Avec Spectre, Sheldon nous prend par les sentiments

Sheldon, membre fondateur du collectif parisien 75e session, est revenu dans l’actualité avec un tout nouvel album : Spectre. L’empreinte sheldonienne y est clairement reconnaissable, mais cette fois, il propose un opus bien plus introspectif qu’à l’accoutumée. Entre solitude, résilience ou encore fraternité, un méli-mélo de sentiments s’entremêle dans le projet le plus intimiste de sa carrière. 

Crédits : Lucas Matichard

Au cœur des sentiments les plus intimes de Sheldon

Spectre semble être le projet qui nous rapproche le plus de la sensibilité de Sheldon. Tout au long des dix-neuf titres, l’artiste exprime ses sentiments les plus confidentiels auprès d’un public qui n’avait jusque-là pas encore eu accès à l’intimité du rappeur. Avec ce nouvel album, il crée un pont solide avec ses auditeurs. Et le premier qualificatif qui nous vient à l’esprit à l’écoute du projet est authentique. Celui qui est à la fois rappeur, producteur et musicien nous propose un bijou brut dans lequel il accepte de se dévoiler à l’état pur.

« J’me sens différent des autres êtres humains » 

« Spectre »

D’entrée de jeu, Sheldon pose le décor. Il affiche clairement la sensation de solitude qui le parcoure depuis toujours. Une solitude qui peut s’apparenter à une relative marginalité. Le rappeur ne se sent pas en harmonie avec le monde – et les humains – qui l’entourent.

« Je fais ce rêve où je pars, là où les autres ne me dégoûtent pas »

« James Cole »

S’il ne se sent pas à sa place, cela est notamment dû à son aversion pour la société. Sans pour autant proposer une musique dénonciatrice, le pilier de la 75e session exprime néanmoins avec sincérité son rejet de l’époque contemporaine. Il y pose un regard sombre mais pas dramatique. Une prouesse qui nous persuade d’une chose : nous voilà face à un artiste doté d’une réelle maturité d’esprit.

A l’heure où les problématiques sociétales sont au cœur de l’actualité, il n’hésite pas à en faire état sans pour autant tomber dans le militantisme. Sheldon prône l’acceptation de soi, il « voudrait que les choses changent pour son prochain ». « Caverne », probablement le morceau le plus touchant de l’album, est un bel exemple de titre poétiquement et finement féministe. 

Malgré son hostilité vis-à-vis de la société, Sheldon apporte à ses messages une forme de sérénité qui rassure. C’est là où toute sa maturité s’exprime : l’artiste semble savoir faire preuve de résilience. Le titre « Passage » représente bien cette vertu, dans lequel il y conseille habilement de relativiser notre existence.

« On est juste de passage, juste de la poussière. Juste une histoire qu’on raconte, juste un grain d’sable dans l’univers »

« Passage »

Lui qui a pour habitude de proposer de la musique conceptuelle, teintée de références en tout genre ; Sheldon se livre ici sans filtre, sans fioriture. Cette proximité ne permet pas seulement d’entendre ses sentiments, elle permet aussi de les comprendre. Pour cela, il n’hésite pas à s’adresser directement à son auditoire. 

Une sensation que l’on ressent notamment dans le titre « Docu » dans lequel il semble presque « briser le quatrième mur » (technique qui consiste à s’adresser directement au public d’une œuvre). Avec l’emploi de la deuxième personne du singulier et l’affaiblissement de la production dans le pont musical (01’47), le rappeur donne le sentiment de nous parler frontalement. Il y exprime sa gratitude envers les artistes qui lui ont permis de mieux construire ses pensées. 

Fraternité et candeur comme balance émotionnelle 

Le philosophe français Gabriel Marcel disait : « La solitude est essentielle à la fraternité. » Cette phrase prend tout son sens lorsque l’on écoute Sheldon se livrer. En effet, le sentiment le plus positif qui ressort de l’album est sans aucun doute l’attachement fraternel qui le lie à ses proches. Et si la proximité est aussi forte, c’est probablement car il s’est longtemps senti seul dans l’environnement qui l’entourait. En trouvant des personnes qui lui ressemblent et qui le comprennent, il peut sereinement faire face au monde qui le rebute. 

C’est précisément envers ses amis de la 75e session que se dégage une puissante tendresse. Plusieurs membres sont cités dans l’album. De toute évidence, le collectif est un microcosme singulier dans l’industrie musicale et les propos de Sheldon le confirme. Leur état d’esprit se fait ressentir : un esprit communautaire, voire familial. En bref, une famille qui s’aide mutuellement à avancer et à devenir meilleurs.

« Si j’avais pas d’attaches je partirais sans hésiter mais j’suis incapable de faire quoi que ce soit sans les miens. Y a qu’eux pour me relever quand je saigne. Ma famille, ma 75, les gens que j’aime »

« Feu rouge »

Ce lien d’attachement ne se ressent pas uniquement dans le contenu textuel mais aussi dans la conception du projet, comme l’illustrent les featurings. Tous les artistes invités, à l’exception de Isha, sont des proches de Sheldon. 

L’amour fraternel n’est pas la seule émotion positive qui figure dans l’album. Le titre « Mon amoureuse » est l’un des titres les plus étonnants de Spectre. Nouveauté rafraichissante offerte par le mélomane, il respire la légèreté et ça fait du bien. Autre morceau à l’allure enfantine : le titre « A la mer » qu’il partage avec Damlif. Ensemble, ces deux titres participent à l’équilibre émotionnel du projet. Si le rappeur de la 75 a su créer une belle harmonie dans les émotions exposées, celle-ci se ressent également dans les productions proposées.

Un bel équilibre musical 

Enfin, l’un des autres points forts du projet réside dans la diversité des sonorités mises en avant. Malgré la volonté de proposer un album authentique sur le fond – sans fioriture lyrique – la forme musicale n’a pas été lésée. Les ambiances variées, entre ballades, comptines ou encore egotrip, permettent de ne pas lasser l’auditeur. Le morceau « No go zone« , en featuring avec Shien, reflète bien cette ouverture. Le titre, que l’on peut qualifier de cinématographique, offre une ambiance sombre et futuriste. Un univers qui nous fait penser à celui du rappeur Wit., entre autres. Alors qu’elle arrive à la moitié de l’album, la chanson permet ainsi de suspendre l’ambiance aérienne jusque-là proposée.

Avec Spectre, Sheldon a réussi l’exploit de proposer un album ingénieusement équilibré. Il se dévoile suffisamment pour créer une réelle proximité avec son public, sans pour autant trop en faire. Les productions sont toujours aussi soignées, à l’image de ce qu’il a l’habitude de proposer. Bref, le fondateur de la 75e session délivre encore une fois une jolie expérience à son public dans cet opus intégralement financé par ce dernier. Un bel hommage.

Jihane Hadjri

Pacifique est le meilleur album de Disiz.