Lorsque la décennie 2010 pointait le bout de son nez, une plâtrée de producteurs débarquait sur les plateformes de musique – avec notamment Soundcloud comme pivot -, ainsi qu’une lignée de labels indépendants venus soutenir et accompagner ces beatmakers décidés à sortir de l’ombre et dessiner leur propre carrière indépendamment des interprètes. Parmi eux, Mndsgn se dresse comme l’un des pionniers du mouvement.
Le producteur originaire du New Jersey, maintenant installé à Los Angeles, a su se faire une place à la frontière du hip-hop et de la soul grâce à ses nombreux beats et collaborations. Signé chez le légendaire label Stone Throw Records dès 2013, Ringgo Ancheta, de son véritable patronyme, expérimente le beatmaking avec la beat tape Snaxx mais également les chants lancinants dans l’album Body Wash. Ainsi, il utilise ses multiples casquettes pour offrir des albums aux techniques inspirations variées.
Pour son retour, Mndsgn se concentre pour livrer une suite indirecte à Body Wash en déposant une émotion cathartique sur le plan sonique et lyrical. S’ajoute à cela une pluralité d’instruments ainsi que la voix de Mndsgn qui s’immisce au premier plan sur ce disque. Ainsi nait Rare Pleasure, un orchestre dirigé par notre chanteur où s’invite aussi l’interprète Foushée, le batteur Will Logan ou encore le percussionniste Carlos Niño pour ne citer qu’eux. De ce projet ambitieux, nous avons eu la chance d’en discuter avec Mndsgn en personne afin de mieux comprendre le processus créatif ainsi que l’état actuel de sa carrière.
En 2019, tu sortais une beat tape nommée Spaxx. Avec Rare Pleasure, on sent qu’il y a une ambition plus grande. Où est-ce que tu te situes dans ton art ?
J’aurai tendance à voir Spaxx comme une mixtape, et donc Rare Pleasure serait une suite à Body Wash en un sens. C’est la suite logique de ma pensée qui a évolué entre 2016 et maintenant.
Quelle est la différence entre Body Wash et Rare Pleasure ?
Ici, j’ai pu travailler avec une ribambelle d’artistes comme Anna Wise ou Swarvy. Cependant, je ne souhaitais pas qu’ils soient là pour « le décor » mais bien qu’ils aient une place logique dans le processus de création de l’album. Que chacun puisse laisser une trace distincte sur le projet.
Quel était ton rôle et où te places-tu au sein de cet orchestre ?
Je faisais le squelette. On a travaillé à travers beaucoup de démos hormis quelques interludes. Des instruments et des vocaux étaient ajoutés par-dessus les pistes que j’avais pu faire de mon côté pour finalement mixer le tout afin de donner un album cohérent de A à Z. Ainsi, mon rôle restait tout de même majeur lors de la première partie de la conception étant donné que j’écrivais les paroles et infusais la couleur première à chaque piste. Puis, avec l’aide de Swarvy, j’ai guidé les artistes, car je souhaitais avoir des sonorités bien spécifiques.
Assumer un tel rôle était-il difficile ? Car c’était la première fois que tu te positionnais ainsi.
Pas tant que ça, car tous les musiciens étaient des personnes assez proches qui faisaient déjà partie de mon entourage. Tout le monde savait où j’en étais dans ma musique et ce que je souhaitais reproduire. Mais j’ai également eu un gros soutien de la part de Swarvy qui est bassiste ainsi que guitariste. Il a également su diriger ma musique et la direction qu’elle devait prendre. Il a une expérience plus grande et sait comment communiquer avec les musiciens en général. Pour autant, jamais le processus de création n’a été stressant.
Pour ce projet, quelles étaient les influences et inspirations ?
Je passe mon temps à collectionner des disques. Pour celui-ci, j’ai principalement utilisé par ma propre expérience, car je cherchais à faire un disque hautement personnel. Donc les inspirations sont moins évidentes, contrairement par exemple à Spaxx qui offre un format inspiré de beatmakers comme J Dilla ou Madlib pour ne citer qu’eux. Dans Rare Pleasure, ce sont mes émotions qui prennent forme sous des ondes sonores.
Tu vis à Los Angeles depuis un moment maintenant. Et nombreux des artistes avec qui tu as travaillé habitent également là-bas comme Foushée ou Anna Wise. As-tu pu tous les rencontrer en personne ?
Certaines personnes qui apparaissent sur le disque, je les connais depuis plus de dix ans. D’autres depuis moins longtemps. Mais finalement, cela fait sens de travailler avec eux. Beaucoup ont déjà bossé avec moi auparavant comme le pianiste et producteur Kiefer avec qui j’ai collaboré dans le passé par exemple.
Concernant Foushée, elle vient d’arriver il y a peu de temps à Los Angeles. Comment l’as-tu rencontré ?
Cela fait à peu près un an que je travaille avec elle. On a d’ailleurs conçu beaucoup de morceaux qui n’ont pas encore vu le jour. Mais notre collaboration était quelque peu logique car elle a bossé avec Pink Siifu et Fly Anakin qui ont eux-mêmes des amis à moi.
Tu es sous le label Stone Throw Records depuis quelques années maintenant. Qu’est-ce qui te pousse à rester là-bas ?
Nous avons une relation mutuelle avec Stone Throw. Et à vrai dire, je ne sais pas comment cela se passe sous d’autres labels, mais je leur suis reconnaissant de me laisser autant de liberté. Ils ont confiance en moi et je peux sortir n’importe quel projet tant que je les implique dans le processus.
Quelle était leur place dans Rare Pleasure dans la partie visuelle ?
Jeff Jank est un graphiste très important chez Stone Throw – il a notamment fait des pochettes pour Madlib – mais cette fois-ci j’ai voulu mettre mes propres peintures au premier plan. J’ai donc réalisé le patchwork de couleur de la pochette ainsi que le clip de Medium Rare. Je voulais une œuvre très personnelle. Toutefois, Jeff était là pour m’aiguiller ainsi que faire les scans.
Dans tes dessins, tu mets la couleur au premier plan, tel un flux continu. Ces couleurs sont la représentation de tes émotions qui circulent ?
Oui en quelque sorte. Pendant longtemps, je ne savais pas quelle peinture je voulais faire. J’ai peint sans arrêt, mais dans un but thérapeutique sans penser à la pochette. Mais il est vrai que ces couleurs représentent aisément mes émotions sous des traits colorés.
Dans le disque, tu parles beaucoup de temps passé. J’ai l’impression qu’il y a une sensation de nostalgie. Comment vois-tu cette sensation ? Est-elle aussi bien joyeuse que triste ?
Je ne pense pas que la nostalgie soit que de la joie pure. Parce que dans le disque, il y a aussi bien des moments joyeux que tristes, mais jamais ces souvenirs sont mauvais pour autant. La tristesse peut être une belle chose aussi. De plus, j’ai divisé le projet en quatre parties ciselées par la répétition de la piste Rare Pleasure du début à la fin et qui est à chaque fois un avancement vers des réponses sur moi-même. Je voulais reprendre ce concept souvent utilisé pour des vieilles soundtrack des années 70, reprenant un thème et le rejouant avec des petites variantes.
A la fin tu as compris qui tu étais ?
Peut-être pas, mais en tout cas j’ai un sentiment de liberté à la fin.
D’ailleurs, j’ai remarqué qu’il y a certaines pistes où la boucle sonore au tout début se répète une ou deux fois avant de laisser place à la suite du morceau, comme sur Colour of the Sunset. Est-ce voulu ?
Musicalement, je souhaite mettre plus en avant la mélodie sur ce disque car la majeure partie du temps, faire de la musique, c’était surtout se concentrer sur le beat et le sampling. Avec ces boucles, j’ai essayé de créer des thèmes mélodiques qui définissent la couleur du disque, et que les auditeurs puissent identifier le son directement.
Il y a quelques années, tu as pu travailler avec de gros artistes tels que Tyler The Creator ou Dojo Cat. Est-ce que cela t’a apporté un recul sur ta propre musique ?
Non au contraire, ces expériences étaient les moins impactantes car je n’ai jamais rencontré ces personnes en face à face. Souvent, ils apprécient un de mes beats et me demandent pour l’utiliser ou le sampler. A l’opposé, Joyce Wrice, qui est une artiste RnB, est une amie à moi que j’ai pu voir évoluer depuis ses débuts. Donc la relation musicale est bien plus personnelle. J’ai d’ailleurs travaillé à ses côtés pour son premier album sorti cette année.
Concernant Rare Pleasure, as-tu des attentes vis-à-vis du public ?
Non, pas vraiment. Je voulais faire quelque chose dont j’étais fier et que je puisse performer sur scène pendant longtemps avec du plaisir. Mais je me dis que si le disque me plaît, il devrait au moins faire plaisir à quelques personnes. Puis les gens que je respecte ont tous validé mon travail donc pour moi c’est le plus important, et ça me permet de prendre du recul.
Tu as parlé de vouloir jouer ce disque sur scène. Comme tu as travaillé avec une multitude de personnes, vas-tu expérimenter de nouvelles formes de concert ?
Déjà avec Body Wash j’avais pu expérimenter le devant de la scène tout en chantant. Avec Rare Pleasure, cela prend une toute autre dimension. Cette fois, je ferai avec à un band pour donner plus de relief à ma musique et mieux retranscrire les sessions studios de l’album devant un public.
Pour aller plus loin, revenez sur le dernier opus de Brockhampton, Roadrunner.