Oakland, terre souveraine de la pimp music

Par le folklore américain, nombreux sont ceux décidant de nommer certains personnages charismatiques des « Pimp ». Derrière cette appellation se cache la simple figure du proxénète, qui avec allégresse se faire de l’argent sur le dos de femmes désirées. Une pratique qui, par les canaux de la pop-culture, devient en vogue, et notamment dans le rap. Mise en lumière de cette figure mythique qu’est le pimp.

Bienvenue à Los Angeles. Une ville de rêve, nourrie par des fantasmes de gloire et d’acquisition d’argent en grosse quantité, où l’on y vante les bas-prix de l’immobilier pour y faire venir s’installer des familles de classe moyenne dans l’espoir d’y vivre le rêve américain. Sous couvert de propagande mensongère, on y promeut un avenir radieux, paradoxalement bâti sur une terre aride, dénuée de ressources fertiles. Pour autant, la ruée vers l’or au milieu du XVIIIe siècle, la construction de Southern Pacific – une ligne de chemin de fer reliant la côte ouest au sud des Etats-Unis – auront raison de son climat subtropical désavantageux. Ainsi, la Californie devient l’un des états les plus en vogue, pour finalement devenir la machine économique que l’on connaît à ce jour.

Le nord de la région a lui aussi su développer sa propre économie et un patrimoine conséquent au fil du temps. Ces larges étendues sont réunies sous le patronyme de Bay Area formant un conglomérat de villes nommées Pittsburgh, Berkeley, San José… Et dont les lieux centraux sont San Francisco, Vallejo et Oakland. Cette dernière, qui se veut encerclée par les villes voisines, dispose d’un patrimoine particulier qui vacille entre déploiements contestataires lors des mouvements civiques, pullulation de macro et tendance hip hop unique en son genre.

Oakland : construction et déconstruction

Pour s’imprégner de la situation actuelle d’Oakland, un basculement vers les années 30′ s’impose, à une époque où des plans d’aménagements sociaux majeurs se mettent en place. L’un des plus notoires est celui nommé Bartholomew qui fut proposé en 1927 dans l’objectif de réaliser des réseaux de circulations automobiles plus épanouis et ainsi favoriser les déplacements des concitoyens et les flux de marchandises autour du centre-ville.

La Eastshore Freeway traversant Sacramento, longeant la baie de San Pablo et San Francisco pour redescendre jusqu’à Oakland, est synonyme de main-oeuvre extensible et d’immigration exponentielle qui se couple pour donner lieu à un essor économique certain, épaulé par la seconde guerre mondiale au besoin morbide de technologie mortelle. De telles mesures provoquent un accroissement de la population dans les années 40′ avec un total de 100 000 nouveaux habitants supplémentaires, importateurs d’une mixité ethnique neuve pour la ville. Dans la foulée se construit le Bay Bright reliant directement San Francisco et Oakland qui, dans l’avenir, permettra de faire une jonction culturelle entre les deux lieux notamment dans le rap. 

Pour répondre à cette arrivée massive de résidents, la Federal Housing Admission entreprend la construction de 30 000 logements sociaux pour la classe populaire qui vient prendre pied sur les terres à l’est. La ségrégation est quant à elle dominante et n’épargne pas une tranche de la population qui se voit dispensée du droit d’acheter un toit dans ces nouvelles bâtisses. Résultat : les afro-américains se voient expulsés hors de la downtown pour résider dans les quartiers ouest, trop peu développés sur le plan économique et social. Seul point positif : une demande de main-d’œuvre dans le milieu de l’industrialisation est toujours plus dominante; du moins jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale en 45 où la demande d’ouvrier ne devient plus qu’un vague souvenir. De ce fait, les années 50 sont annonciatrices d’une pauvreté qui va s’agripper à la ville durant quelques décennies.

Sous cette période, l’agence Oakland redevelopment agency – ORA – vient à son tour mettre la main à la pâte dans les plans architecturaux de l’ouest d’Oakland en détruisant une cinquantaine de logis dans l’objectif d’en édifier des flambant neufs. Le projet peut paraître séduisant mais les cinq années interminables de travaux viennent appauvrir une partie de la population et les nouveaux logements provoquent une gentrification due à des prix en hausse pour un gouvernement local soucieux d’un séparatisme racial. Une tel climat ne peut que découler vers la naissance de milices répondant à cette castration sous diverses formes.

Ainsi, Oakland devient le berceau du Black Power Movement et du tout aussi reconnu Black Panthers Party créé en 1966 par les étudiants activistes Huey Newton et Bobby Seale. De l’autre côté de la rive, lors des années 70, les gangs se mettent à contrôler les zones délaissées par l’agora pour s‘attribuer les ventes de crack et de cocaïne, résultant à des crimes en hausse exponentiel. Cette atmosphère morbide donne naissance à des acteurs de la sous-culture du hip hop qui n’est que l’expression logique contre un climat pesant. Ainsi, le hip hop empreinte des caractéristiques à la violence inhérente mais également à l’influence des proxénètes. Une pratique étonnante qui mérite d’être mise en lumière tellement elle a su prospérer au fil du temps. 

Pimp ou l’art du proxénétisme 

Macro, proxénète, player ou pimp, appelez les comme bon vous semble. La pratique consistant à exploiter des femmes à des fins pécuniaires n’a rien de reluisante, loin des codes moraux et éthiques compatibles avec notre société. Pourtant, le pimp est devenu un emblème dans le milieu de la pop culture, notamment avec le film faussement moralisateur de The Mack en 1973; pour finalement atteindre la sphère du rap à l’aube des années 80. Car avant de s’exposer de façon grossière face à la caméra sous un langage rustre et une imagerie cliquante, le player passe par la littérature.

Ainsi, il est impossible d’évoquer le proxénétisme sans se remémorer la figure emblématique d’Iceberg Slim, auteur du roman Pimp : Mémoire d’un maquereau paru en 1967. Ex-proxénète, Robert Lee Maupin – plus tard rebaptisé Robert Beck – conte son parcours qui se constitue de rapports conflictuels avec sa propre mère, le poussant à, sous un syndrome d’Oedipe poussé à son paroxysme, verser cette haine inconsciente sur la gente féminine et ainsi devenir l’un des macro les plus respecté de Chicago. Après 24 ans de pratique illicite, le personnage prend sa retraite et décide de jouer la carte de la rédemption en prévenant des retours de bâton qu’implique le proxénétisme.

A côté de cela, il décrit son ascension fulgurante dans ce milieu et toutes les entourloupes pour devenir un pimp aussi important que lui. Ainsi, sous un argot propre aux ghettos noirs et une narration ascendante montrant le chemin vers la « gloire », Iceberg Slim offre le guide ultime pour tout apprenti player.

Parmi les lecteurs assidus, on retrouve un certain Ice T, rappeur en devenir qui ne cessera de boire les paroles de l’écrivain. Son nom de scène en est le premier indice, Ice étant le diminutif de Iceberg. Actif dès les années 80 dans le quartier de South Central à Los Angeles, il aura su être l’un des premiers à donner forme au rap de pimper. Dans une volonté de calquer le gangsta rap encore squelettique du rappeur Schoolly B et les manières d’Iceberg Slim, Ice T effectue un melting pop à la croisée de ces deux mondes pour aboutir à un personnage haut-en-couleur qu’il exploite à la perfection dès son premier effort en 1987 nommé Rythme Pays.

Étant le premier disque de l’histoire labélé “Explicits Lyrics”, Ice-T dispose de toute la crédibilité nécessaire pour incarner la violence et le proxénétisme de la ville de Los Angeles. Par des titres tels que « Sex », « Somebody Gotta To Do It (Pimpin ain’t easy) » ou encore « I love Ladies », le mac excentrique à de quoi influencer indirectement tout un pan de la génération suivante, et notamment Oakland qui cultive cette branche de métier depuis quelques années déjà. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir des jeunes du ghetto reprendre le flambeau, à commencer par un certain Too Short

L’héritage du pimp en musique 

Retour dans les avenues d’Oakland à l’aube des années 80 pour se pencher sur le personnage qu’est Todd Anthony Shaw au futur sobriquet de Too Short, maintenant défini par beaucoup comme le plus grand player du rap. Pourtant, rien n’aurait pu le prédestiner à un tel avenir, si ce n’est une attitude de beau-parleur déjà instauré lors de ses années lycéennes auprès des femmes, et simple freestyler local en avance sur son temps qui débitait des vers pour épater la galerie. A côté de cela, il pratique la batterie lors de son temps libre et se prédestine à un chemin déjà tout tracé vers des études supérieures. Mais c’est sans compter sur Freddy B, un proche qui lui conseillera de fructifier son talent à travers la vente de cassettes à des dealers du coin. L’idée sort de nul part et laisse perplexe Shaw tellement celle-ci se dispense de sens.

Pourtant, Freddy décèle la formule magique pour plaire aux dealers du coin : proposer des productions à base de boite à rythme Roland TR-808 accompagnée de paroles vacillant entre glorification des armes à feu et appropriation de la femme. Lors de leur vagabondage sous adrénaline au sein des parcs remplis de vendeurs en impatience de clients, les deux compères s’adonnent à une vente fructueuse de cassettes à faire débobiner dans les postes radios. Les paroles ne sont pas la vie de Too Short mais plutôt celle des gangsters, entre meurtre, femmes et drogues, le tout accompagné par des basses vrombissantes pour leur virée en lowrider. Ainsi, par une simple histoire quasi-anecdotique, Too Short doit supporter le poids du  folklore pimpesque sur ses épaules. 

Après des albums mythiques tels que Born to Mack en 1987 ou Life is…Too $hort en 1989, le rappeur décide de s’extirper de l’univers du gangsta rap pour n’avoir d’yeux que pour les femmes aux courbes dessinées. Ces projets suivants viennent prouver ce postulat ne serait-ce par leurs pochettes, parfois illustrant Too Short devant un coucher de soleil, un tuxedo tout de noir, une gourmette qui pend sur sa poitrine rappelant l’accoutrement cliquant des macros dans Get In Where You Fit In, ou bien de manière plus explicite dans You Nasty la tête plongée entre les cuisses d’une conquête d’un soir.

De cette posture se dégage une multitude d’inspirations allant de la blaxploitation entre Superfly ou Dynamite aux stars de la funk et p-funk. L’exemple le plus probant étant Sly and the Family Stone, d’ailleurs natif de San Francisco, à travers ses couleurs pimpantes et ses tuniques volontairement décousues qui tirent leurs inspirations des nuances psychédéliques développées par les hippies révolutionnaires des années 60. Plus encore, le compositeur George Clinton à la tête des groupes mythiques que sont Parliament et Funkadelic, embrasse avec allégresse une extravagance vestimentaire débridée, toujours entouré de femmes et qui saura être repris et édulcoré par Too Short dans ses propres esquisses. 

Cet héritage sera perpétué par des players authentiques tels que Dru Down ou Suga Free, un jheri-curl proprement vissé sur le crâne, prônant un lifestyle à la fois violent et décontracté qui, avec plus ou moins de constance, continu à se perpétuer jusqu’à aujourd’hui. Preuve en est avec le rappeur Allblack, pur produit d’Oakland, qui à lui aussi pratiqué le proxénétisme durant ses jeunes années de lycéen. A lui seul, il dispose du potentiel nécessaire pour réincarner la figure du pimp. Physiquement, son anneau qui pend entre ses narines, sa petite taille et sa panse disproportionnée n’auraient jamais pu nous laisser penser qu’il pouvait incarner ce rôle. Pourtant, par sa naissance dans la 22nd Avenue and Foothill d’Oakland, parallèle à l’International Boulevard connu des habitants pour son trafic de femmes exponentiel, le garçon se confronte dès son plus jeune âge à l’image débridée qu’offre le paysage local.

Si son avenir aurait dû se tourner en direction de la NFL en tant que footballeur américain de la même manière que son frère aîné, c’est bel et bien la rue et les vices qui l’accompagneront et qu’il finira par côtoyer sept ans durant, loin des ventes de caillou, proche des femmes alphaleuses. Son activité devra s’achever suite à une arrestation. Résultat : il décide de retranscrire son court passé de proxénète dans un rap, la narration immaculée par le son de Bay Area. Ainsi, l’inspiration du mouvement Hyphy, né dans San Francisco et propulsé par les des légendes telles que Mac Dre ou E-40, se traduisant par une hyperactivité à travers la musique mais également la danse, se fait ressentir dans les pistes du bonhomme.

Le principe est d’exécuter une danse fouillie, où les membres des danseurs n’ont aucun pattern prédéfini, la musique disposant quant à elle d’un BPM élevé avec des batteries resserrées, donnant des impulsions nerveuses frénétiques à chaque mesure. Ainsi, 2015 laisse entrevoir le premier projet d’Allblack, No Shame. Le disque est annonciateur d’une trilogie – entrecoupée par notamment un EP au côté du producteur Kenny Beat, qui se poursuit encore à ce jour avec un troisième volet sorti en octobre dernier. Dedans, le titre « Never » vient boucler la boucle avec notre cher Too Short en invité d’exception. Face à nous se déroule un rituel où l’aîné se replie pour effectuer un passage de bâton à Allblack pour permettre de faire prospérer la pimp music dans le microcosme californien pour encore un bon bout de temps. 

Sous une vision opposée à ce qui a pu être énuméré précédemment se fait remarquer le duo The Coup constitué de Boots Riley au micro et Pam The Funkstress derrière les platines. Le groupe d’Oakland sera notamment reconnu pour avoir composé l’un des morceaux de rap les plus ambitieux traitant, comme l’on peut s’en donner, du métier illégal de proxénète. « Me and Jesus the Pimp in a ’79 Granada Last Night » effectue un contre-poids avec toute l’imagerie dressée dans les paragraphes précédents. Englobé dans un activisme transpirant, The Coup n’hésite pas à se rendre aux antipodes des clichés de gangster que véhiculent les rappeurs locaux pour déterrer les souvenirs douloureux qui pourrissent sous le béton.

Par un point de vue à la première personne, la caméra se niche dernière les yeux d’un jeune garçon victime des actes de sa mère, prostituée dépendante d’un mac malintentionné nommé Jesus, peu soucieux de l’avenir de ses travailleuses au point d’assassiner la mère de l’enfant. Un schéma qui vient se reproduire chez le bambino qui épousera les mêmes travers que Jesus the Pimp, bien trop marqué par l’environnement malsain. Sous un sample du grand Gill Scott-Heron, The Coup expose l’envers du décor afin de nous rappeler les conséquences désastreuses d’une telle pratique. Si le rap l’a souvent dépeint comme un symbole de fantasme, il est bon de ne pas oublier la réalité sauvage qui rattrape cette imaginaire du pimp.

Pour aller plus loin, découvrez le mouvement néo-soul des années 80, The Soulquarians.