Taemintekken : « Je travaille pour disparaître, pas pour briller. »

Au sein de cette nouvelle génération gravite bon nombre d’artistes où les producteurs règnent en chef d’orchestre. À Lyon, il était temps d’apprendre à connaître Taemintekken, dont l’envie, la passion et la vision débordent au sein de sa démarche artistique. L’occasion de découvrir un producteur dont le talent n’est plus à prouver.

Tu peux te présenter ?

Je suis Taemintekken, je viens de Lyon, j’ai commencé à m’intéresser au beatmaking il y a bientôt 4 ans. J’ai commencé dans mon coin et depuis peu je commence à placer à droite à gauche.

Lyon est une ville dans laquelle la scène musicale commence à rayonner. Peux-tu nous en dire plus sur son identité ? 

C’est vrai qu’à Lyon, il y a énormément de rappeurs qui aujourd’hui font du bruit en France. Je pense à Ashe 22, Sasso, LaF, l’Allemand, Lyonzon. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, ça donne beaucoup de visibilité à d’autres artistes à Lyon qui méritent aussi qu’on prenne le temps d’écouter leur musique. Et puis à Lyon, il y a beaucoup de connexions entre nous. Il n’y a aucune honte à feat ou à se partager entre nous, je pense que ça peut être notre force.

D’ailleurs, tu travailles étroitement avec une artiste lyonnaise, Lison. Raconte-nous cette collaboration qui semble s’étaler sur le long terme. 

Avec Lison on a une relation d’humain à humain. On ne se force même pas à faire du son ensemble vu que humainement on se comprend, on se voit très souvent et on se soutient dans la vie en général. On a sorti 2 EP ensemble. Le premier lui a servi de carte de visite, un peu comme une ouverture sur son univers et sa façon de s’approprier la musique. C’est une personne qui porte beaucoup d’attention à l’énergie, au feeling de sa musique. Ce qui ne nous permet de rien laisser au hasard dans notre musique, chaque morceau a son histoire et t’amène à une réflexion, à un sentiment particulier.

Pour le second volet, j’ai voulu ramener des collègues beatmakers, Anasx4, et Nayboii que je considère très forts dans ce qu’ils produisent afin d’apporter une autre qualité à cette collaboration. Le troisième volet sera le dernier et est déjà prêt avec de belles surprises dessus ! »

Comment tu définirais ton style ? 

J’essaie de faire la musique que je souhaite entendre, je ne me force pas quand je fais de la musique. J’essaie de ne pas suivre une tendance particulière, mais plutôt faire en sorte que ma musique devienne une tendance. En tout cas, il faut s’attendre à tout type de prod avec moi. Mais je dirais qu’inconsciemment, ce qui en ressort le plus de ce que j’ai pu entendre autour de moi, c’est assez nostalgique et unique. Avant le beatmaking j’étais un breakeur et j’ai, de ce fait, beaucoup d’influences breakbeatn, jazz, boombap aussi que j’intègre inconsciemment dans ma musique.

Tu travailles également avec le Maroc, notamment avec Issam à l’occasion de son dernier album Crystal. C’est assez incroyable de te voir aux côtés de Prince85 sur une tracklist, et même en co-prod. Ça représente quoi pour toi ? 

Ça représente beaucoup de choses pour moi. C’est quelqu’un qui a produit des sons qui ont influencé la musique d’aujourd’hui, comme par exemple Drake, Lil Wayne, The Weeknd et j’en passe. Il a une identité musicale propre à lui et je salue les producteurs comme ça. La connexion a été incroyable et je remercie Issam d’avoir participé à ça. D’autant plus que le son qu’on a produit est très lourd et qu’on retrouve nos deux identités dessus. Encore une fois, la connexion humaine est très importante, elle fait presque tout. Au moins je sais que je ne suis pas fou quand je parle de ma musique et que quelqu’un comme Prince85 puisse être touché par ça. Ça me confirme que je dois continuer de croire en moi et en ce qui m’arrive. »

On peut s’attendre à te voir travailler régulièrement avec Issam ? Et avec l’international de manière générale ?

J’ai pour habitude de toujours suivre et de continuer à travailler avec les gens avec qui je suis déjà connecté, donc faut s’attendre à d’autres collaborations qui sortiront ! Avec des artistes issus de la scène marocaine, on prépare beaucoup de choses qui sortiront vite. Mais sinon, je travaille avec des artistes vivant au Canada, en Belgique, Italie, Espagne, Angleterre. A voir comment ils veulent sortir le projet et quand. Mais de manière générale, le but c’est de s’exporter et de toucher le plus de monde possible que ce soit les origines, les religions, les mœurs différentes.

En France, tu es plutôt associé à la nouvelle génération. Tu travailles entre autres avec Khali, Madeinparis, Slimka, Zuukou Mayzie, Bushi et Kobo. Que penses-tu de cette scène ? 

C’est une scène qui brille énormément et qui continuera à briller, j’en suis sûr. Ce sont des artistes qui sont en train de travailler leur joyau et, petit à petit, le diamant commence à se former. Certains sont déjà plus avancés que d’autres, mais ce que je retrouve dans cette scène c’est l’envie qu’ils ont à apporter de la qualité, quitte à prendre des risques. Ils ont compris beaucoup de choses, par exemple la façon de travailler avec les beatmakers, c’est-à-dire qu’ils vont privilégier de travailler avec très peu, voir un seul beatmaker, mais au final sortir des sons avec une identité forte, unique et poussée. Cette scène a aussi porté plus d’attention au travail de producteur et donne enfin plus de reconnaissance aux gens de l’ombre, ce qui est une bonne chose.

Quels sont les morceaux dont tu es le plus fier, et pourquoi ? 

Le morceau dont je suis le plus fier et qui est sorti est « Wra Tabi3a » avec Issam et Prince. Il me tient plus particulièrement à cœur parce que ce sont deux artistes que j’apprécie et que le son, le visuel, les lyrics sont tellement beaux. Je suis fier d’avoir apporté ma pierre à l’édifice dans cette culture marocaine et d’une belle manière. Je pense aussi à « 20-«  avec Khali, qui est une inspiration pour moi mais aussi récemment « Qatari » avec Bushi. C’était le premier son qu’on a fait ensemble quand on s’est vu et c’est le premier son qu’on a décidé de sortir. Mais sinon, le son qui me touche le plus n’est pas encore sorti, il attend dans mon ordi bien gentiment.

Il y a des artistes avec qui tu tiens particulièrement à travailler ?

Franchement, il y a beaucoup d’artistes avec qui j’aimerais particulièrement travailler. Je pense à Lucki, Pyrex Whippa, Eli Sostre et Travis Scott à l’international. Ce sont des artistes qui, musicalement, m’ont débloqué des choses dans ma musique. Après, comme beatmaker international il y en a tellement aussi, comme Timbaland, Wondagurl, OZ, LondonCyr, Southside

Mais sinon, je travaille très étroitement avec Bushi et Jolly. On s’entend très bien musicalement et humainement et ce qu’on arrive à créer vous allez bientôt l’entendre, c’est très sérieux. C’est comme des frères pour moi, on se voit presque tous les jours. Sinon, travailler avec la scène marocaine est vraiment un plaisir. Ils sont tous ouverts musicalement et sont très innovants, je pense à Issam, à Ot Sygma et à tout le Somnii. J’aime aussi travailler avec mon collègue graphiste @nomorecihan qui est très fort dans ce qu’il fait et qui nous aide à faire les covers et les canvas pour les EP avec Lison.

En réalité, en France, les gens avec qui je tenais à travailler, je travaille déjà avec eux, que ce soit les artistes comme les beatmakers. Je ne vais jamais forcer une connexion. Je laisse les choses faire et je trouve que comme ça on peut aller plus loin en terme de connexion et avoir des surprises.

Parle-nous du travail de producteur. Comment tu le perçois ?

Aujourd’hui, ça suffit plus d’être seulement producteur, il faut savoir presque tout faire. C’est comme ça que je le perçois. C’est pour ça que j’encourage tous les producteurs à se dépasser et de commencer à faire des mix, des covers, faire des études de stratégies de communication, savoir vendre sa musique etc. Pour moi, c’est comme ça qu’on crée une identité aussi, quand on sait gérer la production, le mix, le master etc. De producteur on devient vite directeur artistique.

Après, en termes de musique, je ne me suis jamais dit qu’il fallait que ma musique plaise aux gens. Tout est relatif et c’est ça qui est beau, on pourra jamais plaire à tout le monde. Pour moi, tu peux avoir la meilleure prod du monde, ce qui est super relatif, mais si elle dort dans ton PC, ça ne sert à rien. Il y a tout un art derrière le fait de vendre sa musique et de la communiquer. Les gens commencent à comprendre ça. On a de plus en plus de beatmakers qui se mettent à poser sur leur sons, ou les beatmakers qui sortent des projets solo ou d’autres qui deviennent ingé son ou encore DA.

Cependant, en tant que producteur, il n’y a aucun secret. Il faut travailler sa musique pour en faire ressortir le meilleur et c’est pas juste avoir le dernier plugin ou le dernier VST qui va permettre ça. Il faut étudier, écouter beaucoup de musique, se mettre devant son PC et travailler. Plus on va considérer ce qu’on fait comme un métier et plus il sera notre métier. Chacun a sa vision d’être producteur et je respecte chaque vision. Personnellement, je bosse pour disparaître, pas pour briller.

Un conseil à donner à la nouvelle génération de producteurs ? 

Musicalement, mon conseil serait de ne jamais se brider et d’avoir peur d’essayer. On est gagnant du moment qu’on essaie, réussir vient après. Je ne connais personne qui a réussi sans jamais essayer, ça n’existe pas. Dans la vie en général, je dirais qu’il faut être soi-même et accepter ce qui nous arrive et en être reconnaissant.

Comment s’annonce la suite pour toi ? Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ?

La suite arrive très vite. Il y a de très belles choses qui vont sortir. Je continue à travailler dans mon coin en essayant d’être meilleur chaque jour que Dieu fait, tant dans ma vie personnelle que professionnelle. On peut me souhaiter la villa sur la mer avec maman. Pour de vrai, on peut me souhaiter la santé et l’argent c’est le plus important.

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