Ucyll & Ryo : voyage au centre de soi

Ucyll & Ryo n’ont plus rien des jeunes artistes endurcis sur Amour Hôtel ou musicalement assidus sur Cahier de Vacances. Si leur dernier projet était un devoir sans faute à la fin de l’été 2021, la peau des yeux les place en paroliers et chimistes des émotions. Rencontre.

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Crédits photo : Fabien Hemard

Taxi avant tout

L’album est sorti. Un air de soulagement parcourt la chambre d’Ucyll. Ryo pianote, le masque de Beuni traîne sur le canapé, les prints de Simon dorment sur le lit et Sacha, toujours au téléphone, organise la suite des événements. L’univers familier du collectif Taxi [composé de leurs amis artistes Simon, Sacha, Ucyll & Ryo, Isma, damour, Cronksss et Baron, ndlr] n’a pas fait exception à la peau des yeux. Proches depuis le lycée, Taxi forme un « collectif indispensable et indivisible », comme me l’explique Ucyll. S’il était aussi essentiel de composer dans un environnement familier, même fraternel, c’est pour la confiance, la stabilité et l’influence. Le groupe se connaît depuis de nombreuses années maintenant et s’est mutuellement influencé.

Par exemple, Simon dit au groupe que s’il fait du graphisme, c’est parce qu’il graffait avec Ucyll ou commandait des stickers avec Ryo. Quant à Sacha, leur manager qu’ils surnomment « auxiliaire de vie », est un ami de longue date avec lequel ils faisaient déjà du son avant de nouer des liens plus professionnels. 

C’est donc naturellement que l’équipe a concocté ce retour aux sources, prévu depuis leur dernier projet. Pendant cette pause à durée indéterminée, chacun a eu le temps de travailler son identité musicale en mettant à plat ce qu’il se passait dans leurs vies respectives. Ryo a développé sa pâte compositrice en découvrant de nouvelles inspirations en Himera, Sega Bodega, Cascada, Oklou ou encore le label PC Music de AG Cook. Ucyll, de son côté, a pris le temps de laisser partir Beuni sur la fin ouverte qu’il méritait. S’il est difficile de prévoir un retour, Ucyll & Ryo font partie de ceux qui, inconsciemment, savaient que ce projet allait voir le jour.

À la recherche du soi perdu

La peau des yeux est une réelle immersion dans la multitude des genres appréciés par les artistes. L’auditeur voyage entre l’électro, le rap et la pop. Les tonalités oscillent entre mélodies joyeuses se brisant au contact du choc de l’accident, l’obscurité de « Mercredi 13 », des « Fantômes », et se clôture sur l’espoir final d’une renaissance sur « Pour l’instant ». À priori très distincts, ces genres sont parfaitement maîtrisés et mêlés au fil conducteur du projet, contant la quête identitaire de deux individus. Ucyll & Ryo nous confieront que cette diversité s’explique par leur rôle de compositeur. « La production nous permet de viser de plus larges panels en plus de notre interprétation, c’est assez varié. Et humainement, même si nos chemins musicaux sont différents, nous avons une relation de confiance. S’engager sur le terrain de l’autre n’est donc pas compliqué » décrit Ryo. 

Au regard du parcours musical des deux artistes, on peut ressentir une cohésion et une compréhension mutuelle. Si Ucyll, moins habitué à poser sur de l’électro, a sûrement ressenti un défi face à « La main qui se lève » [première prod composée, bien avant le début de l’écriture globale du projet, ndlr], Ryo, quant à lui, est plus éloigné de la stylistique de « Malaise ».   

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Crédits photo : Simon Stewart

« Ce n’est pas ce que j’imagine produire de mon côté alors c’était plus difficile de se projeter. Je savais le propos que j’allais y apporter, donc ça m’a aidé. Finalement, c’est très enrichissant, ça m’a donné envie d’aller au maximum de mes limites », avoue Ryo. En dehors de la recherche musicale, la découverte humaine est la clé centrale de la compréhension et de l’écoute du projet. Ucyll la décrit même comme un « pèlerinage spirituel ». Dans ce projet, les deux individus vagabondent entre soirées électro et se perdent lors d’instants de souvenirs où les fantômes prennent le dessus. 

Tout au long du projet, le regard pesant des deux fantômes observateurs accompagne la quête des personnages et incarne à merveille toutes les thématiques abordées ou imaginées. Ucyll explique que ces fantômes sont « des émetteurs et des récepteurs ». Mais les deux artistes ne les incarnent pas. S’il y en a deux, c‘est pour la pluralité. Ucyll nous dévoilera également que « parfois, le fantôme apparaît seul car il s’agit d’instant de solitude intime, ou à deux lorsque le personnage se trouve accompagné mais ressentant une forme d’isolement. » 

Le travail visuel de Simon Stewart, accompagné par Sacha Lenoir, a permis d’approfondir par une immersion visuelle remarquable la parole des deux rappeurs. Le retour du duo a été annoncé par une étrange photo publiée sur Instagram, avec une localisation menant vers le Canton de Gramat se trouvant dans une vaste forêt. Depuis Cahier de vacances, tourné uniquement dans des plaines, la place de la nature semblait omniprésente dans la direction artistique de Ucyll & Ryo. La peau des yeux n’y échappe pas.

Crédits photo : Simon Stewart

La nature est « un mélange de fascination et de facilité. La nature ouvre des tableaux, des scènes et des paysages sublimes. Tu as juste à t’y rendre et à filmer, ce sont des studios de cinéma géants et gratuits. C’est très inspirant pour y créer l’histoire que l’on veut », glisse Ucyll. De son côté, Ryo explique s’être détaché d’une forme de pensée traditionnelle des visuels rap. « Souvent cela passe par de l’égotrip, de clipper dans des appartements, que j’aime beaucoup et qui reste une culture à part entière, mais j’ai besoin de rêver. La nature est un lieu fantastique qui nous détache d’une image grise et morose, même si certains considèrent que l’album a l’air sombre. »  

« Il n’y a rien de factuel, ce n’est que de l’ordre de l’émotion. On se forçait presque à ne pas mettre de mots concrets. On a gardé l’ancre levée dans le courant, en se laissant aller sans prendre le virage du concret et en laissant une part de mystère. »  

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La conception d’un album intimiste

Pas à pas, les deux personnages traversent le labyrinthe de la forêt, les yeux fermés en se tenant par la main vers la découverte de soi, suivis par leurs fantômes. La peau des yeux est donc un titre caméléon à l’image des différentes étapes du deuil de l’ancien soi. On y ressent une forme d’aveuglement, de mélancolie, de fatigue. Sans la musique ou les textes, ce titre n’a pas de sens mais toutes les différentes interprétations de l’auditeur lui donnent une vie unique à chaque écoute.

Ucyll avoue avoir trouvé ce titre la veille de l’envoi du projet. Son origine se trouve dans les débuts musicaux des deux artistes. « L’inspiration principale se trouvait dans une ancienne phase de Ciel du projet Amour Hôtel, où Ryo a écrit une phase absolument merveilleuse. Je relisais nos anciens textes et ça a été une évidence », m’expliquera-t-il.

« Ciel est bleu, presque transparent,

Comme la peau, les yeux,

Comme l’âme de nos parents »

Ucyll & Ryo – Ciel

Globalement, ce projet reste marqué par l’écriture imagée et métaphorique des deux artistes. Les thèmes difficiles tels que la solitude et la dépression sont illuminés par des rapprochements plus légers comme les larmes en « cuisinant la quiche » ou le « poulet-riz du daron ». Ryo considère que cela fait écho à notre façon d’être au quotidien : « on peut en dire beaucoup mais à la fois être pudiques sur certains sujets, de lier le sérieux avec une part de lumière. Je n’y avais pas pensé lors de l’écriture mais dans le clip du Code de Myth Syzer, Muddy Monk coupe une tomate et se fait un sandwich en pleurant. Cette quiche aura donc toujours un goût de solitude… d’œuf je voulais dire. »

Muddy Monk dans le clip du Code de Myth Syzer

D’un point de vue écrit et musical, Ryo affirme sa pâte artistique dans le projet, tant en lyriciste qu’en musicien confirmé. Après de timides apparitions sur REP Beuni d’Ucyll ou sur AA de Moyà, Ryo est aux commandes sur « pour l’instant », titre entièrement enregistré sur un piano à queue. De nombreux titres ont été composés au piano à l’ordinateur comme sur « La main qui se lève », « Nasubi », « Bouche cousue » et « Fantômes » qui s’avèrent très prometteurs : « Le piano, c’est mes premiers pas dans la musique, grâce à ma mère qui m’a transmis ce savoir. Pendant toute mon enfance, je l’ai étudiée de façon professionnelle au conservatoire. J’ai ensuite quitté le système académique classique pour me consacrer à la composition sur ordinateur. J’ai entièrement composé ce morceau et j’avoue que j’aime bien le résultat alors je risque d’en refaire. »

Sa composition est un voyage dans l’ensemble de ses inspirations. Originaire du Japon par sa mère, Ryo comblait la rigueur des programmes classiques du conservatoire en jouant la mélodie phare du « Château Ambulant » composé par Joe Hisaiachi et réalisé par Miyazaki. Peu à peu, ces sonorités se sont mêlées à sa pâte de compositeur. Il explique vouloir assumer ses influences tout en gardant un format propre à sa musique. C’est un mélange d’inspirations très jazz et classiques à la fois, comme Miyazaki ou Ryuichi Sakamoto, tout en gardant des sonorités actuelles. 

Une recherche perpétuelle

L’intérêt de ce projet réside dans sa diversité. Les thématiques abordées sont capillaires. Pour réussir à les exprimer, un énorme travail sur soi s’est imposé. Les deux amis se sont retrouvés au début de l’année, et ont mis à plat toutes les étapes traversées. Chacun y a retrouvé une forme de thérapie par la parole. Les artistes ont fait le choix de mettre en avant des personnages qui se mentent à eux-mêmes. Ils mentionnent sans détour la consommation abusive, la dépersonnalisation, le mensonge à soi-même et la paranoïa où le point en commun reste le voile sur la réalité.

Dans la première partie de l’album, Ucyll & Ryo décrivent un aveuglement et un enfermement dans une joie extrême, « un orgasme démesuré » où tout est « Super ». Tout conduit à l’implosion, le mensonge à soi-même n’est plus possible. Tout explose et une remise en question qui conduit à l’autothérapie s’impose.

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Crédits photo : Fabien Hemard

Si la peau des yeux a eu l’effet de thérapie sur Ucyll & Ryo, elle n’en reste pas moins cyclique. D’une façon ou d’une autre, tout finira par revenir. Ucyll y a trouvé le chemin vers l’ouverture de soi et Ryo celui du bien-être plus intime et indépendant des autres, mais tout cela n’est que pour l’instant : « cet album a été un voyage humain avant tout. Nos deux protagonistes avancent pour le meilleur et pour le pire. On pourra s’attendre à de nouveaux projets en duo dans des rendez-vous de thérapie mutuelle tous les deux ans. »

Entre deux rendez-vous, Ucyll prépare son retour en solo et Ryo concocte de nombreuses surprises. Nous attendrons le passage du Taxi aux deux supers chauffeurs, et trouverons une petite place à l’arrière.

Pour aller plus loin, replongez-vous dans le personnage de Beuni avec Ucyll.

Alissa Polonskaya

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