Alors qu’aux États-Unis le célèbre et contrasté Pitchfork peut lancer une carrière avec une simple note, la critique musicale française se fait plus rare. Des médias parfois trop lisses, des conflits d’intérêt ou simplement un manque de motivation à parler de ce qu’on aime moins ? À ne jamais vouloir mettre de sel, le plat risque de devenir fade.
Des critiques oui, à condition qu’elles soient constructives
Si l’on en croit les réseaux sociaux, bon nombre de médias ne donnent pas assez leur avis. Ou n’émettent pas de réelles critiques, plus construites et développées qu’un simple « sah quel plaisir. », même si on peut aussi partager des morceaux plus légèrement. Le média (on s’inclut) a évidemment sa part de responsabilité. Il faut avoir une argumentation solide, une vision d’ensemble et maîtriser son sujet.
Mais le lecteur ou l’auditeur a lui aussi son rôle à jouer. L’important est de comprendre la critique, avant de se jeter corps et âme pour défendre un album, ou un artiste. Mettre de côté son « fanatisme » pour voir les limites de son rappeur préféré. Personne n’est parfait, même Kanye West a des mauvais morceaux dans sa discographie. Le plus important est de garder à l’esprit qu’une critique n’est que l’avis d’une personne. Elle ne représente pas de vérité générale ou l’avis de tous.
Pour prendre l’exemple d’un média actuel, Thesaurap rédige des critiques bien fondées sur leurs goûts personnels. Après avoir compris leur ligne éditoriale et leur manière de traiter le rap, leurs critiques deviennent largement plus compréhensibles. Elles permettent également d’élargir son champ de vision quant à un artiste ou une production, qu’on soit d’accord ou non avec leur argumentaire.
Les goûts et les couleurs : ça se discute ou pas ?
Cette phrase résonne comme une formule magique pour clore un débat trop long. Certes, les goûts restent subjectifs, pour préférer Kendrick à Kanye, par exemple. Mais *Daniel Riolo voice* pour préférer Lorenzo à Booba, il n’existe que 2 solutions : un manque criant de culture dans le domaine, ou simplement détester le rap.
Cet adage actuel a également une conséquence néfaste sur l’évolution des artistes. Pourtant, la critique est nécessaire à toute amélioration. Imaginez si Alpha Wann n’avait pas travaillé parce qu’il avait « honte » de ses premières performances. C’est cette remise en question qui lui a permis de sortir un aussi bon album que UMLA. À force de qualifier n’importe quel son de « lourd », on se retrouve avec le même plat, réchauffé. Première fois c’est très bon, deuxième fois c’est sympa. Après, ça en devient presque vomitif.
Si, de notre côté, nous parlons d’artistes comme Makala, Lala&ce, Bitsu &co, c’est parce que leur proposition musicale est unique et singulière. Loin de nous l’idée de faire les puristes. Mais je préfère, à titre personnel, écouter des morceaux avec de nouvelles sonorités, même si il n’est pas parfait ; plutôt qu’un morceau très bien produit, mais en tous points semblable à celui que j’ai écouté 1 minute avant.
La musique est un art et l’art ne survit et ne perdure que lorsqu’on innove et expérimente. Imaginez aller dans un musée rempli uniquement par des tableaux d’un style unique. Je ne vous donne pas une heure avant de rejoindre la sortie.
Bien sûr, tout le monde n’est pas PNL quand il s’agit de la communication ou de la réalisation. Mais avoir des idées et changer de recette devrait être normal dans un domaine artistique. Ou au moins avoir le mérite d’essayer, comme Soso Maness. Même si tout n’est pas parfait, son projet a le mérite de vouloir s’ouvrir à d’autres styles, et c’est plutôt réussi !
La musique commerciale n’est pas mauvaise
Ne vous inquiétez pas, je suis un passionné comme vous, j’écoute aussi Ninho et PLK. J’aime bouger ma tête sur le dernier hit du moment. Tout n’est pas à jeter, bien au contraire. Pour formuler concrètement ce que je tente d’expliquer, voici un exemple.
Si je vous parle de Commando de Niska, la plupart des auditeurs vont s’accorder pour dire que c’est un très bon album, bien qu’il soit « commercial. » Niska avait trouvé une recette terriblement efficace. Pourtant MrSal a été accueilli de façon plus mitigée. L’écoute ne change pas, la recette reste très similaire, sans aucun grand renouvellement. Résultat ? L’impression d’écouter la version Wish de Commando. A trop tirer sur la corde, on risque de la casser.
Point également important : il faut arrêter de confondre rap et pop urbaine. Beaucoup confondent les deux styles et tombent à plusieurs sur des nouveaux artistes comme Wejdene. Elle est loin du rap, car son style est fait pour être grand public, et ça marche ! Certaines personnes voudraient qu’elle ait la plume de Lino ou Salif, juste incompréhensible.
Critiquer c’est bien, donner des solutions c’est mieux
On a récemment critiqué PLK pour sa communication et sa tracklist. Désolé Polak, et désolé à ses fans, mais c’est justement parce que l’on connaît ton talent, et que les morceaux récents déçoivent. La plupart des rappeurs devenus grand public ne partent pas de rien et ont souvent fait leur classe avec des projets, des freestyles ou des collaborations incroyables. Les artistes suivent la direction qu’ils veulent et ils ont bien raison. Surtout quand on connaît la dimension financière qu’a pris le rap français.
Toutefois, faire une réédition et un album de 35 morceaux pour le streaming avec des feats qu’on connaît déjà, comme Leto, Koba la D, Heuss l’Enfoiré ou encore Niska n’est pas forcément la bonne solution. L’exemple type : avec Trinity, Laylow a proposé des collaborations différentes qui se sont révélées pertinentes. Au final, son album marche extrêmement bien, alors qu’il ne bénéficiait pas d’une énorme notoriété avant. L’exemple inverse : Josman, avec son concept d’un projet de 20 morceaux différents, n’a finement servi qu’une soupe difficile à digérer.
Il y a tellement d’artistes talentueux sur la scène qui ne sont pas invités, et qui seraient très intéressants en featuring. Sans nécessairement parler de l’underground et de petits noms comme Sali et Realo, dans les artistes qui vendent plus, il y a aussi du très bon. Cheu-B, Zikxo, Slimka, LMB… il ya de quoi laisser respirer ces bon vieux Heuss et Niska afin qu’ils reviennent eux aussi plus forts, plus intéressants, et plus novateurs. Ou encore des producteurs différents tels que Risky Business et NxxxxxS par exemple.
Bien sûr, les artistes sont encore libres de leur direction artistique, et ça leur est bénéfique de trouver un plus large public pour apprécier leur musique. Mais ce n’est pas en faisant des albums playlists qu’on marque une époque. Alors, libre à nous de ne pas aimer et de donner notre avis, aussi négatif soit il. S’ouvrir aux critiques et comprendre les défauts de la musique qu’on aime est une chose importante. Sinon, à quoi bon créer ?
Pour aller plus loin, lisez notre critique sur Split, un album qui divise.