Une release party au 1999 affichant complet. Un album accueilli chaudement par le public, une direction artistique soignée. Près de deux mois après la sortie Rep Beuni, le 5 mai dernier, le premier projet solo d’Ucyll est décrit avec éloge. Une surprise pour le rappeur et compositeur, qui revient pour 1863 sur son processus créatif et ses influences.
First things first : c’est quoi, la genèse de Rep Beuni ?
Ucyll : L’été dernier, je suis passé par une petite phase pendant laquelle je me suis posé plein de questions. Je me demandais ce que j’avais réellement envie de faire dans la musique. De son côté, Ryo a choisi de prendre une pause. L’idée pour moi, c’était d’attendre qu’il réfléchisse et qu’il revienne. Mais je composais déjà pas mal tout seul depuis quelques mois dans de nouveaux styles. Ils me semblaient extrêmes, je voulais les aborder. Le concept de l’album est venu assez rapidement, un soir. J’écoutais la prod d’Eau Salée, commencée depuis un moment : la topline du refrain m’est venue, et tout a découlé de là. Il fallait que je crie, que je scande le blaze d’un personnage avec une histoire. De là, j’ai plus construit l’image de Beuni au départ, pour ensuite imaginer l’histoire qui l’entoure.
On t’y retrouve aussi bien à la prod qu’à la voix ; quelle influence cette double casquette a-t-elle eu sur ton travail ?
Ucyll : Je n’ai jamais eu l’occasion de travailler autrement, donc je ne sais pas vraiment. J’aime beaucoup faire ça, parce que je n’ai pas à me poser trop de questions. Je sais exactement ce que je veux. J’ai fait Rep Beuni en très peu de temps, en étant parti de – presque – zéro à la mi-décembre pour le terminer à la mi-mars. Cela a été court, mais très intense : c’est la première fois que mon travail de création s’étale sur si peu de temps. Je me suis mis à 200% là-dessus. Tous les jours, je ne faisais que ça.
Les prods relèvent autant de la pure instrumentale que de phases plus « kickées ». Quelles ont été tes inspirations ?
Ucyll : J’écoute presque uniquement du jazz pop, du jazz fusion, ou encore de la soul ; et ça toute la journée. De l’hyperpop, aussi. En fin de compte, je n’écoute presque pas de rap. Dans mes réfs, on retrouve des artistes comme Carrtoons, Thundercat, ou encore Quelle Chris. En parallèle, j’aime beaucoup l’aspect acoustique dans l’enregistrement et la composition. C’est une particularité que j’ai essayé d’intégrer au maximum dans Rep Beuni. Il y a plein de basses électriques enregistrées, j’aimerais faire de même avec des drums, même si cela coûte cher.
Ton projet se démarque à la fois par sa proposition musicale et visuelle. Comment cela s’est-il construit ?
Ucyll : C’est un aspect sur lequel je me suis vraiment posé pour travailler. L’inspiration principale vient du film de Varnish La Piscine, Les Contes du Cockatoo. On y retrouve plein de personnages avec des dégaines de tarés. Les méchants, notamment, portent des masques en aluminium et ont des dégaines cheloues. Mais dans le film, c’est normal pour tout le monde ! Je suis parti du même principe : pour Beuni, c’est pareil. Il est comme ça. Sa gestuelle va bien avec ce qu’il raconte. Le type est ultra fébrile, parano, asocial, il tremble, se casse la gueule parce qu’il est maladroit, il ne parle pas… J’aime bien ce truc un peu mystique.
Restons sur Beuni, justement. Comment faut-il le percevoir ? Est-ce un alter égo ?
Ucyll : Beuni n’est pas un alter ego mais un personnage. À titre personnel, j’aime dire que « c’est quelqu’un ». Il faut vraiment profiter de Rep Beuni comme on profiterait d’un film, dans lequel on suit ses aventures. À la fin, c’est terminé. Cependant, le projet revêt une importance particulière pour moi. Dedans, je dis plein de choses que j’ai voulu exprimer en sortant un projet premier degré estampillé « Ucyll ». Mais je me trouvais trop naze, trop cringe. Ce coup-ci, j’ai tout mis sur le dos d’un personnage. Du coup, je me perçois un peu comme un imposteur ! J’ai donné à Beuni la personnalité qui me plaisait. Au final, je le trouve assez espiègle. Et ça me permet de beaucoup plus assumer ce que j’aimerais dire au premier degré !
Les sons et la mélodie de l’outro donnent l’impression que Beuni se drogue et se met à planer. Que doit-on comprendre de ce 8ème son – éponyme ?
Ucyll : Chacun m’a donné une version différente ! Mais dans ce que j’ai composé le mec se pend… C’est pour cela qu’on entend un bruit de corde qui se tend, puis craque et le corps de Beuni qui tombe au sol. On ne sait pas s’il est vraiment mort ou s’il est vivant… Pour ma part, j’aime bien les analyses des auditeurs, que chacun se fasse une idée. Les gens créent leur version de l’histoire à ma place, c’est rentable ! Attention ceci dit : je ne donne pas de message, je balance juste ça comme ça. Les auditeurs en tirent la conclusion qu’ils souhaitent. Mais ne vous flinguez pas, ce n’est pas un appel au flingage ! Je le vois plus comme une satyre de l’état suicidaire – même si très difficile d’aborder un sujet comme ça. J’ai moi-même été dans cette situation-là. Cette fin, elle peut être perçue comme une sorte d’hésitation, que l’on peut ressentir quand on est au bord du truc.
Le deuxième morceau, Eau Salée, a contribué à te faire connaître. Dans celui-ci, tu répètes à l’envi que “c’est pour toi cette année”. L’objectif, c’est de “percer” en 2022 ?
Ucyll : C’est la première fois que je fais complet pour une release. C’est une drogue, un kiff pour moi. Donc évidemment, j’ai cette envie de percer et de pousser mes projets, nos projets avec Ryo au maximum. Quand on a des envies notamment pour l’acoustique, que je mentionnais précédemment, il faut de l’argent, la confiance et la connaissance des gens qui travaillent dans ce domaine. Mais cette phrase, il faut plus l’interpréter à travers la vision de Beuni. Elle sonne ultra déterminée, mais c’est plutôt pathétique selon moi, parce qu’il est en même temps au fond du trou. Et même dans cette situation, il s’auto-persuade, le crie et pleure pour essayer de se persuader que c’est possible, même s’il sait au fond de lui que c’est un idéal hors d’atteinte. C’est ça : un SOS.
« Super Sweet Sixteen » est un morceau à part, dans lequel tu parles de ta capacité à t’ouvrir aux autres et montrer ton plein potentiel.
Ucyll : Musicalement c’est l’un de mes préférés. « Super Sweet Sixteen » est le track le plus complexe : on y retrouve quatre prods différentes ! Forcément, j’en suis fier, d’autant que j’ai enregistré la basse et le piano moi-même. Ceci dit, Beuni s’ouvre à chaque morceau sur des sujets différents. Ici, c’est l’angoisse en société. Sur « Lâche ma main » ça va être l’amour. Donc non, ce n’est pas la piste sur laquelle il s’ouvre le plus. Mais encore une fois, tout ce dont il parle est inspiré de ma vie. Je ne me serais pas vu parler à travers un personnage de choses que je ne connaissais pas, au risque de décevoir les gens qui auraient vécu la même situation.
Dans celui-ci, tu “vois des trucs qu’existent pas / Comme ma kichta pleine ou juste remplir une petite salle”. Depuis, tu as tout de même rempli le 1999 à Paris, ce qui n’est pas rien…
Ucyll : Je ne m’attendais pas du tout à remplir le 1999. Quand on discutait de release, je pensais plutôt à un bar avec des potes. Au final ça s’est fait une semaine après la sortie du projet, et les gens connaissaient déjà les sons. Cette ligne, c’est une belle coïncidence ! Au concert, les gens attendaient le passage du morceau pour la gueuler. On m’a fait la vanne de la « petite salle » plusieurs fois ! Mais je ne m’attendais pas du tout à ce que le projet marche autant en l’écrivant. C’est tant mieux, bien sûr, mais ça reste paradoxal en live. Alors je le crie encore plus fort, et le public a la référence directement. Et ça, ça m’a beaucoup touché : quand je la prononçais, c’était eux que je pointais du doigt. J’adore la scène, ça me transforme. Je n’ai plus aucune angoisse sociale, alors que je suis timide dans la vraie vie. C’est vraiment ma catharsis. C’était exceptionnel, je ne savais plus où donner de la tête. J’ai hâte de refaire de la scène à nouveau, notamment le 23 juin !