà une machine à titres avec trois projets sortis cette même année. Place forte du rap depuis quelques années, Marseille voit arriver depuis Aubagne un personnage filiforme aux cheveux lisses, au phrasé singulier, ambivalent entre une voix grave et un sang froid glaçant, SCH. Depuis ses 15 ans, ses écrits sont un mélange d’inspirations des films de mafieux et de son vécu dans les quartiers nord de Marseille. En résumé, ce que voit sa rétine n’est jamais très joli.

« Stupéfiants, visages marqués sous les bobs
Coupe, le Seven Up au rhum »

SCH – La Malette

Une année plus tard, c’est du côté de Bruxelles que les regards se tournent. Cela fait un moment que Damso développe un rap brut, sombre et millimétré. Mais il a du mal à le faire résonner au-delà du plat pays. Le bruxellois raconte son vécu, trainant dans les rues accompagné de ses démons. Entouré par des gens faisant de la musique, il exprime ce train de vie au micro de manière brute. Avec un univers bien défini, un rap maitrisé et surtout une hargne qui transpire l’authenticité et l’envie de s’en sortir, tous deux arrivent aux oreilles de deux artistes installés : Lacrim pour SCH et Booba pour le bruxellois. En évoluant à leurs côtés, ils bénéficient d’une mise en lumière, mais aussi de plus de moyens pour se développer.

A7 et Batterie Faible lancent respectivement leur carrière et affirment les éléments qui avaient attirer les premières oreilles : une brutalité qui respire l’obscurité de leur quotidien et un univers affirmé puissant dans un mode de vie sombre. Ils ont tout à gagner et c’est ce qu’ils commencent à faire.

Une fois arrivé à ce stade, leur vie a ensuite radicalement changé depuis les premiers freestyles Gare du Midi ou sous le soleil étouffant d’Aubagne. Cela se répercute alors dans leur récit qui se simplifie ou, en tout cas, s’éloigne des fondements qui avaient réussis à attirer les premiers auditeurs. Ces derniers ne se gênent d’ailleurs pas pour clamer leurs déceptions sur les réseaux sociaux.

Un public qui se fragmente

Si un nouveau public apparaît et se retrouve dans ses nouvelles formules, certains fans de la première heure délaissent leur musique, nostalgique d’une époque qu’ils pensent révolue. Un dilemme qui peut se comprendre. L’authenticité des débuts s’étant édulcorée en même temps que leur mode de vie, ce n’est plus le même public qu’ils touchent. Mais cela est également synonyme d’une vie loin de l’illégal et plus proche d’une sécurité financière, ce pourquoi ils se sont lancés dans la musique.

En devenant le genre dominant les charts, le monde du rap a dû, malgré lui, accueillir un nouveau public. Parfois plus jeune, parfois moins passionné et parfois même bourgeois, il peut s’éloigner des fondamentaux sociaux et prolétaires traditionnellement véhiculés par le rap. Ses demandes sont alors toutes autres. Il veut principalement être diverti et ne voit donc plus dans le rap un moyen de véhiculer un message social. Ce qui en devient presque paradoxal pour un genre qui a pu faire de la domination de classe un de ses principaux combats.

« Grâce aux réseaux sociaux et à l’essor du streaming, le rap a su toucher un très large public. Il se diversifie, se mélange à d’autres genres et touche des catégories sociales nouvelles. Il rentre dans les rouages de la marchandisation et finit par générer de nombreux revenus. »

1863 – Le rap est-il devenu une arme idéologique du capitalisme ?

Arrivé en masse, ce nouveau public représente pratiquement la majorité des auditeurs du genre sur ces dernières années. Cet intérêt et ce nombre grandissants d’auditeurs divers ont permis au rap de s’ancrer dans l’industrie musical et de devenir le style le plus puissant du moment. De nombreux labels, médias, producteurs et artistes profitent ainsi de ce terrain fertile pour se lancer. La machine prend, l’argent rentre et le rap évolue plus vite que prévu. Par conséquent, cela provoque un changement de paradigme chez les rappeurs. Ce nouveau public ayant des standards différents, les artistes vont mettre en avant des morceaux plus légers, généralement dansants qui ont un potentiel pour devenir rapidement des hits. Les artistes et leurs équipes ont ainsi trouver une nouvelle poule aux oeufs d’or sur laquelle capitaliser.

Ninho, l’exception qui confirme la règle ?

Pourtant, certains parviennent à concilier la réussite avec leurs fondamentaux. Pour garder un exemple connu de tous, Ninho réussit encore à livrer des morceaux puissants, respirant toujours sa soif de réussite. Certes, il s’est imposé dans le monde de la musique, mais il semble viser encore plus haut. Il ne se cache pas de vouloir devenir un chef d’entreprise powerful et le retranscrit assez bien sur l’album Jefe. Pour se faire, il garde sa brutalité, ses flows acérés et ses mélodies efficaces mais transpose ses champs lexicaux à sa nouvelle vie. Le public n’a donc pas eu de difficultés à suivre son évolution musicale et explique peut-être la longévité de son succès.

En somme, non, la réussite n’est pas synonyme de facilité. Si certains profitent des moyens à leur disposition pour étoffer leurs sonorités et s’autoriser plus de liberté, d’autres gardent leur ancrage, le faisant évoluer à leur nouveau mode de vie loin des problèmes des débuts. Ce succès se fait donc à tous les étages et souvent dans le bon sens pour les artistes. Du côté du public, certains quittent le navire quand d’autres y rentrent au fil des années et des projets. Les goûts évoluent, les critiques peuvent pleuvoir mais à la fin, l’artiste demeure celui qui aura le dernier mot sur son processus créatif.

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Kay The Prodigy : « ce qu’on fait, on ne l’a jamais vu nulle part. » http://1863.fr/kay-the-prodigy-interview-ce-quon-fait-on-ne-la-jamais-vu-nulle-part/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=kay-the-prodigy-interview-ce-quon-fait-on-ne-la-jamais-vu-nulle-part Tue, 03 Oct 2023 16:00:18 +0000 http://1863.fr/?p=7018 Impossible d’arrêter la tempête venue de l’est. Scènes après festivals, en l’espace d’une année, Kay The Prodigy s’est fait un nom et une réputation de kickeuse imparable. Avec deux projets incisifs et percutants en guise de promo, rien ne semble avoir été laissé au hasard. Ça se passe comme ça avec Kay : tout est…

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Impossible d’arrêter la tempête venue de l’est. Scènes après festivals, en l’espace d’une année, Kay The Prodigy s’est fait un nom et une réputation de kickeuse imparable. Avec deux projets incisifs et percutants en guise de promo, rien ne semble avoir été laissé au hasard. Ça se passe comme ça avec Kay : tout est efficace, précis. C’est un crime parfait. 

Crédits : @shauneseyes

Il aura fallu un train manqué et une après-midi d’attente, à déambuler dans les rues ensoleillées de Bruxelles, pour que Kay The Prodigy réalise « la dinguerie qu’il s’est passé cette année ». Projets, rééditions, scènes, freestyles :  « Ça c’est la vie d’artiste », plaisantera la rappeuse lorsque nous lui demandons si elle arrive à se poser, prendre le temps de contempler et d’apprécier le travail accompli. Le sourire remonté jusqu’aux fameuses – et gigantesques – lunettes, masquant ses yeux même pas cernés par la fatigue, elle ajoutera : « c’était maintenant ou jamais. Si je me dévoile, alors je vais jusqu’au bout. » 

Fuyant la canicule de ce début d’été, nous nous enfermons à La Place. Le frais, c’est toujours mieux pour se remettre les idées en place. En plein cœur de Paris, Kay voit plus grand, plus loin, plus gros. Deux jours après avoir enflammé notre scène au festival des Ardentes, la tornade strasbourgeoise est déjà concentrée sur la suite. En quête vers le sommet, Kay gravit un à un tous les échelons et se dirige irrésistiblement vers le dernier étage. 

À l’Est, rien de nouveau

Nous le découvrons rapidement, Kay rappe comme elle vit, avec un phrasé en flux tendu mais tout en décomplexion. Une aisance presque insolente que l’on retrouve parfaitement avec son dernier projet Triple Kay Supremacy. Laissant de côté son flow DMV et les samples jazz de Eastern Wind, l’heure est à la découpe. L’artiste explore tout son potentiel en collaborant cette fois avec onze beatmakers différents. À nouveau, plus grand, plus loin, plus gros : la dynamique est saisie, Kay The Prodigy emporte tout – et tout le monde – sur son passage. 

« Le projet avec Mezzo était un coup de foudre musical et amical. Là, c’était avec des producteurs que j’aimais déjà. Je voulais prendre ce qu’ils savaient faire et venir poser dessus. Je suis plus friande de travailler avec des énergies différentes. La musique c’est tellement vaste que ce serait dommage de se bloquer. »

Kay The Prodigy

Longtemps restée seule à « rapper cachée dans l’ombre »,  Kay a pour autant toujours avancé en équipe. Au lycée du Val d’Argent, elle rencontre Sirlo, membre du crew strasbourgeois Le Dernier Étage (LDE), qui lui présente Turo Lamota et Kulbuto. Trois gars et une meuf, « un peu comme les Fugees ». Si le collectif ne produit officiellement qu’un seul son ensemble, LDE donne à Kay The Prodigy l’impulsion qui lui manque pour faire le grand saut. 

« LDE chaque passage à un étage » 

Kay The Prodigy – Cinq étoiles

« LDE ce sont les premiers gars qui ont su que je rappais, qui ont accepté que je rappe et que je progresse à leurs côtés » nous assure l’artiste. Ensemble, le groupe partage sa première scène à La Péniche Mécanique à Strasbourg, mais aussi leurs doutes. Si le spectre de l’échec musical en hante certains, Kay, de son côté, a compris qu’elle s’était engagée dans une quête vers le succès.

« Comme Jeanne je prends les devants. La cavalerie vient côté soleil levant »

Kay The Prodigy – Soleil levant

La prophétie se réalise le 13 novembre 2022, sur le parquet de la Bellevilloise. Ce soir-là, le vent tourne en sa faveur. « J’avais de nouveaux sons, une nouvelle recette » nous confie-t-elle, avant d’ajouter : « la foule n’était pas la même, le cadre non plus (…), pour la première fois, je ne rappe pas qu’avec mes potes. » Ce saut dans le vide auréolé d’une foule en délire confirme les certitudes de la rappeuse : « ce qu’on fait, on l’a jamais vu nulle part ailleurs. »

« Je suis là pour marquer la culture » 

Cette confiance, Kay l’a développée dès l’adolescence en explorant sur des forums de rap américains. « À force de regarder et d’écouter des choses en anglais, j’ai presque l’impression d’être née à Baltimore”, ironise-t-elle. Ce qui l’attire c’est la démesure, les shows gigantesques et bien sûr « l’attitude et l’ambition inarrêtable ». Le déclic s’appelle Sentiments. En août 2021, la rappeuse alsacienne se sent prête à se dévoiler sans concession. Accompagnée de son amie et manageuse Soukey qui la suit depuis 2019, elle lâche ses études d’opticienne pour le rap. 

« Avant Sentiments, je ne me montrais pas car je ne me trouvais pas à la hauteur du rap jeu. Je voulais être prête, que mes textes soient précis, pour que quand je me lance et que je sois directement à la hauteur. »

Kay The Prodigy

L’engouement du public et les retours positifs autour de Sentiments confirment son intuition. Pour s’asseoir à la table des plus grands, « comme Makala ou Alpha Wann », nous précise-t-elle avec conviction, l’ex Baby Kay passe à la vitesse supérieure. Le rap l’obnubile et elle en est désormais consciente. Sans prétention, la jeune femme nous l’assure : « Je suis là pour marquer la culture. »

Destinée au succès, Kay garde pourtant les pieds sur terre, rappelant que « toutes ces scènes et ces sons demandent de l’argent et de l’énergie ». Elle n’hésite d’ailleurs pas à rappeler dans ses titres la réalité financière des artistes indépendant·e·s émergent·e·s, soulignant avec humour sur le titre « Check » :« les chiffres j’les vois, pourquoi j’suis encore sur la CAF »

« Quand on se demande avec Soukey pourquoi on est encore broke, c’est un moyen de se dire qu’il faut continuer à charbonner. Faut pas faire tout ça et finir broke. Ou alors en broke stars (rires) ». [nom du label de Soukey, ndlr]

Kay The Prodigy

Pour la première fois depuis le début de notre rencontre, Kay marque une pause. Pensive, elle finit par ajouter : « Même si j’ai l’air d’avoir les pieds sur terre, je me sens parfois comme dans un jeu. » Filant la métaphore, nous voilà projetées dans une sorte de Mario Kart entre les différents rappeur·se·s où « on s’amuse, mais pas tout le temps. Parfois, la course est plus dure”. A 200km/h sur l’autoroute du succès, la rappeuse se retrouve parfois seule avec sa musique : « tout ce qui m’arrive en ce moment, tout le monde ne peut pas le comprendre. » Pour y remédier, Kay écrit. 

Détripler Kay : omniscience – émotivité – colère 

Dans son téléphone, l’artiste alsacienne multiplie les notes qu’elle nomme « exutoires ». Toutes consciencieusement numérotées et rangées chronologiquement : « Dès que j’ai un bars, dans la rue, avec Soukey, avec ma mère, dans le métro, je la note. Ça s’enfile. Quand j’écris un texte, je regarde dans ces notes-là. » 

Crédits : @shauneseyes

Son écriture est à son image, instinctive et parfois insaisissable. Une spontanéité qui se reflète à bien des égards avec Triple Kay Supremacy. Galvanisée par l’univers des nombreux beatmakers dont elle s’entoure (Planaway, whatever51, Kloudbwwoy, Soudiere, Rami, ELK, Stu, Jetpacc et Meel B), l’interprète de Prestige partage avec son public sa large palette d’influences et affine son identité artistique. « Kay the Prodigy existe officiellement depuis 2019, mais je la construis en même temps que vous la découvrez. »

Les différentes tracks sont la déclinaison des émotions par lesquelles elle passe. « Il y a vraiment trois facettes », rationalise la rappeuse : « celle qui est très omnisciente, celle qui est très émotionnelle et l’autre très en colère. Dans ‘Okay’, je suis très omnisciente sur ma voix, je prends du recul, je réfléchis. Au moment d’écrire, j’étais dans une vibe où j’avais déjà des choses à dire sur moi.” Ce brelan émotionne est illustré avec simplicité sur la cover de Triple Kay Supremacy, où trône fièrement un auto-portrait cartoonesque digne des Happy Three Friends

« Ce logo, au départ, est un autoportrait que je faisais au lycée et que j’ai gardé dans mon téléphone. Il est facile à faire, je le faisais toujours dans des coins du lycée. Un peu dans l’esprit du graffiti. C’est un autoportrait qui n’a pas besoin de beaucoup de temps, je peux le faire en deux-deux dans le lycée, le métro. C’est une forme de signature.”

Kay The Prodigy
Crédit : @anna.tbr

En passant par la grime, la super-trap ou la glow avec « Threesome », Kay propose une carte de visite audacieuse. De quoi nous convaincre qu’elle « sait faire autre chose que de la drill samplée » et – pour reprendre ses mots – qu’elle n’est « pas Ice Spice ».

Comme les garçons, mais mieux que les garçons

Cette curiosité sans faille, Kay The Prodigy la doit en partie à ses parents. Élevée par un père multi-instrumentiste qui maîtrise l’accordéon, le piano, l’harmonica, la guitare, la trompette et la batterie en autodidacte, il était évident que la musique aurait une place centrale dans son parcours. À six ans, elle découvre le piano et baigne dans la musique d’Armstrong, et « des sons malgaches du bled » de Wawa ou de Rak Roots. Le partage du rap, quant à lui, s’est fait aux côtés de son petit frère. Chacun fait découvrir à l’autre la dernière trouvaille : de Klub des Looser à Freeze Corleone, “mon frère est à la page” sourit-elle.

Parcours musical oblige, Kay The Prodigy découvre le conservatoire, l’exigence des cours de piano et de formation musicale. Rapidement, elle développe son oreille, et sèche le solfège : « le solfège est à l’opposé de comment mon père m’avait transmis la musique, il joue avec l’oreille. Le solfège est orthodoxe, il faut réviser. Maintenant qu’il faut travailler avec des producteurs, je m’intéresse aux accords, aux notes surtout.” 

Crédits photo : @youcef_kr

À quinze ans, elle écoute déjà beaucoup de rap. Mais celle qui la fascine réellement, c’est Nicki Minaj. Sans elle, c’est certain : elle n’aurait jamais eu cette « assurance pour se lancer ». Le discours décomplexé, puissant et assumé de l’icône parle à la jeune fille. Dans les pas de son idole d’enfance, la rappeuse de Strasbourg parle à son tour de sexe et de désir. Des sujets encore considérés comme transgressifs dans la voix d’une artiste femme, qu’elle aborde comme les garçons. Mieux que les garçons : « de tous les rappeurs qui parlent de sexe, je ne me sens pas si différente. Simplement, moi j’ai un point de vue féminin. En général, c’est davantage le gars qui est dans l’hypersexualisation. Là, c’est moi. Ça me tenait à coeur qu’on entende une rappeuse parler de sexe avec décomplexion. Si les rappeurs le font, je ne vois pas pourquoi les rappeuses s’en priveraient.” 

Ce que Kay aimerait, c’est que les femmes puissent rapper sur les mêmes thématiques, « sans le faire comme un gars et en gardant notre part de féminité. » Un objectif encore difficile à atteindre quand la principale partie de ses auditeurs est constituée d’hommes

« Mon discours pourrait faire écho auprès de certaines de mes auditrices. Et plus il y aura de femmes sur scène, plus les publics féminins vont venir. Les filles peuvent être réticentes car il y a beaucoup d’hommes dans les concerts ra. On n’a pas envie de se faire bousculer dans les pogos, de se faire déranger par des hommes qui ont bu quelques bières.”

Kay The Prodigy

La curiosité en boussole

De Theodora à Mandyspie en passant par Asinine, Angie et Zonmai, l’univers éclectique des nouvelles artistes inspire Kay. Bien que très différentes, chacune apprécie l’art de l’autre et s’en inspire. Cette solidarité est perçue comme une « pure et continuelle masterclass » à ses yeux. Elle ne perd d’ailleurs rien de sa curiosité pour conquérir le rap jeu à leurs côtés. « L’univers de BabySolo33 je le trouve incroyable, j’ai envie de le frôler. Pareil pour Theodora, LaFleyne… car j’adore le RnB. Ce n’est pas ce que je fais de base, mais j’arriverai à voguer entre ces styles” nous confie t-elle.  

Chanteuse en herbe ? Ses plus fervent·e·s fans répondront qu’il existe déjà « Mérites-tu”. Un morceau au goût de miel, que la rappeuse ne fait que sur scène : « c’est une autre vibe, je ne fais que chanter. Quand je commence à chanter, c’est une autre Kay qui ressort. » Si l’autotune lui offre un réel confort vocal et lui permet d’explorer au-delà de ses propres limites physiques, la performeuse ne compte pas s’y complaire et « espère pouvoir faire des sons en acoustique. »

Pour elle, toute rencontre est un enseignement, une exploration nouvelle. Les onze collaborations pour Triple Kay Supremacy représentent, à ce titre, une manière de se rapprocher et de s’ouvrir les portes vers une création plus autonome. « À terme, j’aimerais en faire des [prods] entières, pas qu’ajouter des snares. Faire ma propre prod, placer pour quelqu’un, ce serait génial”, imagine-t-elle. 
Finalement, tout comme dans sa musique, Kay The Prodigy cherche, quitte à se tromper, à changer de chemin, s’y perdre et revenir car « ça arrive. L’important c’est d’explorer ».

Kay The Prodigy sera parmi nous, à La Cigale, le 5 octobre pour la date finale de notre tournée française. Et toi ?

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Le pari latino, le rap au rythme du dembow http://1863.fr/pari-latino-reggaeton-rap-rythme-dembow/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=pari-latino-reggaeton-rap-rythme-dembow Sun, 02 Jul 2023 15:52:18 +0000 http://1863.fr/?p=6918 Tout auditeur possède un plaisir coupable. Une musique à demi assumée qui, lorsqu’elle retentit, vous colle un timide et indécrochable sourire au coin des lèvres. Pire, vous donne peut-être l’envie imprévue de danser. De « Béné » à « Señora », le rap français s’est – à raison – abandonné aux rythmes envoûtants du reggaeton.…

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Tout auditeur possède un plaisir coupable. Une musique à demi assumée qui, lorsqu’elle retentit, vous colle un timide et indécrochable sourire au coin des lèvres. Pire, vous donne peut-être l’envie imprévue de danser. De « Béné » à « Señora », le rap français s’est – à raison – abandonné aux rythmes envoûtants du reggaeton. Né au Panama et popularisé à Porto Rico, cette musique est à l’intersection des genres, entre hiphop, dancehall et reggae. Aujourd’hui, elle s’est imposée comme l’étendard d’un mouvement panlatino-caribéen qui conquiert désormais la scène rap européenne.

Latin lovers

Le 12 mai, le rappeur espagnol Morad sortait Reinsertado, son deuxième album très attendu par les fans. Un projet puro rap pour le jeune prodige barcelonais qui fait honneur à son titre de « heroe de los M.D.L.R » (héros des Mecs De la Rue). Avec « Se grita, » le jeune talent du quartier de Florida s’offre une sixième collaboration avec Jul, en croisant le fer sur une prod mélancolique aux accents de reggaeton romántico

Une prise de risque pour les deux artistes ? Difficile d’y prétendre lorsqu’on voit apparaître, dès la deuxième track du projet, le nom de la reggaetonera argentine Nicki Nicole sur le titre « Paz », qui cumule déjà 10,3 millions d’écoutes. Pour sa part, l’Ovni lorgne depuis quelque temps déjà sur la musique des voisins latino-caribéens. « Bande Organisée, est clairement une rythmique de reggaeton avec un dembow accéléré » nous confie Robin Vincent, fondateur du média de musique latine JetLag et directeur artistique de The Orchard. 

Seulement, rares sont les fois où public et artistes parviennent à nommer ces sonorités « reggaeton ». Cachées derrière les termes bien trop souvent dénigrés de « zumba » et de « type beat Jul », se trouvent des musicalités éminemment complexes, héritées d’un métissage musical riche. Pour Claudia Ben, journaliste spécialisée dans la culture latino, cette méconnaissance s’explique par la « confusion du genre avec le reggae » et un « réel problème d’identification au niveau des sonorités ». Pourtant, à y tendre l’oreille, « les sonorités reggaeton sont de plus en plus présentes dans la musique française », renchérit Robin Vincent. De « Quelque chose de sauvage » de La Fouine à « Petit nez » de TripleGo, le rap a fait son pari latino. Pour mieux comprendre les interconnexions entre ces deux genres, un premier vol vers Porto Rico s’impose.  

The Noise, def: « Young people are loud, they are noisy » (DJ Negro pour Loud)

1991. Dans les rues de San Juan, DJ Negro vend des hot dogs toute la journée. Récemment séparé du duo à succès qu’il formait avec Vico C, b-boy de latin hip-hop, il s’est éloigné des soirées freestyle et spanish ragga de New York et gagne son pain comme il peut. Souvent, il arrive qu’on le reconnaisse dans la rue. En échange d’un hot dog et de quelques dollars, il accepte de prendre des photos et de signer des autographes. DJ Negro n’est pas du genre à abandonner : avec les 4000$ qu’il a emprunté à son frère, il rachète un vieux restaurant dans son quartier d’enfance, La Perla, qu’il transforme en club. 

« Young people are loud, they are noisy », expliquera DJ Negro au micro de Ivy Queen pour son podcast Loud. C’est en référence à la jeunesse bruyante, revendicative et festive de l’île que le rappeur nomme sa boîte de nuit The Noise. Ici le public est puro barrio, presque aucun gringo (blanc).

Chaque soir, la foule s’agglutine autour de l’entrée du club pour venir écouter les derniers disques dénichés par le DJ. The Noise accueille aussi beaucoup de freestyles. Sur scène, rappeurs.es et toasteur.ses se bousculent devant un public exigeant, qui n’hésite pas à lancer tragos (verres) et bouteilles si la performance ne les convainc pas. Les MC’s posent sur les faces B de vinyles rapportés des stores reggae et hip-hop de New York. Ni tout à fait du rap, ni encore du reggaeton, leur musique c’est l’underground. Avec ses paroles vulgaires, irrévérencieuses, presque punk, le genre est boudé des radios et se retranche dans l’enceinte sombre et fumeuse du club.

Mixtape 37

En 1992, DJ Playero, un jeune DJ qui fréquente le Noise, décide de monter un studio dans son petit appartement. Il y accueille tous les artistes qui s’y présentent et les fait poser sur ses mixtapes. En face de chez lui, vit le jeune Ramón Luis Ayala Rodríguez. Déterminé à quitter la petite île, le gamin de 16 ans se prédestine à une carrière dans le baseball. Ramón a un autre talent : il rappe vite et bien. DJ Playero le prend sous son aile et lui propose de passer à son studio. Un jour, alors qu’il s’apprête à enregistrer, Ramón est pris dans une fusillade. Blessé à la jambe, il est contraint d’abandonner sa carrière sportive et se tourne définitivement vers la musique. La légende Daddy Yankee vient de naître.

© Harvey Barrison/Flickr. En 2017, c’est dans les rues de la Perla, un quartier si pauvre que les rues ne portent pas de noms, que Luis Fonsi et Daddy Yankee tournent le clip de “Despacito”, visionné plus de 8 milliards de fois.
© Harvey Barrison/Flickr.

Le dembow, colonne vertébrale du reggaeton

Au Noise, quand on ne freestyle pas, on danse. La discothèque est reconnue pour jouer un son en particulier, une rythmique obsédante qui fait tenir les oiseaux de nuit jusqu’à l’aube : le dembow. L’arrivée du dembow à Porto Rico consacre l’avènement d’un élément central du reggaeton : le perreo. Cette danse ultra-sensuelle permet aux femmes, jusqu’ici à l’écart dans les soirées spanish ragga, de prendre d’assaut le dancefloor. Partout, on danse, on rappe et on chante au rythme de cette snare ultra régulière, presque obsessionnelle. À l’inverse des danses de couples latines, le coût d’entrée est faible pour cette danse qui se vit aussi bien seul.e qu’à plusieurs. « Yo perreo sola » (je danse le perreo seul.e) pour mantra.

Dembow, c’est le nom donné au riddim syncopée (3-3-2) qui fait l’identité du reggaeton. Cette rythmique martelée sur un bpm lent (90 bpm) et marquée par le skank, un contretemps issu du reggae (joué par un clavier ou une guitare), se retrouve dans la quasi-totalité des sons de reggaeton actuels (80% selon le chercheur Wayne Marshall). À ce jour, l’origine du nom est encore floue. Beaucoup s’accordent à relier le terme au morceau « Dem Bow » de Shabba Ranks sorti en 1990. S’il n’est pas le premier à y avoir recours, c’est ce titre qui consacrera sa popularité.

Encore aujourd’hui, le perreo reste central dans des cultures où « la musique se vit différemment » remarque Claudia Ben. Rien qu’en concert, les fans n’hésitent pas à s’endetter pour voir leur idole. Un à deux jours avant le show, les premiers arrivant.e.s s’installent devant les portes et commencent la fête. « Dans la queue, tout le monde commence à perrear, à danser. C’est déjà festif, il y a une fête dans la fête », ajoute la journaliste.

Le collectif féministe et LGBTQIA+,  Motivando la gyal, organise depuis 6 ans des soirées de perreo seguro (sous entendre, où tout le monde est libre de danser, s’amuser).
Le collectif féministe et LGBTQIA+, Motivando la gyal, organise depuis 6 ans des soirées de perreo seguro (sous entendre, où tout le monde est libre de danser, s’amuser).

« À partir du moment où Daddy Yankee commence à poser avec des rappeurs comme Snoop Dog, un respect mutuel entre les deux scènes se met en place. »

Claudia Ben

Straight outta Porto Rico

Il faut attendre le début des années 2000 pour que le reggaeton s’exporte mondialement. Une période retenue comme son âge d’or. Porté par des artistes comme Daddy Yankee, Tego Calderón, Nicky Jam ou encore Don Omar, le dembow devient la rythmique qui permet d’identifier le genre sur tout le continent américain. Avec le soutien de rappeurs latino-américains, Luny Tunes, Fat Joe ou N.O.R.E (aka Noriega), le reggaeton se fraye un chemin dans les soirées hip hop de la East Coast et sur MTV.

« Ils {ndlr : les rappeurs} sont latinos mais ont grandi aux États-Unis. À chacun de ces deux endroits il y a la musique de rue, son côté revendicatif sur les problèmes de société », complète Claudia Ben. Une popularité qui n’échappe pas à Jay-Z qui produira sur son label Roc-La-familia, branche latino de Roc a Fella, le très fédérateur « Oye mi canto » porté par le rappeur latino-américain N.O.R.E aux côtés de Daddy Yankee et Nina Sky.

Tu sabes que somos de calle

Si le reggaeton s’exporte à l’international, c’est en partie parce qu’il se lisse. Violent, vulgaire et machiste, il se heurte à bon nombre de croisades conservatrices d’hommes et femmes politiques qui dénoncent sa letra (ses lyrics). Des opérations à grande échelle, sous prétexte de lutte contre les guerres de gang ou la pornographie, vont donner lieu à de violentes saisies de cassettes. En réalité, pour Petra Riviera-Rideau, auteure de « Reggaetón : The Cultural Politics of Race in Puerto Rico », c’est le classisme et le racisme qui motivent ce désamour du reggaeton. Elle écrit : « Il était surtout une cible facile en raison des communautés pauvres et souvent noires qu’il représentait. (…) Le gouvernement voulait surtout le maintien de l’ordre dans les quartiers. »

Le reggaeton, masculin et performatif

Pour reprendre les mots de Geos et Victor, réalisateurs de l’excellent documentaire « Reggaeton Théorie »,  il est urgent d’être précautionneux lorsqu’on évoque le sexisme d’une musique comme le reggaeton – le rap ne le sait que trop bien – afin de ne pas « faire le jeu de celles et ceux qui utilisent le sexisme pour dénigrer des communautés où cela s’exprime comme du classisme ». Il en demeure que le reggaeton reste à ce jour une musique viriliste exaltant la performance masculine, mais qui, d’un autre côté, pose des problématiques que sont le racisme et le mépris de classe.

Aujourd’hui encore, le reggaeton reste l’étendard de la lutte sociale antiraciste et décoloniale. Les morceaux « Bellacoso » (Bad Bunny ft Residente), «El Apagon» (Bad Bunny) et « Afilando los cuchillos » (Residente ft Bad Bunny & iLe) sont ainsi devenus des hymnes pour les manifestants portoricains, descendus dans la rue pour demander la démission du sénateur Ricardo Rosselló, commanditaire de la controversée et violente politique de la Mano Dura dans les années 1990, censée éradiquer la criminalité et le trafic de drogue dans les caserios (quartiers pauvres) de l’île. 

 « Un avant et après Gasolina » (Robin Vincent, JetLag)

À la manière des radio edits version américaines pour le rap, le reggaeton édulcore ses propos, se romantise et se cache derrière la métaphore sexuelle. « Gasolina est le premier titre, sans aucun featuring, puro latino, qui s’exporte. S’il faut retenir un morceau de reggaeton, c’est lui. » tranche le rédacteur en chef de Jet Lag.

Depuis la vague mambo des années 1950, aucune musique latino-caribéenne n’avait réussi à tutoyer le mainstream. Grâce à ce morceau, puis l’essor de la scène colombienne et des artistes comme J Balvin, Karol G ou Maluma, le reggaeton devient international, jusqu’à être consacré numéro avec des tubes mondiaux « Despacito », « Te boté » et « Mi gente ». Pour l’industrie musicale américaine, plus question de le voir comme le petit-frère latino. Il est désormais la pop de demain. 

Tout ce qui vient des États-Unis finit par arriver à Porto Rico. Dans les années 2015, le succès mondial de la trap d’Atlanta va une nouvelle fois resserrer les liens entre reggaetoneros et artistes rap. L’album TrapXficante du reggaetonero Farruko en guise de jurisprudence. Sur ce projet très trap, un morceau en particulier ressort, « Krippy Kush », en featuring Bad Bunny, évidemment. Son succès est tel qu’une version anglaise est enregistrée dans la foulée avec ni plus ni moins que Nicki Minaj, 21 Savage et Travis Scott qui, sur son couplet, lâche une référence à la diva du reggaeton portoricain, Ivy Queen. La boucle est bouclée.  

Côté latino, les traperos Annuel AA, Arcángel, Ozuna, Noriel, vont confirmer l’essai en s’essayant au reggaeton, jusqu’à ne plus quitter le genre. 

« Au final, la trap reste un peu anecdotique. Comme en France ou aux États-Unis , on a fini par s’en lasser. Après la vague de 2015-17, le reggaeton lui, est resté. Il a même encore plus explosé avec la scène de Medellín. » 

Robin Vincent

Epilogue : infuser le reggaeton en France

En se frayant une entrée d’abord en Espagne, proximité linguistique et culturelle oblige, le reggaeton s’infiltre partout en Europe. La méconnaissance du genre entraîne la simplification de sa compréhension. Catalogué comme une musique d’amour, ultra répétitive et dansante, le reggaeton est vite rangé dans la vaste et dénigrée catégorie de morceaux de zumba aux côtés de l’afro, la socca, le bouyon ou le shatta. Ironie du sort, dans sa désignation originelle, la zumba est une danse fitness et athlétique, dont la bande originale est un reggaeton. 

Lazuli, King Doudou : porter l’héritage de la culture reggaeton en France

Fort heureusement, la France connaît parmi ses artistes, quelques rares talents qui portent avec fierté les couleurs du reggaeton. Éduquée à la salsa et la bachata par son père chilien, Lazuli a grandi dans les soirées latinos de lyon. Un héritage musical que l’on retrouve dans son dernier projet Toketa, mêlant reggaeton, moombahton et baile funk. Côté producteur, King Doudou est devenu une référence. En signant des prods notamment pour PNL, Lazuli et TripleGo, il infuse ses influences reggaeton en France, tout en collaborant avec des stars du genre (Bad Gyal, J Balvin, MC Buzz, El Mini). 

Côté connexion, les rappeur.ses osent enfin se décloisonner. Dans le sillage de Booba et de sa collaboration avec Farruko sur « G-Love »,  Soolking s’offre Ozuna sur « Aqui », PNL sort « Bene et « Hasta la vista », TripleGo s’amuse sur « Medellin » et « Pour que tu reviennes »  tandis que Sharif et Woezen se la jouent latin lover avec « 11 Maudit ». Les maîtres en la matière restent encore Jul avec « Señora » et Aya Nakamura sur « Pookie » et « Copines », qui restent « les meilleurs morceaux français avec un dembow reggaeton à ce jour », aux yeux de Robin Vincent.

La copie n’égale jamais l’original. Aussi proches soient-elles, les instrumentales dembow françaises ne suffisent pas à faire un (bon) morceau de reggaeton. On pourrait – à juste titre – cibler l’absence de paroles en espagnol qui, avec le dembow et le perreo, incarnent l’essence du genre. Aussi, comme le précise Robin Vincent, « la difficulté des rappeurs à produire des toplines aussi puissantes que dans le reggaeton », doit être soulignée. Mais peut être est-ce finalement la non latinité des artistes conjuguée à la fusion du reggaeton avec le diktat de la pop qui doivent être questionnées. Avant de s’empresser de crier à l’appropriation culturelle, il est urgent d’interroger la conscience de l’héritage musical porté par une loop de dembow.

Recommandations

Pour les plus curieux.ses qui souhaiteraient s’aventurer à la découverte du reggaeton, plusieurs portes d’entrées, par le rap espagnol et le neoperreo (sous branche du reggaeton) existent. 

  • Après avoir fait chavirer le coeur de Rosalia, Rauw Alejandro part conquérir le public européen. En septembre prochain, l’artiste portoricaine présentera son troisième album Saturno sur une date unique à l’Accor Hôtel Arena. Un projet qui renoue avec le reggaeton des années 1990 en y ajoutant une touche de modernité grâce à ses sonorités electro propres à la scène du neoperreo dont il est l’un des esthètes. 
  • Autre pionnière, Ms Nina est l’une des reines incontestée du neoperreo. La chanteuse argentine propose un reggaeton sulfureux et féministe qui n’est pas sans rappeler une certaine Ivy Queen et son hymne au perreo libéré des codes patriarcaux, « Yo quiero bailar ». Aux côtés de Bad Gyal, Tommasa del Real, Tokisha ou de DJ Lizz, elles défendent un univers artistique à la rencontre entre l’esthétique Y2K, l’électro et le reggaeton old school.  
  • Avec ses notes mélancoliques qui ne sont pas sans rappeler qu’il a vivement contribué à la production de El mal querer (Rosalia), C.Tangana propose avec El Madrileño, un album audacieux et percutant. Sur 14 titres, le rappeur madrilène explore avec décomplexion un vaste répertoire musical, du flamenco au reggaeton tout en conservant un flow avant-gardiste et unique. Pour mieux découvrir l’univers de l’artiste quoi de mieux que se replonger dans notre review ?

Follow : Robin Vincent : @jetlagang ; Claudia Ben : @claudia_ben_ 

Pour aller plus loin, découvrez notre article soulevant la question de savoir si les rappeurs doivent abandonner le rap afin d’être acclamés, en prenant pour modèle C.Tangana.

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Ucyll & Ryo : voyage au centre de soi http://1863.fr/ucyll-ryo-voyage-centre-de-soi/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=ucyll-ryo-voyage-centre-de-soi Fri, 02 Jun 2023 16:00:13 +0000 http://1863.fr/?p=6897 Ucyll & Ryo n’ont plus rien des jeunes artistes endurcis sur Amour Hôtel ou musicalement assidus sur Cahier de Vacances. Si leur dernier projet était un devoir sans faute à la fin de l’été 2021, la peau des yeux les place en paroliers et chimistes des émotions. Rencontre. Taxi avant tout L’album est sorti. Un…

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Ucyll & Ryo n’ont plus rien des jeunes artistes endurcis sur Amour Hôtel ou musicalement assidus sur Cahier de Vacances. Si leur dernier projet était un devoir sans faute à la fin de l’été 2021, la peau des yeux les place en paroliers et chimistes des émotions. Rencontre.

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Crédits photo : Fabien Hemard

Taxi avant tout

L’album est sorti. Un air de soulagement parcourt la chambre d’Ucyll. Ryo pianote, le masque de Beuni traîne sur le canapé, les prints de Simon dorment sur le lit et Sacha, toujours au téléphone, organise la suite des événements. L’univers familier du collectif Taxi [composé de leurs amis artistes Simon, Sacha, Ucyll & Ryo, Isma, damour, Cronksss et Baron, ndlr] n’a pas fait exception à la peau des yeux. Proches depuis le lycée, Taxi forme un « collectif indispensable et indivisible », comme me l’explique Ucyll. S’il était aussi essentiel de composer dans un environnement familier, même fraternel, c’est pour la confiance, la stabilité et l’influence. Le groupe se connaît depuis de nombreuses années maintenant et s’est mutuellement influencé.

Par exemple, Simon dit au groupe que s’il fait du graphisme, c’est parce qu’il graffait avec Ucyll ou commandait des stickers avec Ryo. Quant à Sacha, leur manager qu’ils surnomment « auxiliaire de vie », est un ami de longue date avec lequel ils faisaient déjà du son avant de nouer des liens plus professionnels. 

C’est donc naturellement que l’équipe a concocté ce retour aux sources, prévu depuis leur dernier projet. Pendant cette pause à durée indéterminée, chacun a eu le temps de travailler son identité musicale en mettant à plat ce qu’il se passait dans leurs vies respectives. Ryo a développé sa pâte compositrice en découvrant de nouvelles inspirations en Himera, Sega Bodega, Cascada, Oklou ou encore le label PC Music de AG Cook. Ucyll, de son côté, a pris le temps de laisser partir Beuni sur la fin ouverte qu’il méritait. S’il est difficile de prévoir un retour, Ucyll & Ryo font partie de ceux qui, inconsciemment, savaient que ce projet allait voir le jour.

À la recherche du soi perdu

La peau des yeux est une réelle immersion dans la multitude des genres appréciés par les artistes. L’auditeur voyage entre l’électro, le rap et la pop. Les tonalités oscillent entre mélodies joyeuses se brisant au contact du choc de l’accident, l’obscurité de « Mercredi 13 », des « Fantômes », et se clôture sur l’espoir final d’une renaissance sur « Pour l’instant ». À priori très distincts, ces genres sont parfaitement maîtrisés et mêlés au fil conducteur du projet, contant la quête identitaire de deux individus. Ucyll & Ryo nous confieront que cette diversité s’explique par leur rôle de compositeur. « La production nous permet de viser de plus larges panels en plus de notre interprétation, c’est assez varié. Et humainement, même si nos chemins musicaux sont différents, nous avons une relation de confiance. S’engager sur le terrain de l’autre n’est donc pas compliqué » décrit Ryo. 

Au regard du parcours musical des deux artistes, on peut ressentir une cohésion et une compréhension mutuelle. Si Ucyll, moins habitué à poser sur de l’électro, a sûrement ressenti un défi face à « La main qui se lève » [première prod composée, bien avant le début de l’écriture globale du projet, ndlr], Ryo, quant à lui, est plus éloigné de la stylistique de « Malaise ».   

ucyll & ryo
Crédits photo : Simon Stewart

« Ce n’est pas ce que j’imagine produire de mon côté alors c’était plus difficile de se projeter. Je savais le propos que j’allais y apporter, donc ça m’a aidé. Finalement, c’est très enrichissant, ça m’a donné envie d’aller au maximum de mes limites », avoue Ryo. En dehors de la recherche musicale, la découverte humaine est la clé centrale de la compréhension et de l’écoute du projet. Ucyll la décrit même comme un « pèlerinage spirituel ». Dans ce projet, les deux individus vagabondent entre soirées électro et se perdent lors d’instants de souvenirs où les fantômes prennent le dessus. 

Tout au long du projet, le regard pesant des deux fantômes observateurs accompagne la quête des personnages et incarne à merveille toutes les thématiques abordées ou imaginées. Ucyll explique que ces fantômes sont « des émetteurs et des récepteurs ». Mais les deux artistes ne les incarnent pas. S’il y en a deux, c‘est pour la pluralité. Ucyll nous dévoilera également que « parfois, le fantôme apparaît seul car il s’agit d’instant de solitude intime, ou à deux lorsque le personnage se trouve accompagné mais ressentant une forme d’isolement. » 

Le travail visuel de Simon Stewart, accompagné par Sacha Lenoir, a permis d’approfondir par une immersion visuelle remarquable la parole des deux rappeurs. Le retour du duo a été annoncé par une étrange photo publiée sur Instagram, avec une localisation menant vers le Canton de Gramat se trouvant dans une vaste forêt. Depuis Cahier de vacances, tourné uniquement dans des plaines, la place de la nature semblait omniprésente dans la direction artistique de Ucyll & Ryo. La peau des yeux n’y échappe pas.

Crédits photo : Simon Stewart

La nature est « un mélange de fascination et de facilité. La nature ouvre des tableaux, des scènes et des paysages sublimes. Tu as juste à t’y rendre et à filmer, ce sont des studios de cinéma géants et gratuits. C’est très inspirant pour y créer l’histoire que l’on veut », glisse Ucyll. De son côté, Ryo explique s’être détaché d’une forme de pensée traditionnelle des visuels rap. « Souvent cela passe par de l’égotrip, de clipper dans des appartements, que j’aime beaucoup et qui reste une culture à part entière, mais j’ai besoin de rêver. La nature est un lieu fantastique qui nous détache d’une image grise et morose, même si certains considèrent que l’album a l’air sombre. »  

« Il n’y a rien de factuel, ce n’est que de l’ordre de l’émotion. On se forçait presque à ne pas mettre de mots concrets. On a gardé l’ancre levée dans le courant, en se laissant aller sans prendre le virage du concret et en laissant une part de mystère. »  

ucyll

La conception d’un album intimiste

Pas à pas, les deux personnages traversent le labyrinthe de la forêt, les yeux fermés en se tenant par la main vers la découverte de soi, suivis par leurs fantômes. La peau des yeux est donc un titre caméléon à l’image des différentes étapes du deuil de l’ancien soi. On y ressent une forme d’aveuglement, de mélancolie, de fatigue. Sans la musique ou les textes, ce titre n’a pas de sens mais toutes les différentes interprétations de l’auditeur lui donnent une vie unique à chaque écoute.

Ucyll avoue avoir trouvé ce titre la veille de l’envoi du projet. Son origine se trouve dans les débuts musicaux des deux artistes. « L’inspiration principale se trouvait dans une ancienne phase de Ciel du projet Amour Hôtel, où Ryo a écrit une phase absolument merveilleuse. Je relisais nos anciens textes et ça a été une évidence », m’expliquera-t-il.

« Ciel est bleu, presque transparent,

Comme la peau, les yeux,

Comme l’âme de nos parents »

Ucyll & Ryo – Ciel

Globalement, ce projet reste marqué par l’écriture imagée et métaphorique des deux artistes. Les thèmes difficiles tels que la solitude et la dépression sont illuminés par des rapprochements plus légers comme les larmes en « cuisinant la quiche » ou le « poulet-riz du daron ». Ryo considère que cela fait écho à notre façon d’être au quotidien : « on peut en dire beaucoup mais à la fois être pudiques sur certains sujets, de lier le sérieux avec une part de lumière. Je n’y avais pas pensé lors de l’écriture mais dans le clip du Code de Myth Syzer, Muddy Monk coupe une tomate et se fait un sandwich en pleurant. Cette quiche aura donc toujours un goût de solitude… d’œuf je voulais dire. »

Muddy Monk dans le clip du Code de Myth Syzer

D’un point de vue écrit et musical, Ryo affirme sa pâte artistique dans le projet, tant en lyriciste qu’en musicien confirmé. Après de timides apparitions sur REP Beuni d’Ucyll ou sur AA de Moyà, Ryo est aux commandes sur « pour l’instant », titre entièrement enregistré sur un piano à queue. De nombreux titres ont été composés au piano à l’ordinateur comme sur « La main qui se lève », « Nasubi », « Bouche cousue » et « Fantômes » qui s’avèrent très prometteurs : « Le piano, c’est mes premiers pas dans la musique, grâce à ma mère qui m’a transmis ce savoir. Pendant toute mon enfance, je l’ai étudiée de façon professionnelle au conservatoire. J’ai ensuite quitté le système académique classique pour me consacrer à la composition sur ordinateur. J’ai entièrement composé ce morceau et j’avoue que j’aime bien le résultat alors je risque d’en refaire. »

Sa composition est un voyage dans l’ensemble de ses inspirations. Originaire du Japon par sa mère, Ryo comblait la rigueur des programmes classiques du conservatoire en jouant la mélodie phare du « Château Ambulant » composé par Joe Hisaiachi et réalisé par Miyazaki. Peu à peu, ces sonorités se sont mêlées à sa pâte de compositeur. Il explique vouloir assumer ses influences tout en gardant un format propre à sa musique. C’est un mélange d’inspirations très jazz et classiques à la fois, comme Miyazaki ou Ryuichi Sakamoto, tout en gardant des sonorités actuelles. 

Une recherche perpétuelle

L’intérêt de ce projet réside dans sa diversité. Les thématiques abordées sont capillaires. Pour réussir à les exprimer, un énorme travail sur soi s’est imposé. Les deux amis se sont retrouvés au début de l’année, et ont mis à plat toutes les étapes traversées. Chacun y a retrouvé une forme de thérapie par la parole. Les artistes ont fait le choix de mettre en avant des personnages qui se mentent à eux-mêmes. Ils mentionnent sans détour la consommation abusive, la dépersonnalisation, le mensonge à soi-même et la paranoïa où le point en commun reste le voile sur la réalité.

Dans la première partie de l’album, Ucyll & Ryo décrivent un aveuglement et un enfermement dans une joie extrême, « un orgasme démesuré » où tout est « Super ». Tout conduit à l’implosion, le mensonge à soi-même n’est plus possible. Tout explose et une remise en question qui conduit à l’autothérapie s’impose.

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Crédits photo : Fabien Hemard

Si la peau des yeux a eu l’effet de thérapie sur Ucyll & Ryo, elle n’en reste pas moins cyclique. D’une façon ou d’une autre, tout finira par revenir. Ucyll y a trouvé le chemin vers l’ouverture de soi et Ryo celui du bien-être plus intime et indépendant des autres, mais tout cela n’est que pour l’instant : « cet album a été un voyage humain avant tout. Nos deux protagonistes avancent pour le meilleur et pour le pire. On pourra s’attendre à de nouveaux projets en duo dans des rendez-vous de thérapie mutuelle tous les deux ans. »

Entre deux rendez-vous, Ucyll prépare son retour en solo et Ryo concocte de nombreuses surprises. Nous attendrons le passage du Taxi aux deux supers chauffeurs, et trouverons une petite place à l’arrière.

Pour aller plus loin, replongez-vous dans le personnage de Beuni avec Ucyll.

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Zed Yun Pavarotti : « La fête c’est cette tentation amoureuse vis-à-vis de tout » http://1863.fr/zed-yun-pavarotti-interview-fete-tentation-amoureuse/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=zed-yun-pavarotti-interview-fete-tentation-amoureuse Thu, 04 May 2023 16:30:00 +0000 http://1863.fr/?p=6856 Dans une ambiance détendue et sans calcul, on appris à découvrir un peu plus Zed Yun Pavarotti et ses chansons aux accents romantiques.

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Le début du printemps et les prémices des beaux jours font ressortir des envies de fête. En somme, c’est le moment parfait pour se retrouver à discuter d’Encore, le dernier album de Zed Yun Pavarotti. Le rendez-vous est pris par une fin d’après-midi dans un bar bruxellois : ambiance détendue et sans calcul sont les maîtres-mots de cette discussion. L’occasion parfaite pour nous d’apprendre à découvrir un peu plus qui se cache derrière ces chansons aux accents romantiques.

Zed Yun Pavarotti
Crédits : Zoé Joubert

Une transition limpide

Cela faisait un peu plus de deux ans qu’il n’avait rien sorti. La faute à des soucis professionnels qui l’empêchaient de libérer sa musique. Alors, avec la sortie d’Encore, l’état d’esprit est plus à la libération. Avant ça, la route prise par Zed Yun Pavarotti a été faite de plusieurs étapes pour autant de propositions musicales. Il est connu dans un premier temps pour être l’un des espoirs du rap avec French Cash. Son style qualifié « d’alternatif » lui permet dans un second temps de s’épanouir dans un univers plus pop avec Beauseigne.

Si ce dernier gardait tout de même un certain héritage rap – comme en témoigne le titre « Mon Dieu » – il ne manque pas d’y mettre en exergue son goût pour la chanson et les compositions organiques. Ces dernières sont complètement assumées et défendues sur ce dernier opus. Une transition qu’il nous explique ainsi : « Entre Beauseigne et French Cash, c’était assez fluide. Là, c’est la première fois qu’il n’y a plus du tout de rap. Beaucoup de gens aiment cet effet de surprise que je propose mais sur le long terme je ne sais pas encore ce que ça peut m’apporter. C’est un nouveau défi que je me lance. » Terre à terre, il se doute que, du côté du public, certains peuvent avoir lâché l’affaire, là où d’autres vont monter dans le train : « Le pari était réussi avec Beauseigne. C’était vraiment un passage transitoire pour amener les gens vers Encore.« 

Savoir réinventer son écriture

Ce qui explique ce changement progressif de style, c’est l’envie d’en apprendre plus sur la théorie musicale : « Ce sont deux mondes différents : le rap est une musique performative basée sur l’écriture. Là, il y a un autre champ que je ne connaissais pas qui s’est ouvert à moi. » L’écriture reste pourtant une pièce maîtresse de l’artiste. Imagée, pouvant se rapprocher de la poésie par moment, il lui fallait trouver la bonne manière de l’accompagner en musique. À ce sujet, il nous explique : « Sur le terrain de l’écriture c’est différent. Le rap permet d’avoir une pensée très élastique. On peut faire passer une information en cinq phrases. Là, ce n’est plus possible ! Étant donné que c’est que de la mélodie, tu changes le rapport à la sonorité du mot. Ça a été une rééducation et je ne pense pas encore être au top de ma forme à ce niveau-là. »

Toute en humilité, il nous confie que ses influences ne viennent pas spécialement de la littérature mais plus de la musique : « J’ai beaucoup lu étant ado, mais j’ai arrêté. Je me plongeais trop dedans, ça en devenait anxiogène. Pete Doherty m’a toujours touché : comment il pose les mots, je pense que c’est à peu près le Graal. » En seulement trois projets, Zed Yun Pavarotti a su nous présenter une évolution significative sans jamais se travestir, faisant continuellement évoluer ses compositions et son écriture pour parvenir à ce qui lui ressemble le plus.

Une pochette riche de sens

Parler de Pete Doherty nous offre sur un plateau d’argent une transition idéale pour évoquer la pochette d’Encore, réalisée par la photographe Zoé Joubert. Faisant référence à un cliché montrant le chanteur du groupe The Libertines performant une chanson à sa femme Kate Moss.

Cependant, un détail vient faire toute la différence. Le Yun prend la place non pas du chanteur anglais mais bien celle de son épouse. Derrière cette idée se cache un cheminement intéressant qu’il nous dévoile: « L’idée d’avoir une photo brute style paparazzi est là depuis longtemps. En cherchant des références avec Zoé Joubert, on est tombés sur la même idée. Sauf que pour moi, la vraie star sur la photo, c’est Kate Moss. J’ai donc voulu me mettre à sa place. Ça donne aussi un côté un peu travesti et féminin qui me parle.« 

Une pochette a aussi pour but d’être une porte d’entrée aux thématiques et à l’ambiance d’un projet. Ici, l’envie de parler de fêtes et d’amour dans leurs formes les plus diverses voire extrêmes se représente bien par cette adaptation du sulfureux cliché du couple britannique. À ce sujet, il confirme : « L’amour est la seule chose qui m’inspire. J’ai fait un album amoureux mais dans un sens large : j’y parle aussi bien d’amitiés que des relations amoureuses.« 

« Pour moi, la vraie star sur la photo, c’est Kate Moss. J’ai donc voulu me mettre à sa place »

Zed yun pavarotti À propos de la cover d’encore

Le soleil qui chasse la grisaille

Si Beauseigne puisait déjà dans cette thématique avec une certaine noirceur et solitude, le ton donné est tout autre sur Encore : « J’avais envie de sortir de cet état de dépression physique, d’arrêter de tirer les choses vers le bas. J’en avais marre ! Je préfère relever les gens plutôt que de les asseoir. Maintenant je sens que j’ai un devoir envers les gens et je pense qu’un peu de positivisme ça fait pas de mal. » Cette rupture n’est pas anodine. Avec ses tatouages sur le visage et son style de musique alternatif, les médias ont vite voulu lui donner une image à laquelle il ne prétendait pas. Avec du recul, il considère aujourd’hui qu’il y avait « un décalage fondamental » entre ce qu’il était et ce qui sortait de lui médiatiquement : « J’étais dégouté ! Je ne voulais pas être ce chanteur dépressif, ce n’est pas du tout mon projet. »

Alors ici, nous ne rêvons pas d’une potentielle relation comme sur « Ta Bouche » (extrait de Beauseigne, ndlr), mais nous la vivons avec intensité et passion grâce à « Girlfriend ».

« Mais ça va tant qu’j’ai ma girlfriend, j’peux même sourire à la mort » 

zed yun pavarotti – girlfriend

L’amour reste ainsi un point central de sa musique. Un thème large qu’il prend et raconte dans toute sa complexité. En voulant connaître l’origine de cet attrait pour cette thématique, il nous livre : « Je suis Chrétien, tout passe par ça. Soit on accepte la solitude soit on accepte l’amour. » Alors, s’il a décidé d’accepter l’amour plutôt que la solitude, c’est surtout par prétexte, pour se libérer. Cette libération passe par la fête. Si ce n’est peut-être pas ce qui saute le plus aux yeux lors des premières écoutes, c’est dans cette optique qu’il a réfléchi ce dernier projet : « La fête, c’est cette tentation amoureuse vis-à-vis de tout. L’amour comme la fête, c’est toujours une surprise qu’il faut être prêt à accueillir. »

L’amour, même dans la réussite

Pour définitivement chasser le peu de nuages qui semblent encore planer au-dessus de sa tête, Zed Yun Pavarotti semble avoir un certain besoin de réussite. Mais à l’écoute du projet, nous comprenons vite qu’elle ne passera pas par des conditions matérialistes. Pourtant, il confie quand même avoir été longtemps obnubilé par l’argent et la réussite matérielle : « C’est ce que je n’ai jamais eu de ma vie. Maintenant ça a changé, je me suis aussi rendu compte que c’était bien si ça pouvait être partagé. » Alors, on s’est permis de lui demander comment il personnifie la réussite, à quel moment son ciel sera entièrement dégagé. Après un bon moment de réflexion, il conclut par ces mots : « Je suis profondément romantique et je pense que ça passera par aimer quelqu’un… ». L’amour, encore et toujours.

Pour poursuivre sur l’amour, découvrez la quête du bonheur émotionnel de Disiz sur son dernier album L’Amour.

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Varnish La Piscine : de l’oreille à l’écran http://1863.fr/varnish-la-piscine-ce-lac-a-du-succes-oreille-a-ecran/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=varnish-la-piscine-ce-lac-a-du-succes-oreille-a-ecran Fri, 07 Apr 2023 16:00:00 +0000 http://1863.fr/?p=6829 Varnish La Piscine brise les barrières des différents arts pour dévoiler son nouvel univers créatif. Avec CE LAC A DU SUCCÈS, il crée les contours de sa nouvelle histoire qui détourne les formes traditionnelles du cinéma, quand THIS LAKE IS SUCCESSFUL maquille ces nouveaux contes d’une bande originale à la croisée des genres. S’ il…

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Varnish La Piscine brise les barrières des différents arts pour dévoiler son nouvel univers créatif. Avec CE LAC A DU SUCCÈS, il crée les contours de sa nouvelle histoire qui détourne les formes traditionnelles du cinéma, quand THIS LAKE IS SUCCESSFUL maquille ces nouveaux contes d’une bande originale à la croisée des genres.

varnish cover this lake is successful
Crédits : Rémi Besse

S’ il n’est plus à présenter, Varnish La Piscine peint les esquisses d’une nouvelle page de son histoire. On ne compte plus ses différentes casquettes : interprète, compositeur, réalisateur et surtout, penseur de contes presque épicurien. Le membre de la SuperWak Clique est de retour depuis quelques temps dans un nouveau processus créatif. Maître à penser de son précédent métrage Les Contes de Cockatoo en 2020, et de son album Le Regard Qui Tue défini par lui-même comme un film auditif, le rappeur suisse signe en avril 2021 avec le mythique label Ed Banger. Par où commencer…

L’industrie musicale est en constante évolution. L’une de ses variables essentielles réside dans la production à l’image. Avant d’être un moyen de promotion, c’est la couverture d’un produit destiné à être vendu, mais surtout, c’est une extension de l’univers musical et artistique des artistes. S’l s’agit d’un canal d’expression qui coûte de l’argent, il permet de déployer au mieux une création sans limite qui voit ses barrières de plus en plus fragiles.

Varnish La Piscine lui, a assimilé tout ça. Son attrait pour le cinéma le pousse à se servir de sa musique pour raconter les histoires qui s’empilent sans cesse dans un coin de ses pensées. Si bien qu’aujourd’hui, il n’existe plus vraiment de frontière au sein de son personnage. Ce n’est plus l’image qui sert la musique, ni la musique qui sert l’image, ce n’est plus vraiment important. Ce qui compte, ce sont les histoires qu’on raconte, de quelles manières, et les souvenirs qu’elles nous laissent.

CE LAC A DU SUCCÈS : LA SÉRIE

L’aventure de Varnish La Piscine dans son nouveau label démarre par quelques vidéos promotionnelles et une nouvelle série audiovisuelles de 4 épisodes nommés : CE LAC A DU SUCCÈS. Il conte ici l’histoire de M. Amaury Lefèvre, plus grand marin-pêcheur de l’Histoire, connu pour trouver des poissons aux propriétés magiques. Il semble avoir pêché le poisson ultime, détenant en sa possession un pouvoir surnaturel qui pourrait changer le monde. Mais pas le temps de finir le premier épisode que ce dernier est victime d’un meurtre. Sa compagnie Spinel Fly Fishing, référence numéro 1 en pêche, lui cherche alors un remplaçant. C’est ainsi qu’Abraham Finlay, interprété par Varnish lui-même, arrive dans l’équipage.

Varnish et le réalisateur Rémi Damino dessinent alors un environnement largement inspiré des films d’Alfred Hitchcock et Wes Anderson qu’on retrouve particulièrement dans la colorimétrie très pastel des images. « Je suis quelqu’un de très nostalgique » racontait-il dans son entretien avec Mehdi Maïzi. Effectivement, ce sentiment se dégage de l’univers de la série. On a parfois la sensation de regarder un vieux film des années 90′ qui s’entremêle à de la science-fiction loufoque. Les dialogues sont remplis de répliques excentriques. On retrouve les personnages dans des vieilles voitures, appareillés de paires de J.M. Weston ou de blouse de travail Carhartt.

Ces protagonistes incarnés par Rounhaa, Ike Ortiz, De Wolph ou encore Rico the Kid prennent vie dans les paysages suisses montagneux et les grandes étendues d’eau. Il est alors facile d’établir un lien ne serait-ce que visuel avec le dernier album de Tyler, The Creator, CALL ME IF YOU GET LOST, lui-même inspiré de ces mêmes paysages dans la direction artistique à l’image. Je ne me tenterai pas à spoiler tous les épisodes, prenez soin d’aller les regarder, mais une mystérieuse intrigue fantaisiste est mise en place. Quel pouvoir cachait le poisson ultime d’Amaury Lefèvre ? Qui est-il et quelles sont réellement les intentions de son meurtrier ? Comment Abraham Finlay va t-il s’en sortir ? Et tant d’énigmes qui ne trouveront peut-être pas directement de réponse…

photo ce lac a du succès série

CE LAC A DU SUCCÈS est finalement une extension cinématographique de l’univers nostalgique et fantasque qui s’échappe sans limite de la boîte crânienne de Varnish. Évidemment, la bande originale de la série est l’élément central, accentuant l’immersion évasive de cette comédie dramatique. Elle introduit aussi la couleur du projet, via des boucles sonores et des bouts de morceaux. Finalement, cette série n’a pas réellement la volonté de raconter une histoire traditionnelle reposant sur des schémas classiques de construction d’un scénario. L’univers de CE LAC A DU SUCCÈS est davantage énigmatique, mystérieux et bizarre, tout en s’imbriquant avec la musique pour former une œuvre entière.

THIS LAKE IS SUCCESSFUL : LA MUSIQUE

Tout juste un mois après le dernier épisode de la série, la bande originale qui l’accompagne débarque enfin dans nos écouteurs. Durant 7 titres, Varnish La Piscine dévoile toutes les facettes de sa virtuosité de compositeur. Le projet jouit d’un éclectisme total. On y retrouve évidemment des influences hip-hop, mais le rappeur fouille dans des mélodies plus pop, des rythmes de bossa nova mâtinées de synthétiseurs rétro. Cette production feutrée presque Dance Band vient appuyer des couplets et refrains chantés qui côtoient la douceur du R&B.

Dès l’écoute de « NUBIAN FARLOW », les sonorités insulaires du morceau nous font regagner en tête les images de la série comme une comédie musicale. Fermez les yeux et retrouvez-vous directement au milieu du lac de Genève à bord du bateau de pêche de l’équipage d’Abraham Finlay. « QUARTZ FREESTYLE » nous rappelle cette bagarre d’une violence presque burlesque qu’offrait le 3e épisode pour teaser le morceau. Cet extrait dévoile d’ailleurs une facette plus en retrait de Varnish, celle d’un rap incisif sur des sonorités lugubres.

L’album propose également quelques détours anglophones, notamment grâce au couplet de Snubnose Frankenstein, aussi brillant que nébuleux. Rico TK prête aussi sa voix et accompagne les refrains de « RING ISLAND », titre qui fait directement référence au jeu-vidéo Sonic the Hedgehog. La production funk rétro serait même capable de remplacer le thème sonore de Green Hill, mythique zone du hérisson bleu, remplie de palmiers, de rings et de loopings.

On ressent la patte de toutes ses influences telles que Stereolab, L’éclair ou encore Les Baxter dans les mélodies exotiques. Il emprunte parfois les contours de sonorités jazz-funk sur des morceaux comme « CEVICHE » et au groove cinétique de « NUVOJOB », bien accompagné par son frère de toujours, Makala. Le disque se conclut avec l’excellent « BYE BYE FOREVER » qui nous replonge dans la chaleur nostalgique de la série. Au fil de l’écoute, on a souvent l’impression que cette musique aussi évasive qu’implicite raconte subtilement ce que la série ne nous a pas encore dit.

L’EP dégage une authenticité brute à travers des productions éthérées et une interprétation exceptionnelle. L’artiste genevois lâche totalement prise sur ce court opus. Il donne envie de s’allonger au bord d’un courant d’eau et de s’exposer aux puissants rayons du soleil qui donne l’impression que tout paraît flou autour de nous.

SUCCÈS SANS CONCESSION

Pour célébrer la sortie du projet, l’artiste nous a offert un ciné-concert à Paris. Le projet cinématographique et phonographique a alors pris tout son sens durant une séance hors du temps. Varnish nous réserve le visionnage intégral de la série et interprète directement les morceaux avec son orchestre durant les entractes.

Difficile de passer à côté. On a tous vu Pharrell Williams se balader avec le vinyle du projet sous le bras. Sans parler de Tyler qui n’a cessé de s’exclamer durant le roll-out du projet sur ses réseaux sociaux. Cette validation de ses pairs idolâtrés est une victoire pour la figure de proue de tout un mouvement musical suisse. La musique de Varnish La Piscine, et plus largement de la SuperWak Clique, dégage tout l’amour fraternel qui règne au sein de cette équipe.

C’est la belle histoire : une bande de potes de Genève qui mettent des années à découvrir, créer, assimiler, produire une musique et un univers visuel unique validé par le légendaire Neptunien Pharrell Williams. Des gamins issus de l’underground qui finissent par rencontrer et travailler avec leurs plus grands modèles. C’est finalement une musique sans compromis artistique qui finit par porter ses fruits. Elle célèbre la victoire d’un mouvement, d’une vision qui échappe aux règles cruelles d’une industrie de plus en plus formatée.

On se laisse ici avec ce cliché, sans spéculation collaborative entre ces trois hommes. Contemplons juste ce moment historique pour cette scène qui nous réserve à chaque fois des surprises. Ce lac est effectivement plein de succès.

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Novae : Yvnnis explose sans s’éteindre http://1863.fr/yvnnis-novae-explose-sans-seteindre/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=yvnnis-novae-explose-sans-seteindre Mon, 27 Mar 2023 17:00:00 +0000 http://1863.fr/?p=6799 Durant la vie d’une étoile, son éclat et sa brillance se déploient parfois brutalement jusqu’à sa quintessence. Son intensité décline ensuite lentement jusqu’à son état normal. C’est ce qu’on appelle une novae. Le 13 janvier 2023, Yvnnis a présenté la sienne avec un nouveau projet, une image qui caractérise sa musique et ses états d’âmes.…

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Durant la vie d’une étoile, son éclat et sa brillance se déploient parfois brutalement jusqu’à sa quintessence. Son intensité décline ensuite lentement jusqu’à son état normal. C’est ce qu’on appelle une novae. Le 13 janvier 2023, Yvnnis a présenté la sienne avec un nouveau projet, une image qui caractérise sa musique et ses états d’âmes.

yvnnis novae album cover
Crédits : @_bhttt

Vendredi 10 février 2023, 20h56 : Lil Chick et RestonsFlex finissent de réchauffer l’énergie de La Boule Noire. Je check quelques potes et me dépêche de finir mon verre avant le début du show. Quelques minutes plus tard, la salle s’assombrit. Je reconnais la scénographie de Novae. Yvnnis fait ses premiers pas sur scène, vêtu du classique maillot extérieur d’Arsenal de la saison 2005-2006 floqué Thierry Henry, puis dévoile ses tresses plaquées comme Iverson. Le reste appartient à ceux qui y étaient. Ce que je peux dire, c’est que ce fut suffisamment inspirant pour que je me rappelle avoir un dossier « yvnnis chronique novae » qui traîne sur le bureau désordonné de mon ordinateur. Alors on y va.

Un produit éclectique

Dans la lignée d’une typologie d’artistes indépendants qui produisent de la musique avec une carte son et deux bouts de ficelle, Yvnnis n’a pas changé le wagon qu’il a emprunté depuis 2 ans déjà. PARHELIA et ETERNAL YOUTH composaient une carte de visite suffisamment brillante pour être attentif à toute actualité du rappeur. Il a su imposer sa marque avec quelques featurings marquants, une apparition sur le Grünt #52 de NeS et un freestyle électrique célébrant sa présence dans les 11 à suivre de Booska P. L’annonce d’un nouveau projet m’a alors fait glisser de ma chaise, impatient de savoir quelle direction allait prendre sa musique.

Novae est là. 10 titres et 25 minutes de morceaux intenses arpentent la métaphore d’une étoile atteinte d’un phénomène explosif, se mettant à brûler sans pour autant disparaître. Tout en maîtrisant l’art d’un rap brut, sa voix souvent monocorde vient maquiller des productions éclectiques et variées composées par un casting de luxe toujours familier. Avec les beatmakers ARTURO, BRI!AN, PLANAWAY, METO et LIL CHICK, il continue d’expérimenter des sonorités plus électroniques et froides dont on pouvait déjà distinguer les prémisses sur ses projets précédents.

Ce nouveau disque laisse d’ailleurs davantage d’espace aux producteurs, notamment sur les introductions et les fins de morceaux. Les loops sont toujours soigneusement complexes et nappées de textures numériques. Aussi variés qu’ils soient, les drum-kits laissent toujours de l’aération et de l’espace sur l’instrumental. Finalement, on a l’impression de se retrouver au milieu d’un espace créatif de distorsion sonore. Chacun de ces compositeurs dépose un trait de pinceau sur la toile finale.

Novae est aussi le premier projet de Yvnnis délimité par une véritable direction artistique à l’image. Réalisées par le talentueux @_bhttt, la cover et la tracklist sont dessinées à la main avec de l’encre de Chine et du Posca. Le dessin est ensuite retravaillé au numérique, assurant un équilibre entre authenticité et modernité, à l’image de la musique. Le travail autour des couleurs froides et des nuances de bleu qui virent jusqu’au violet permet une immersion dans l’univers sombre du projet. Un monde également complété par les clichés de Léa Esmaili et les clips de « Washington » et « Héros » réalisés par TKSH Films.

yvnnis cover novae
Crédits : Léa Esmaili

Atmosphérique old-school

Yvnnis est un artiste complexe à définir. Son rap est empli de technicité brute et de références à une culture hip-hop au sens large qui s’étend jusqu’au siècle dernier. Et il n’attend pas longtemps pour nous le faire savoir. Dès que « Cbpm » dévoile ses premières notes, il en place une pour ses légendaires pairs du rap américain : « J’écoute Biggie, Nas, j’écoute no digitty. » Puis, il nous offre une transition exceptionnelle vers le morceau suivant en samplant l’iconique phrase du métrage noir et blanc Impact sorti en 1949 : « Ladies and gentlemen, it was a cold-blooded, premeditated murder ». Bienvenue sur « Washington », la main track aussi abrupte qu’un coup d’épaule de Sol Campbell, aussi technique qu’une passe de Mesut O¨zil.

Réalisé par TKSH (Arnaud Vieron & Jeremy Beaudet)

Le morceau brille de ses pianos teintées de distorsions et de dégradation qui rappellent un instrument poussiéreux dans le fond d’une maison abandonnée. Impossible de passer à côté, Yvnnis écoute Coltrane, pas Goldman. Légende américaine du jazz issu du mythique label Blue Note, il est alors facile de faire des ponts sur les influences du rappeur. Le bleu se retrouve partout dans le projet. De la cover, aux photos promotionnelles en passant par la connotation mélancolique que cette couleur évoque.

A l’image des joueurs de foot légendaires comme Ian Wright ou Cantona, ses références old-school surprennent. Il utilise le titre « Give me the night » de Benson Georges pour clamer son attrait pour la solitude, puis il reste seul dans l’impala, vieille Chevrolet américaine des années 1960’s. Tous ces éléments s’imbriquent pour créer la colonne vertébrale nostalgique d’une musique davantage animée par des images fortes que par des schémas de rimes pointues, figures de styles ou autres multi-syllabiques.

yvnnis cover novae
Crédits : Léa Esmaili

Une toile froide et mélancolique

Novae n’est pas l’étape qui nous plonge véritablement au cœur de ses réflexions. Yvnnis est un artiste qui reste mystérieux. C’est quelqu’un qu’on ne connaît pas encore et qui met une distance entre sa vie personnelle et sa musique. Cependant, grâce au thème sonore du projet et quelques lignes, il laisse au compte-goutte quelques indices sur son intrigant personnage qui vacille entre arrogance et mélancolie.

« J’ai la main sur le coeur,

Il est tellement froid,

On dirait que j’ai la main sur le gun »

yvnnis – sur le gun

Lil Chick dévoile la surprenante prod de « Héros » sur un fond de drum and bass tandis que « Nx2 » combine ses névroses à une mélodie à vent qui rappellerait la bande originale d’un film dramatique. L’arrogance du rappeur s’élève sur l’ambiance lugubre de « Sur Le Gun » quand « Vla » dessine la lourdeur et la froideur de son univers. Aamo, seul featuring, apporte une légèreté grâce à sa voix chantée qui se balance sur un piano doux et mélancolique dans « +74 ». Les pianos sont constamment présents, ils traversent les morceaux et s’entremêlent aux balades sonores électroniques. Yvnnis lui, exploite toutes ces différentes teintes musicales aux penchants expérimentaux pour dévoiler un spleen hivernal intense et subtil.

Avec le libérateur « Soleil Pluvieux », la conclusion du projet condense toutes les différentes directions artistiques symboles d’une versatilité novatrice. Les synthétiseurs expansifs explosent sur un fond de percussions électroniques et prennent seul leur envol sur le morceau. Ce dénouement se conclut sur une note plus lumineuse, comme un soleil de fin d’après-midi qui vient chasser les nuages d’une journée grise et déprimante.

yvnnis cover novae
Crédits : Léa Esmaili

Finalement, c’est un artiste dont l’envie irrépressible de rester dans l’ombre se ressent. Toute cette rage et cette mélancolie sont traversées par un puissant désir de réussite, de trouver la paix. Sa novae, c’est aussi faire parler sa musique à sa place. À défaut d’avoir une bonne étoile qui le guide dans sa quête, Yvnnis est obligé de faire briller la sienne avant de rentrer à la maison. Si cette étoile luminescente reprendra son état normal, elle finira par rejaillir au détour d’un prochain projet.

Yvnnis fait définitivement partie de ces acteurs qui brandissent le drapeau d’une musique sans concession. Tout cela prend du temps, le travail dans l’ombre est souvent long. Mais comme Arsenal, il se pourrait bien que 2023 soit la bonne année pour soulever la coupe. En attendant son sacre, Yvnnis sera à retrouver sur plusieurs dates du 1863 TOUR : à Bordeaux le 31 mars et à Rennes le 14 avril.

Pour aller plus loin, découvrez la chronique du dernier disque de NeS, LA COURSE.

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