Sage Pee, aussi connu sous le nom de Pee Magnum à la production de Luidji, a décidé de (re) passer derrière le micro. Deux ans après Clan Codes Cash, il livre Distant, son premier album. Une pièce aboutie, révélatrice de ses ambitions, d’où s’échappe une histoire : la sienne.
Loin des standards, Sage Pee vogue sur des atmosphères planantes qui transportent l’excursion de son esprit. L’homogénéité du projet contraste avec la diversité musicale proposée, aux couleurs très différentes. Animé d’une volonté d’échange avec son public, il offre un récit où chaque pièce a son importance. Un album où chaque morceau marque son empreinte et laisse une trace.
Dès la première écoute de Distant, c’est la sincérité dont tu fais preuve qui surprend. Cet album, il représente quoi pour toi ?
C’est ma carte de visite, mon cachet. Musicalement déjà, t’entends tout ce à quoi je peux toucher. Cet album, c’est un peu ma manière de me présenter au monde.
C’est pour qu’on puisse t’identifier que tu as décidé d’aller plus loin que la production ?
Et parce que j’avais beaucoup de choses à raconter. J’avais déjà des textes qui commençaient à dater, mais j’étais focus sur la prod. Sortir un projet où tu rappes, c’est tout de suite plus égocentré. Ce sont deux approches de la musique totalement différentes. Là, j’avais des idées, des choses à dire et il fallait que ça sorte. Mon expérience en production m’a apporté une vraie liberté dans la conception de l’album. Quand tu es aux commandes, tu n’as pas besoin de demander ce qui est réalisable ou pas. Ça élargit à mort le champ des possibles ! Sur chacun des textes, je savais déjà quel résultat final je voulais avoir.
Tu dis « il fallait que ça sorte », mais pourquoi décider de livrer un album aussi personnel ?
En fait, je le fais naturellement. À la base, l’écriture est une forme d’exutoire. Parfois, j’écris même sans écouter de musique. Tous les mots viennent du cœur. C’est ma manière de traiter psychologiquement des choses que j’aurais du mal à dire. Ça me permet de prendre du recul sur ma vie et ce qu’il s’y passe. Le fond c’est le point de départ. La forme, elle, vient après.
Pourquoi Distant ?
Parce que je le suis. J’ai pour habitude de toujours garder une distance sur ce qui m’entoure, sur mes émotions… Par rapport à mon entourage aussi. Je n’ai pas besoin d’être entouré tout le temps et je prends du recul sur tout. À force, j’ai développé une vision un peu stoïque de la vie. Pas d’attaches, pas de problèmes. Pendant longtemps, j’ai pensé que ce n’était pas normal de réfléchir comme ça. Maintenant, je l’ai accepté. C’est ce qui me définit. D’où le nom de l’album !
On sent que tu parles directement à ton public. Quel est le message que tu as voulu partager ?
Avancer. Peu importe ce qui arrive. L’album s’adresse à ceux qui traversent les mêmes épreuves que moi. Ce sont eux qui se retrouveront le mieux dans ma musique. À travers mes expériences personnelles, chacun peut y voir une partie de son histoire. L’idée générale, c’est d’accepter les choses comme elles sont. Regarder de l’avant. Malgré les doutes, même quand le ciel devient sombre et que tu te sens seul, il faut continuer à regarder droit devant. C’est ce que je dis dans Les gyrophares quand je chante : « Je suis dans un tunnel. »
Dans Prologue, qui introduit ton album, on entend : « N’importe qui peut atteindre son élite intérieure. » Le morceau suivant est Vers la lumière ». Cette lumière et cette élite sont liées ?
En partie, oui. L’élite intérieure est une forme d’élévation, peu importe comme on la perçoit. Personnellement, ma façon d’aller « vers la lumière » c’est d’essayer de devenir le plus juste possible. Être le plus approprié sur une situation donnée, par rapport aux gens, à moi et à tout ce qui m’entoure. J’essaie toujours de trouver l’équilibre entre mes aspirations personnelles et les besoins de mes proches.
Sur la huitième piste de Distant, tu chantes « je suis préparé, j’ai pas peur d’être seul« .
Pourquoi ?
Parce qu’au fond, on l’est toujours. Et c’est dans les moments où la solitude est la plus forte que les choses changent, que tu peux avoir un déclic. Je considère que les gens vont et viennent. Les relations sont, par nature, éphémères. Si tu t’attaches trop, tu finis presque toujours déçu. Mais ça reste important d’avoir des proches sur qui tu peux compter, et inversement. Comme je répondais avant, tout est une question d’équilibre.
Le morceau « Mourir jeune » est un vrai hymne à la vie, un appel à la vivre intensément. De ton point de vue, ce serait quoi une vie réussie ?
Je n’ai jamais été à la recherche du bonheur. Ce que je recherche, c’est l’amélioration. Je veux devenir la meilleure version de moi-même. D’abord, envers ma communauté. Je dois être utile pour les miens, que ce soit mes amis ou ma famille. C’est important d’apporter une valeur ajoutée dans la vie des autres. Ensuite, ça passe par les valeurs qui te sont chères, comme la loyauté. Je veux être en accord avec ce qui m’importe. Enfin, le plus important à mes yeux c’est de faire quelque chose de ma vie afin de laisser un héritage. Il peut passer par la musique, l’éducation ou simplement les biens matériels que je laisse. C’est de là que vient le nom de mon ancien projet : Clan Codes Cash
Tu parles de loyauté, un thème qui revient régulièrement dans l’album. C’est important pour toi ?
Plus que tout. Tu peux avoir tous les défauts du monde, si t’es loyal, certains sauront l’apprécier. Malheureusement, c’est une qualité rare. C’est aussi ce qui a pu me rendre distant.
L’idée de sacrifice est également très présente, pourquoi ?
Les sacrifices sont inévitables. Il y a toujours un moment dans ta vie ou tu dois laisser une chose de côté pour en avoir une autre. On a un temps limité sur terre, alors il faut faire les bons choix. Dans « Je veux encore », je parle un peu de ce que j’ai dû laisser derrière moi. Je suis encore nostalgique de certains moments, que j’aurais aimé revivre.
Dans l’album, il y a des parties sur lesquelles tu t’appliques à kicker et d’autres où tu t’orientes plutôt vers la mélodie et le chant. Ça te tenait à cœur d’associer les deux dans Distant ?
J’écoute beaucoup de musique, très variée, et j’absorbe tout. Alors, quand je crée, il n’y a aucun calcul. Tout se fait au feeling. Sur un morceau, si j’ai le sentiment que tel passage doit se faire en chantant, alors je chante. Au studio, je ne m’impose pas de structure précise, c’est instinctif. Il y a des morceaux de l’album qui n’ont même pas été écrits. « Je veux encore » et « Les gyrophares », par exemple, sont presque entièrement improvisés. J’ai besoin d’entendre et de m’adapter sur le moment. Le point de départ c’est l’histoire que je veux raconter. La question de savoir si chante ou pas, elle est secondaire.
C’était une volonté de ta part de proposer un album aussi large en termes de musicalité ?
Pas spécialement. Étant donné que je produis, je peux développer une palette de couleurs très large. J’ai dirigé mes idées de manière à être cohérent du début à la fin. Pendant la création, j’écoutais aussi bien Henri Salvador que Kendrick Lamar. Finalement, Distant me ressemble et c’est vraiment l’essentiel
Qu’est-ce que t’a apporté cet album sur le plan personnel ?
Il m’a carrément fait grandir, pas uniquement sur le plan musical. D’ailleurs, les sons ont presque tous étés conçus dans l’ordre chronologique. Tu peux ressentir l’évolution dans mon approche. La première partie de l’album est focalisée sur le « on ». Mon clan et moi. La deuxième est plus focalisée sur le « je ». Le passé et l’avenir se confrontent beaucoup, parce que ce sont les souvenirs qui permettent de se projeter.
Décris Distant en trois mots.
Pour commencer : sincère. Je voulais qu’on sente directement que je parle à cœur ouvert, dès la première écoute. Cette sensation que tu ne peux expliquer mais que tu reconnais tout de suite. Pour qu’on puisse s’identifier a moi, Il fallait que je sois sincère. En deuxième, ce serait libre. La liberté est le sentiment le plus important pour moi. Enfin, je dirais énergique. On a besoin de mouvement et d’action, peu importe la nature. Que ce soit excessif, réfléchi ou irrationnel, il faut que ça bouge. On doit aller vers les choses qui nous animent, c’est ce que j’ai voulu dire tout au long de l’album.
Un argument pour donner envie d’écouter Distant ?
C’est une question difficile ça, hein ! Écoute, et tu découvriras forcément quelque chose. C’est ça mon argument. Que ce soit une musique, une émotion, une idée ou n’importe quoi. Ça provoquera un truc en toi.
Il faut l’écouter dans quel mood ?
En voiture. À fond. La route, c’est une parenthèse dans une journée. C’est là où l’album ressort le mieux. Mais tu peux l’écouter quand tu veux. Je voulais qu’il soit intéressant à écouter de loin autant qu’en étant concentré dessus. Aussi puissant quand tu l’écoutes seul dans ta voiture, qu’à un concert. C’est avec cette intention que je l’ai fait.
Ton son préféré de l’album ?
« Distant ». Si le morceau est du même nom que l’album, c’est qu’il est important. Il me représente à fond, je l’ai écrit à cœur ouvert. C’est un des plus personnels. J’aime beaucoup « Mourir jeune » aussi, produit par le frangin Steve Allen.
J’ai des rêves de grandeur.
Dans Distant, on retrouve le gimmick « Très haut depuis le préau ». Il veut dire quoi ?
Il a deux significations. La première, c’est que petit, j’étais souvent déconnecté, la tête ailleurs. Souvent « dans la lune » comme on dit. J’étais en roue libre ! Ensuite, il y a la notion d’ambition qui n’est que la conséquence des rêves. Être de nature rêveuse peut amener à accomplir de grandes choses. Et puis, les personnages qui ont marqué leur temps, ou fait avancer le monde ont souvent été isolés à des moments de leurs vies. C’est dans ces moments de solitude que leurs rêves se sont renforcés. Voilà pourquoi je répète « très haut depuis le préau ».
Il faut t’attendre quelque part en 2021 ?
À fond. Cette année va être folle… J’en dis pas plus, mais j’ai le feu !
Photos © Sandra Gomes
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