Durant la vie d’une étoile, son éclat et sa brillance se déploient parfois brutalement jusqu’à sa quintessence. Son intensité décline ensuite lentement jusqu’à son état normal. C’est ce qu’on appelle une novae. Le 13 janvier 2023, Yvnnis a présenté la sienne avec un nouveau projet, une image qui caractérise sa musique et ses états d’âmes.
Vendredi 10 février 2023, 20h56 : Lil Chick et RestonsFlex finissent de réchauffer l’énergie de La Boule Noire. Je check quelques potes et me dépêche de finir mon verre avant le début du show. Quelques minutes plus tard, la salle s’assombrit. Je reconnais la scénographie de Novae. Yvnnis fait ses premiers pas sur scène, vêtu du classique maillot extérieur d’Arsenal de la saison 2005-2006 floqué Thierry Henry, puis dévoile ses tresses plaquées comme Iverson. Le reste appartient à ceux qui y étaient. Ce que je peux dire, c’est que ce fut suffisamment inspirant pour que je me rappelle avoir un dossier « yvnnis chronique novae » qui traîne sur le bureau désordonné de mon ordinateur. Alors on y va.
Un produit éclectique
Dans la lignée d’une typologie d’artistes indépendants qui produisent de la musique avec une carte son et deux bouts de ficelle, Yvnnis n’a pas changé le wagon qu’il a emprunté depuis 2 ans déjà. PARHELIA et ETERNAL YOUTH composaient une carte de visite suffisamment brillante pour être attentif à toute actualité du rappeur. Il a su imposer sa marque avec quelques featurings marquants, une apparition sur le Grünt #52 de NeS et un freestyle électrique célébrant sa présence dans les 11 à suivre de Booska P. L’annonce d’un nouveau projet m’a alors fait glisser de ma chaise, impatient de savoir quelle direction allait prendre sa musique.
Novae est là. 10 titres et 25 minutes de morceaux intenses arpentent la métaphore d’une étoile atteinte d’un phénomène explosif, se mettant à brûler sans pour autant disparaître. Tout en maîtrisant l’art d’un rap brut, sa voix souvent monocorde vient maquiller des productions éclectiques et variées composées par un casting de luxe toujours familier. Avec les beatmakers ARTURO, BRI!AN, PLANAWAY, METO et LIL CHICK, il continue d’expérimenter des sonorités plus électroniques et froides dont on pouvait déjà distinguer les prémisses sur ses projets précédents.
Ce nouveau disque laisse d’ailleurs davantage d’espace aux producteurs, notamment sur les introductions et les fins de morceaux. Les loops sont toujours soigneusement complexes et nappées de textures numériques. Aussi variés qu’ils soient, les drum-kits laissent toujours de l’aération et de l’espace sur l’instrumental. Finalement, on a l’impression de se retrouver au milieu d’un espace créatif de distorsion sonore. Chacun de ces compositeurs dépose un trait de pinceau sur la toile finale.
Novae est aussi le premier projet de Yvnnis délimité par une véritable direction artistique à l’image. Réalisées par le talentueux @_bhttt, la cover et la tracklist sont dessinées à la main avec de l’encre de Chine et du Posca. Le dessin est ensuite retravaillé au numérique, assurant un équilibre entre authenticité et modernité, à l’image de la musique. Le travail autour des couleurs froides et des nuances de bleu qui virent jusqu’au violet permet une immersion dans l’univers sombre du projet. Un monde également complété par les clichés de Léa Esmaili et les clips de « Washington » et « Héros » réalisés par TKSH Films.
Atmosphérique old-school
Yvnnis est un artiste complexe à définir. Son rap est empli de technicité brute et de références à une culture hip-hop au sens large qui s’étend jusqu’au siècle dernier. Et il n’attend pas longtemps pour nous le faire savoir. Dès que « Cbpm » dévoile ses premières notes, il en place une pour ses légendaires pairs du rap américain : « J’écoute Biggie, Nas, j’écoute no digitty. » Puis, il nous offre une transition exceptionnelle vers le morceau suivant en samplant l’iconique phrase du métrage noir et blanc Impact sorti en 1949 : « Ladies and gentlemen, it was a cold-blooded, premeditated murder ». Bienvenue sur « Washington », la main track aussi abrupte qu’un coup d’épaule de Sol Campbell, aussi technique qu’une passe de Mesut O¨zil.
Le morceau brille de ses pianos teintées de distorsions et de dégradation qui rappellent un instrument poussiéreux dans le fond d’une maison abandonnée. Impossible de passer à côté, Yvnnis écoute Coltrane, pas Goldman. Légende américaine du jazz issu du mythique label Blue Note, il est alors facile de faire des ponts sur les influences du rappeur. Le bleu se retrouve partout dans le projet. De la cover, aux photos promotionnelles en passant par la connotation mélancolique que cette couleur évoque.
A l’image des joueurs de foot légendaires comme Ian Wright ou Cantona, ses références old-school surprennent. Il utilise le titre « Give me the night » de Benson Georges pour clamer son attrait pour la solitude, puis il reste seul dans l’impala, vieille Chevrolet américaine des années 1960’s. Tous ces éléments s’imbriquent pour créer la colonne vertébrale nostalgique d’une musique davantage animée par des images fortes que par des schémas de rimes pointues, figures de styles ou autres multi-syllabiques.
Une toile froide et mélancolique
Novae n’est pas l’étape qui nous plonge véritablement au cœur de ses réflexions. Yvnnis est un artiste qui reste mystérieux. C’est quelqu’un qu’on ne connaît pas encore et qui met une distance entre sa vie personnelle et sa musique. Cependant, grâce au thème sonore du projet et quelques lignes, il laisse au compte-goutte quelques indices sur son intrigant personnage qui vacille entre arrogance et mélancolie.
Lil Chick dévoile la surprenante prod de « Héros » sur un fond de drum and bass tandis que « Nx2 » combine ses névroses à une mélodie à vent qui rappellerait la bande originale d’un film dramatique. L’arrogance du rappeur s’élève sur l’ambiance lugubre de « Sur Le Gun » quand « Vla » dessine la lourdeur et la froideur de son univers. Aamo, seul featuring, apporte une légèreté grâce à sa voix chantée qui se balance sur un piano doux et mélancolique dans « +74 ». Les pianos sont constamment présents, ils traversent les morceaux et s’entremêlent aux balades sonores électroniques. Yvnnis lui, exploite toutes ces différentes teintes musicales aux penchants expérimentaux pour dévoiler un spleen hivernal intense et subtil.
Avec le libérateur « Soleil Pluvieux », la conclusion du projet condense toutes les différentes directions artistiques symboles d’une versatilité novatrice. Les synthétiseurs expansifs explosent sur un fond de percussions électroniques et prennent seul leur envol sur le morceau. Ce dénouement se conclut sur une note plus lumineuse, comme un soleil de fin d’après-midi qui vient chasser les nuages d’une journée grise et déprimante.
Finalement, c’est un artiste dont l’envie irrépressible de rester dans l’ombre se ressent. Toute cette rage et cette mélancolie sont traversées par un puissant désir de réussite, de trouver la paix. Sa novae, c’est aussi faire parler sa musique à sa place. À défaut d’avoir une bonne étoile qui le guide dans sa quête, Yvnnis est obligé de faire briller la sienne avant de rentrer à la maison. Si cette étoile luminescente reprendra son état normal, elle finira par rejaillir au détour d’un prochain projet.
Yvnnis fait définitivement partie de ces acteurs qui brandissent le drapeau d’une musique sans concession. Tout cela prend du temps, le travail dans l’ombre est souvent long. Mais comme Arsenal, il se pourrait bien que 2023 soit la bonne année pour soulever la coupe. En attendant son sacre, Yvnnis sera à retrouver sur plusieurs dates du 1863 TOUR : à Bordeaux le 31 mars et à Rennes le 14 avril.
Pour aller plus loin, découvrez la chronique du dernier disque de NeS, LA COURSE.