Courir comme NeS

Dans un couloir infini rempli de miroirs, un reflet ne cesse de se faire dépasser par son protagoniste dans une folie frénétique : telle est notre vision de LA COURSE. Éclectique, puissant et mélodieux, le nouveau projet de NeS entraine l’auditeur dans la genèse créative du rappeur, emplie de rage, d’espoir et de mélancolie. C’est le chargement d’un artiste qui affine son art dans son étape la plus maitrisée jusqu’alors. Echauffez-vous, chargez votre souffle, et rentrez dans la course.

cover NeS LA COURSE
Artwork : salutcv

LA COURSE

Dans une atmosphère froide, les premières phases jouent avec les silences et les échos de ses voix comme un échauffement. Les premières notes s’intensifient, montent en puissance et les bass-lines vrombissantes viennent donner le départ en furie de la course. Guidé par une flûte légère dans le fond de la mélodie, « LA COURSE – intro » pose le thème du projet. Et c’est la rage qui guide ses premiers pas, image que l’on pouvait déjà entendre sur son précédent EP.

Cette image représente la quête de l’artiste, un marathon symbolisant le dépassement de soi. C’est une quête d’élévation avant tout personnelle consistant à développer son art en courant toujours plus vite que ses doutes. Cela traduit une grande ambition musicale : à la croisée entre un album et un EP, le projet est court et incisif. 9 track et 17 minutes permettent aux morceaux de s’enchaîner, défilant comme des pulsations intenses, relatant l’urgence d’un environnement pressant et étouffant, bien loin de la formalisation d’une musique mainstream et des tendances actuelles. La course c’est le début de l’histoire d’un artiste, on plonge dans la genèse artistique de NeS en découvrant son personnage, ses atouts, ses failles, sans qu’on ne sache si c’est le sens des mots, leur élan ou les mélodies qui mènent les traits du crayon.

« Ça y est j’suis dans la course

Jamais j’arriverai à temps, mais j’suis dans la course On va tout plier à trente

Et j’entends mes doutes qui m’disent

On va t’oublier avant »

Nes – la courseintro

Le positif attire le positif

La direction artistique de cet opus prend un réel tournant, tant le projet a été travaillé très proche d’un album en termes d’ambition et de cohérence musicale, du moins c’est ce qu’on ressent à l’oreille. Pourtant, tous les morceaux ont été enregistrés dans sa cave puis travaillés à distance avec les beatmakers sur Discord. Les sonorités arborent une couleur très homogène et futuriste. Oscillant entre des synthétiseurs brumeux très électroniques, des boucles addictives et des drum-kit boom-bap. Les transitions entre les morceaux sont très intelligentes et fluides grâce au fruit du travail de Lyre au mix et d’un excellent mastering.

Le producteur Lil Chick endosse le rôle d’architecte sur le projet, dévoilant son écrin de velours qui vient sublimer les éclats d’un rap inspiré. Le jeune beatmaker récemment placé sur « Peace « Fly » God » de Westside Gunn fait preuve d’une grande minutie. Les productions sont riches, travaillées, de la texture est rajoutée sur les morceaux pour étoffer leur relief avec des effets de glitch, ce qui donne une cohérence à des productions assez déstructurées remplies d’éléments divers.

photo clip topaz NeS LA COURSE
Crédit : TKSH-Film

NeS appuie particulièrement sur l’importante de son cercle social. LPALP est le diminutif de l’adage « Le positif attire le positif » que l’on peut entendre de la voix de sa mère sur un fond de prod en slowed and reverb. Ayant rencontré son entourage il y a environ un an, le rappeur s’appuie uniquement sur ses collaborateurs proches pour travailler sur LA COURSE. BR!AN, LAYZY, PLANAWAY, ARTURO à la production, LYRE et YVNNIS au mix, chacun appose son coup de pinceau au tableau final. Poivre blanc est aussi du voyage en continuant d’alimenter le laboratoire d’expériences sonores. Sur des morceaux comme « UN TEL », là où une partie de la matière principale est occupée par la production tant les 808’s se distordent et saturent jusqu’à tendre vers les aigus, tandis que « TOPAZ » rappelle les plus vieilles mélodies de nos consoles 8-bits qui prennent la poussière.

La connexion, qui commence à être classique et qui synthétise la meilleure substance brute et qui offre l’un des grands morceaux de ce début d’année, c’est NeS & Luther. « KILLCAM », c’est le « crossover d’fou », le track qui fait rentrer le projet en ébullition, « de la lave de volcan » comme le dirait un ami à moi, bref. À la croisée de la patte très synth-wave de Lil Chick et des détours boom-bap, les deux rookies de l’année viennent napper le gâteau de leurs couplets, se passant le relais sur un passe-passe qui envoie même une référence à Ricardo Quaresma. Merci messieurs, c’est l’banger.

Imagerie et esthétique

Inspirée par la mouvance rap du début de la dernière décennie, on ressent dans sa musique une éducation musicale variée et l’héritage profond d’un rap incisif à la plume soignée. NeS envoie des lines avec une technicité et une justesse d’écriture plus poussée, ses textes sont de plus en plus photographiques, rendant des couplets uniques et des refrains qui n’en sont pas vraiment. L’éclectisme des productions contraste avec une technique vocale pure et plus classique. Si l’égo-trip est toujours présent, l’artiste dévoile peu à peu son personnage très « loner » et nonchalant à travers des textes souvent nihilistes. Au fil de morceaux arborant des thèmes variants du sombre au clair, l’artiste continue la course et ne s’arrête jamais, toujours poursuivi par ses doutes. Les sonorités nous permettent de traverser ces différentes ambiances. La très céleste « PÔLE SUD – interlude » pose une production boom-bap décorée par des synthétiseur nappeux et flottants, puis les nuages changent de couleur avec « SANS CESSE » pour un détour plus sombre et lourd dans ses thèmes.

« Les ultrasons me guident dans l’noir Comme le quet-bri du type d’en face »

NES – la courseintro

L’image d’une flamme qui s’allume au milieu du noir complet est cinématographique. Elle symbolise un point d’ancrage, une lumière à suivre. Cette lueur se retrouve dans sa musique et, si elle peut paraître souvent lointaine, NeS nous donne l’impression qu’en plissant les yeux dans la bonne direction, il est toujours possible de l’apercevoir. Cette flamme a plusieurs combustibles : la rage, celle de le faire en équipe, de l’emmener toujours plus loin, cette volonté de surpasser toujours sa propre version de soi-même, c’est ça la lumière dans le noir pour NeS : « Mais j’ai toujours cru en moi, j’ai toujours vu la lumière dans le noir ».

L’imagerie autour de LA COURSE est également d’un autre niveau : « Mets le cash de Distro dans des visus l’ami ». La cover réalisée par le brillant graphiste salutcv est un mélange de minimalismes et de couleurs vives travaillé autour de la silhouette de l’artiste créant un ensemble polychrome. La sortie du projet s’accompagne du clip de « TOPAZ » qui va complètement dans ce sens. L’artiste casse cette dynamique très vintage de ses précédents clips remplis de rush en « fish eye ». Il arbore quelque chose de nouveau, plus mystérieux, plus mystique. Réalisé par TKSH film, le visuel met en scène le rappeur les yeux couverts dans un environnement vide et froid. Des larmes coulant du ciel viennent imager la phase « c’est pas des gouttes, c’est des larmes qui s’écoulent dans le vent ». L’esthétique visuelle est très photographique et d’autres plans synthétisent les thèmes du projet, comme celui où cette seule lueur émane de son être au milieu du vide.

photo clip TOPAZ NeS LA COURSE
Crédit : TKSH-Film

« On est tous un mec che-lou pour l’autre, si tu l’es pour trop de gens, c’est que t’es unique Moi, j’suis unique »

Nes – topaz

LA COURSE est le projet qui envoie NeS définitivement sur la map, celui qui étale ses meilleures cartes. L’addition de choix forts dans les productions et de ses performances vocales rend une copie intense, celle qui coupe le souffle durant quelques arrêts de métro. NeS monte clairement le score sur cette nouvelle étape. Il est gratifié d’un concert à La Boule Noire sold-out en quelques heures et d’un show d’un grand engouement au Grünt Festival. Pas sûr que cette course n’ait réellement de ligne d’arrivée, et ce n’est pas ce qui importe. Mais il est désormais de ceux qui font rentrer cette nouvelle génération dans une autre dimension.

Arthur Bobée

on navigue, on nage