« L’amour c’est rester avec les autres, s’aimer, ne pas se séparer. » Tels sont les mots de la plus jeune fille de Disiz à la question : « C’est quoi l’amour ? » Une grande partie de l’activité artistique de l’humanité a tourné autour de cette énigme. Tout aussi complexe qu’universel, c’est un concept qui n’a tout simplement ni bonne ni mauvaise réponse, qui ne porte pas de vérité. Dans cet album, Disiz nous raconte le cycle d’un long voyage, c’est un arc narratif, une quête intense du bonheur sentimental. C’est l’exploration de son être à travers cette thématique, et tous les différents stades qui traversent parfois le paradis, parfois l’enfer. Bref, « L’Amour » est son plus beau disque. C’est sa vie, c’est la nôtre aussi, c’est celle qui apparait dès l’instant où l’on ouvre son coeur. Alors cette musique – et cet article – peut parler à toi, à moi, et à un inconnu qui découvre l’album au fil de sa vie.
Acte 1 – L’enfer
Dans la pénombre de la nuit, une voiture est à l’arrêt, au bord d’une route pavillonnaire qui rappellerait autant nulle part que partout. Les aiguilles du cadrant indiquent zéro, les gouttes de pluie floutent les lumières de la ville à mesure qu’elles viennent s’écraser sur la vitre. Une goutte était de trop, mais pas celle de la pluie, la porte s’ouvre avant de se claquer, elle est partie. C’est fini.
C’est l’instant d’après qui est immortalisé. Notre personnage est seul, à l’avant de sa vieille Volvo XC90, l’air livide. Sa rétine retrace tous les moments, comme une pellicule qui se déroule entre nos doigts. On peut y apercevoir les silhouettes de nos photos, de nos instants, de nos souvenirs. Il attrape un disque de sa portière, l’insère dans le lecteur CD et entend les premières notes. Le cristallin se met à briller, une larme coule le long de sa joue. Tout n’a pas été parfait, mais c’était sublime.
Avant la fin d’une relation, il y a le début de la fin, tout un tas de questionnements et de doutes avant d’avancer vers sa terminaison. Le premier acte de L’Amour raconte l’agonie d’un couple, avec suffisamment de recul pour y mettre toutes les couleurs sur la toile. Dégradation progressive d’une union, l’album traverse la nostalgie d’une alchimie perdue, d’une liaison qui s’abîme, et de l’acceptation : la rupture. Ces morceaux arborent une ambiance assez froide sans tomber dans les larmes. Les productions sont très éthérées, minimalistes et subtiles. « SUBLIME » donne le ton à l’histoire grâce à un track où l’émotion monte en puissance au gré des envolées de guitare acoustique. Disiz dévoile une nostalgie passionnelle et emplie de tristesse.
À l’écoute de « CASINO » 8 mois plus tôt, je savais que Disiz allait revenir avec quelque chose d’intense au-delà de la musique. Réalisé par Yagooz, le clip est rempli de sincérité et d’émotions. La talentueuse Ophélie Bau réussit quant à elle à embellir l’esthétique du morceau. Cette chanson incarne le début de la fin, la dégradation et surtout l’étrangeté des relations humaines et sentimentales. Les productions de LUCASV sont très flottantes et aériennes, remplies de synthétiseurs organiques. Le BPM est lent et la petite quantité de mots est sublimée par une formidable justesse d’écriture enveloppée d’une proposition artistique raffinée. La beauté de ses paroles se dévoile grâce à un excellent équilibre entre le flou et l’excès de spécificité.
Le propos important à comprendre de ce premier acte est que, parfois, l’amour ne suffit pas. Avec « TUE L’AMOUR », l’univers du couple se désenchante. Encore sur une magnifique production très synthétique, l’épreuve du temps vient ternir le beau. Le morceau incarne le quotidien routinier et l’exaspération démesurée qui apparait au fur et à mesure, jusqu’à la faute.
Si « WEEKEND LOVER » sort du ton de cette première partie, c’est parce qu’elle incarne les prémisses de l’acte 2. Archibald Smith sort Disiz de cette situation et la faute finit par être commise : l’adultère, qui entraîne un « POIDS LOURD » sur le morceau suivant. C’est le point de non-retour, la culpabilité et la peine traversent les nappes mélodiques ponctuées par « ALLÉLUIA », morceau empli de vocalises étouffées, qui sonne comme un cri de soulagement. Ce premier acte s’effectue dans la douleur, la culpabilité et la résignation. L’obsession romantique de Disiz semble être coincée à l’intérieur d’une boucle de doutes internes mais parfois, le plus difficile est de partir avec le beau, le vrai, le sublime, juste avant l’errance.
Acte 2 – L’errance
Le regard plongé dans le fond d’un verre rempli d’alcool, le bar est rempli, c’est le retour en arrière. De nouveau adolescentes, les âmes s’enivrent et cherchent une autre moitié. Notre personnage lui, a perdu la sienne. La perdre, c’est comme être seul, avec du monde autour. C’est contempler tous ces gens qui s’aiment, c’est combler ce manque par l’éphémère et l’artificiel. Retour dans la grande machine sociale, l’amour et la sexualité se mettent à circuler, chaque chose a son prix, chaque chose est étiquetée. Un verre de plus et les portes de la dopamine s’entrouvrent complètement.
Et si à cet instant, c’était le moment d’appeler cette fille qui lui donnait son numéro quelques soirs plus tôt ? Se frayant un chemin jusqu’à l’extérieur, notre protagoniste jette une pièce dans la fente d’un taxiphone lugubre, sortant un papier abîmé de sa veste et compose un numéro.
Après la tempête, le ton et la musique du disque se décrispent à mesure que les thèmes prennent de la légèreté. Après avoir perdu une petite moitié de son être, il faut se retrouver, s’amuser. Il s’agit de la reconstruction dans un instant où l’on ne sait plus vraiment qui l’on est. Profondément inspirés de la musique des années 1980, Disiz et LUCASV puisent dans leurs influences comme Prince ou David Bowie. Une belle tranche de nostalgie qui crée une musique remplie d’éclectisme. L’artiste l’affirmait en interview, il ne s’agit pas vraiment de rap désormais. Les sonorités se nourrissent de la soul, du R&B et surtout de la funk durant cet acte. Cette deuxième partie, c’est vivre et se laisser vivre, oublier son passé, vivre une période hors du temps avant de retrouver un sens aux grains du sablier qui s’écoulent.
Le vide sentimental se comble par le biais de relations éphémères, une période de papillonnage amoureux que Disiz n’a probablement jamais connu auparavant dans sa vie du fait de son mariage précoce. Il retrouve alors son âme d’enfant grâce à l’errance. Le ton est plus joyeux et technicolor sur des morceaux comme « DISPO ? » et « ALL IN », à mesure que les packs de percussions viennent appuyer des ambiances très groovy et feutrées qui rappelleraient les moments jazzy d’un Rejjie Snow ou d’un Tyler, The Creator. Les prises de voix d’Yseult s’intègrent parfaitement à l’énergie aérienne de « CATCHEUR », une collaboration inattendue qui réserve une belle surprise.
Mais un détour à Bruxelles avant la sortie du disque aura modifié quelque peu la tracklist de cet album. Le talentueux Prinzly vient ajouter sa touche à la composition du projet avec « BEAUGARÇONNE », dans un fond musical plus catchy et une énergie débridée. Alors qu’on arrive sur la fin de cet acte, Disiz parvient à retrouver une insouciance pleine de vie, après avoir fait le plein de nouvelles rencontres, avant « la » rencontre.
Acte 3 – Le paradis / la rencontre
Disiz est assis au fond du siège. Sa frénésie de stress et d’adrénaline redescend après une course contre la montre à travers le terminal 2. Les réacteurs tourbillonnent, l’appareil traverse les nuages, les écouteurs se branchent. En un regard vers le hublot, le ciel se confond avec notre paysage sonore. Le ciel chaud et orangé tend jusqu’au mauve des fins de journée. Il rappelle ce tableau rempli d’une aura lumineuse et polychrome qui traine dans nos souvenirs. L’univers est nappeux, un sourire apparait sur le visage, et l’amour, c’est chelou wesh.
Puissamment décorative, la peinture de Gustave Klimt puise dans le symbolisme. Son art est dominé par les tons chauds et propose d’explorer l’invisible du monde. C’est ce que fait métaphoriquement Disiz sur la fin de ce disque. Il donne son nom au premier morceau de ce dernier acte. La lumière du soleil représentant la période estivale renaît et se mystifie à travers la production de « KLIMT » aux influences lo-fi & disco-pop.
Les morceaux en deux parties ont souvent tendance à faire partie de mes préférés, « KLIMT + TERMINAL 2 » ne fait pas exception à cette règle. La deuxième partie sert de vecteur temporel et devient très immersive grâce au sample d’une annonce d’aéroport. Disiz sort de sa zone de confort en chantant d’une voix aiguë et distordue, sa passion de l’amour et du risque. Le rappeur parvient à nous emmener dans ce voyage et ça se ressent directement sur « EMOJI SOLEIL JAUNE » qui démarre avec un bruit de moteur s’enclenchant. L’imagerie de cet acte devient toujours plus ensoleillée. Un featuring entre Disiz et Damso était toujours attendu par les fans. D’abord avortée sur Pacifique, cette alchimie aura bien lieu sur cet album : le morceau « RENCONTRE » traverse différentes ambiances.
Une mélodie douce vient précéder des rythmiques brutales sur un couplet abrasif du rappeur belge avant le retour de sonorités plus entraînantes. La joie de vivre de Disiz contraste avec la haine de Damso. Si, à mon sens, on se perd un peu dans la structure et le thème du morceau, c’est une grande réussite commerciale. Le morceau se hisse en haut du top 100 deux semaines après sa sortie, une première pour l’artiste à l’ère du streaming et a été certifié single de platine.
« L’amour c’est d’abord une rencontre, une rencontre de l’autre » affirmait le philosophe Alain Badiou dans son entretien avec Mouloud Achour. C’est la découverte progressive, la surprise de l’autre qui est si essentielle. C’est ce qui nous amène vers l’inconnu et nous fait prendre des décisions insensées telles que prendre un billet d’avion en direction de l’autre bout du monde. La paix, l’insouciance, les vacances, c’est sur ces notes que se clôture ce disque. Titre éponyme de l’album, « L’AMOUR » est un morceau empli de rêves, d’évasion. C’est la fin du cycle, le début d’un nouveau. Disiz a finalement réussi à retrouver son cœur d’enfant sur un morceau qu’il partage avec sa fille sur les voix de fonds, bouclant l’album de la plus belle des manières.
Epilogue – L’apaisement
Les trois actes de ce disque forment finalement une boucle. Infinie ou non, ce qui est certain c’est qu’elle continue de tourner. Les nuages noirs ne sont pas éternels, ils finissent toujours par dériver. Entre maîtrise et prise de risque, L’Amour est l’exutoire de Disiz, combinant des productions mélodiques et une sincérité textuelle des plus pures. Le disque semble avoir été une aventure humaine touchante pour tous ses acteurs. La relation établie avec LUCASV en est la plus belle preuve. Stagiaire dans un studio quelques années plus tôt, cette rencontre entre les deux talents a abouti à la création de cet album. Merci à lui, car ce disque est aussi le sien.
Les émotions de Disiz ont toujours été présentes dans les différentes phases de sa carrière, Disizilla avait embrasé beaucoup de négatif dans son âme. Cet opus, quant à lui, traverse sa vie sentimentale. On finit par y trouver beaucoup d’apaisement, de bonheur et de paix. Peu importe à quel point on réussit à gagner, à être heureux, on finira toujours par perdre. Et inversement, on finira toujours par trouver le bonheur à nouveau. C’est le sens qu’il parvient à donner à l’écoulement du temps sur terre à travers L’Amour. Madeleine deux semaines sur deux et des vacances : c’est tout ce qu’on lui souhaite désormais.
Pour aller plus loin, redécouvrez le parcours de Disiz, de La Peste jusqu’à L’Amour.