synthétiseur modulaire

Le synthétiseur modulaire, la machine qui défit le son

Parmi les quelques merveilles du monde qui peuplent le milieu de la musique, le synthétiseur modulaire défit la concurrence. Lumière sur cette bizarrerie surdimensionnée qui a influencé les plus grands artistes.

tonto synthétiseur

Lorsque l’humain s’attribue un contrôle total sur la nature cela à quelque chose d’inhumain, qui dépasse le concevable. Pourtant, certains exploits peuvent très vite devenir fascination sans pour autant défier la morale. Ceci est le cas des outils technologiques qui se greffent à la conception musicale. Car si la technologie laisse tout un pan de population dans une paranoïa latente, celle-ci réussit aussi à fasciner une variété d’experts. Et le milieu de la musique l’a bien compris avec des prouesses techniques qui se renouvèlent au fil des années. Les instruments dits « classiques » se voient être customisés pour laisser place à des versions 2.0 d’eux-même en format numérique.

Par exemple, on y trouve le piano qui vient être filtré par l’électricité environnante pour aboutir aux synthétiseurs modulables. Cette évolution du modèle piano acoustique vers un outil aux facultés décuplées pouvant aborder un large panel de sonorités avait déjà de quoi étonner les experts en 1952. Mais comme si cela n’était pas suffisant, les ingénieurs iront jusqu’à décomposer le son. Au point de pouvoir maîtriser chaque fréquence en chassant les modules, le tout réparti aux quatre coins d’un appareil métallique surdimensionné. Ainsi est né le synthétiseur modulaire, créé pour offrir une déconstruction totale du bruit électrique. 

modular synth

Peut-être en avez-vous déjà aperçu sans réellement comprendre leur utilité. Des studios remplis de machines collées aux murs maculés d’espaces où sont branchées des prises jack. Ce décor de proto science-fiction se compose d’oscillateurs, de filtres, d’enveloppes et d’amplificateurs reliés sous forme de chaînes de traitement. Le but est d’y ajouter son grain de sel afin de modifier les signaux pour aboutir à des sonorités incongrues. 

Car, tandis qu’un synthétiseur formaté dispose d’une tension prédéfinie pour chaque touche dont il dispose, les modulaires, quant à eux, en sont dépourvus. Ainsi, ces signaux analogiques qui nous parviennent peuvent être modifiés à notre guise contrairement à un simple synthétiseur qui, pour sa part, contrôle par lui-même les signaux. Ces modules sont dictés par les entrées et les sorties que l’ingénieur peut manipuler comme il le souhaite. 

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Pour mieux identifier ces signaux, ils se matérialisent sous forme d’ondes aux courbes diverses. Tandis que certaines peuvent être sinusoïdales – telles des vagues -, d’autres peuvent être carrées ou triangulaires en fonction des besoins harmoniques. Elles sont représentées sous un graphique qui permet de se rendre compte des fréquences que l’on peut contrôler dans une opération de filtrage en changeant leur apparence. Ainsi, le manipulateur peut régler, mixer, combiner, commuter la tension de chaque module à l’aide des câbles que l’on « patch » sur l’appareil. Ce sont d’ailleurs une variété d’acronymes qui viennent définir les larges possibilités de la machine : le VCO pour l’oscillation, le VCF pour le filtrage ou encore le VCA pour l’amplification. On comprend alors que le musicien qui s’empare des synthétiseurs modulaires peut explorer une infinité de sonorités qui s’entrechoquent pour donner une musique malgré tout mélodieuse. 

La naissance du monstre

Une telle prouesse doit être attribuée à deux hommes, Robert Moog et Donald Buchla. Chacun de leur côté, il sont créateurs des premiers modulaires sous leur marque respective que sont Moog et Buchla. Ainsi, dès 1963, l’outil est commercialisé et un certain Morton Subotnick s’empare du produit Buchla. Il offre un album expérimental venu donner une saveur à la tension des signaux. En résulte Silver Apples of the Moon en 1967, réel premier pas dans la concrétisation d’une musique encore inconnue auprès du grand public. Pendant une trentaine de minutes, Subotnick s’amuse à faire vaciller les voltes pour donner naissance à une ballade hypnotique. Les oscillations jaillissent sans crier gare sous la forme de courbes sinusoïdales. Distribué par Columbia Records, Silver Apples se définit comme le premier disque composé de synthétiseurs modulaires à passer par les circuits de distribution classiques et recevoir un succès certain. 

L’année suivante, le groupe au nom hautement similaire Silver Apples dédie tout un projet éponyme aux synthétiseurs modulaires, le tout dans une esthétique rock. Le titre d’ouverture « Oscillations » est le parfait exemple de cet alliage entre deux technologies distinctes par ce savoureux mélange d’oscillations et de riffs. Puis Emerson, Lake and Palmer, autre groupe formé en 1970, s’amuse aussi de ce melting-pot avec leur titre « Lucky Man ». Le morceau à l’acoustique minimaliste vient surprendre l’auditeur lors de la minute finale où s’impose une variété de signaux mélodieux.

Plus encore, Wendy Carlos, notamment compositrice des BO de Shining ou Orange Mécanique, aura su faire sa place dans le monde de l’électronique grâce à son projet Switched on Bach. Le concept était de rejouer les compositions de Jean Sébastien Bach avec des synthétiseurs Moog. Cette novation d’une musique originellement aux antipodes de celle du XXe siècle arrive à se classer à la dixième place du Billboard 200. Preuve que le modulaire avait un marché à conquérir.

Un tel engouement s’étend chez des groupes majeurs comme les Beatles ou The Doors. Les modulaires s’immiscent également dans les studios d’enregistrement de grands labels. Un groupe comme Pink Floyd donne un nouvel essor à cet instrument en lui dédiant une place importante dans leur discographie, notamment dans l’album Meddle avec un titre comme « Echoes ». Ici, les oscillateurs résonnent tels des gouttes de pluies en pleine chute sur le bitume. Le synthétiseur modulaire se répand au point de dicter un partie du rock que l’on nommera plus tard progressif.

Le synthétiseur modulaire s’invite dans la pop

Les années 70 sont alors celles qui laissent à la monstrueuse machine la place de s’étendre dans une tripotée de genres musicaux. Et notamment celle que l’on nomme Tonto exploitée dès 1971. Véritable engin de guerre acronyme de « The Original New Timbral Orchestra. », ce modulaire avait pour ambition d’être le multitimbre polyphonique analogique le plus complet de son époque. Cela implique une infinité d’auteurs et d’intensité des sons. Les auteurs de ce projet, Robert Margouleff et Malcolm Cecil, exploiteront Tonto lors de trois albums sous le patronyme Tonto’s Expanding Head Band. Le plus connu, Zero Time, offre une danse entre l’électronique et les saveurs psychédéliques de son époque. Il suffit de parcourir les formes disparates de la couverture pour comprendre que les couleurs baveuses ne sont en aucun cas un hasard et que les pilules de LSD ne traînaient jamais non loin du studio.

Toutefois, ce n’est pas moins pour sa prouesse technique que pour son impact dans la musique pop que le produit porte un intérêt tout particulier à nos yeux. En effet, ce sont des stars de renoms qui viendront toquer à la porte des deux créateurs afin d’incorporer les sonorités de Tonto à leur futurs albums. Parmi eux, un certain Stevie Wonder lancera l’initiative lors du processus d’enregistrement de Music of My Mind, Talking Book, Innervisions et Fulfillingness’ First Finale. Ainsi, d’autres soul man lui emboîtent le pas tels que The Isley Brothers, Quincy Jones, Diana Ross ou encore le légendaire Gil Scott Heron pour ne citer qu’eux. 

Ainsi, le Tonto, malgré sa taille imposante, investit les locaux du légendaire studio Electric Lady. Le label de Détroit Motown Records empreinte aussi régulièrement l’appareil pour leurs multiples artistes. Plus encore, le Tonto ne se limite pas à la soul ou le funk. Il était quasiment prévisible de la voir s’attribuer un rôle premier dans les bandes originales de grands films qui l’utilisent pour moduler un son suspendu lors de scènes mythiques. Parmi eux, la mythique comédie musicale Phantom of the Paradis de Brian De Palma

brian de palma

Si, suite à ces expérimentations dans la musique populaire, le synthétiseur modulaire s’essouffle peu à peu avec la fin du disco et l’apparition du punk, certains genres continuent à exploiter la bête, notamment dans la musique ambient. Jean Michel Jarre, français pionnier du genre, aura perpétué cet héritage dans un exercice similaire à celui effectué dans les années 70. Ainsi, une ribambelle de techniciens s’amusent à pousser les modulaires dans leurs derniers retranchements encore à ce jour. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir traîner un large contenu à propos du synthétiseur modulaire depuis YouTube

Cependant, avec l’arrivée du numérique qui offre toujours plus de possibilités à travers de simples logiciels, il n’y a rien d’étonnant de voir les modulaires s’effacer du paysage musical car trop encombrant et trop coûteux. Pourtant, un artiste comme Aphex Twin persiste à utiliser la machine de manière assidue. Ainsi, numérique ou analogique, le synthétiseur modulaire laisse un héritage complet qui se reflète dans les logiciels qu’utilisent les artistes de notre décennie. Car si leurs imposants corps électriques viennent à se dématérialiser, le processus de fond qui les anime, lui, reste à l’identique.

Pour aller plus loin, explorez l’histoire de la pop music.