La décennie précédente a marqué un virage notable pour le rap. Grand nombre d’évolutions a été amené par l’introduction des plateformes de streaming, les certifications, etc… Ces évolutions se sont révélées cruciales pour l’industrie musicale et notamment pour ce genre musical de plus en plus populaire.
Que ce soit en France comme aux États-Unis, le rap et les musiques urbaines ont su sortir de leur zone de confort en se popularisant. Ces styles musicaux se sont implantés progressivement dans les playlists d’auditeurs qui, auparavant, n’étaient pas impactés par ce genre. Aujourd’hui, le rap est la musique la plus écoutée en France, n’en déplaisent à ses détracteurs (s/o Yann Moix). Mais comment les différents artistes ont su faire évoluer leur musique pour élargir leur audience ?
Les pionniers du rap mainstream
De Doc Gynéco à Kanye West en passant par Eminem ou Booba, les premiers à avoir essayé de « populariser » le rap figurent aujourd’hui comme les piliers de ce genre musical dans leur pays respectif. Le fait d’avoir su expérimenter leur musique fait d’eux des artistes transgénérationnels qui ont su impacter les auditeurs il y a une quinzaine d’années et qui savent encore le faire aujourd’hui. Leur musique a traversé les époques.
Nous sommes en 2005, un groupe français est au sommet de sa carrière, bien qu’inconnu du grand public. Méconnus du grand public car personne ne sait vraiment qui ils sont, alors que leur musique résonne aux 4 coins de la planète. Derrière leur masque aux allures robotiques, ces deux français qui se font appeler les Daft Punk vont réussir à captiver un auditeur bien particulier.
L’égocentrique Kanye West
Cet auditeur, il s’agit d’un certain Kanye West, qui ne cesse d’expérimenter sa musique. Voyant une grande opportunité pour toucher un public encore plus large, celui qu’on appelle Ye va avoir la somptueuse idée de sampler un des hits du début des années 2000. C’est en reprenant l’instrumentale du titre « Harder, Better, Faster, Stronger » des Daft Punk que Kanye va ouvrir une nouvelle porte au rap, et pas une petite. Ce morceau qui s’appellera « Stronger », marque une étape majeure dans le monde du rap.
C’est l’apparition d’une nouvelle connexion entre deux genres qui se veulent très différents. D’un côté, nous avons le monde de la musique électronique, de l’autre celui des musiques urbaines, notamment du gangsta rap avec, à l’époque, ses codes rattachés à la rue. Le titre est un énorme succès (bien que cette connexion déplaira à certains auditeurs). Les radios, clubs et chaines musicales passeront le morceau en boucle. C’est l’avènement d’un rap qui se veut plus accessible au grand public, en empruntant des codes de styles musicaux populaires.
808 et le tournant Kanye West/50 Cent
Kanye est sans aucun doute l’un des artistes les plus influents de la fin des années 2000 et du début de la dernière décennie. Et les répercussions de son morceau se sont faites sentir sur tous les continents, notamment en France. Dans la même époque, bien que ce concept soit plus ancien, l’utilisation du sample d’un morceau populaire très loin du style du rap va envahir massivement les 4 coins de la planète. En France, en 2006, un an avant « Stronger », on aura entre autres le droit à l’iconique « Pitbull » de Booba sur le très bon album Ouest Side. Ce titre est un sample issu d’un morceau phare des années 80, « Mistral Gagnant » de Renaud.
Mais il y a 13 ans, Kanye West dominait surtout 50 Cent sur une vente d’albums qu’ils avaient lancé. Alors que Graduation devait sortir une semaine après Curtis, les deux artistes avaient finalement décidé de publier leur projet en même temps, se lançant dans une compétition pour savoir lequel allait vendre le plus. Et c’est finalement le bon garçon Kanye West qui l’a remporté face au bad boy 50 Cent. La victoire du rappeur de Chicago marqua alors un tournant : le gangsta rap n’est plus le style dominant pour vendre. En plus de porter un sérieux coup à ce style, s’en est suivie toute une génération de rappeurs ne se définissant plus comme « gangster ». Au contraire, ces nouveaux MCs n’hésitent pas à être authentiques et vulnérables. Et dans cette nouvelle vague, on va retrouver notamment Drake, Kendrick Lamar, J Cole, Kid Cudi ou encore Tyler The Creator. Désormais, au revoir la street crédibilité, les pré-requis se reposent uniquement sur la personnalité et le talent.
Dans la lignée du beef avec l’artiste du Queens, Yeezy va continuer à marquer davantage son empreinte dans la route vers la popularisation du rap. En 2008, le rappeur du Midwest va sortir son projet le plus impactant de sa carrière, 808s & Heartbreak. Virage notable après trois premiers projets bluffants, l’album va renverser les codes du rap. Si les thématiques en lien avec la rupture et la dépression sont déjà présentes dans le milieu, Kanye, connu alors pour son égo surdimensionné, va s’ouvrir à son public et accepter une grande vulnérabilité, dans une époque où les artistes jouent les gangsters intouchables, à l’image de 50 Cent ou The Game. On pourrait faire un article sur le projet, tellement il a son importance encore aujourd’hui. Bien que 808s divise, il marque une véritable évolution dans la discographie du rappeur et dans le milieu musical, modélisant le hip-hop de la dernière décennie à travers Drake, The Weeknd et Frank Ocean.
Une nouvelle mode
C’est en voyant le succès et le vent de fraîcheur qu’apporte la pop au rap que d’autres artistes vont se prêter au jeu. De l’autre côté de l’Atlantique, ce sont des artistes comme Eminem, Drake ou encore A$AP Rocky qui vont s’essayer à cette nouvelle mode. Et pour le coup, ça passe ou ça casse. Eminem, par exemple, va complètement rater cette nouvelle direction. Bien qu’en 2010 il connaîtra un fort succès avec son album Recovery (suite logique du chef d’oeuvre qu’est Relapse…), Slim Shady va être fortement critiqué pour ses choix musicaux, notamment sur sa collaboration avec Rihanna sur le morceau « Love the Way out lie ». L’artiste s’est tiré une balle dans le pied en enregistrant un morceau avec une artiste qu’il a pu critiquer auparavant.
À contrario, Drake lui, est l’exemple type de ce qui se fait et a pu se faire de mieux en terme de rap populaire. Il y en a pour tous les goûts sur ses très bons albums Take Care et Nothing Was The Same.
Ce lancement dans le pop-rap dès le début des années 2010 va forger l’identité musicale des artistes pour la décennie. Eminem va enchaîner les échecs jusqu’à son réveil avec Kamikaze en 2018. Quant à Drake, il va connaitre un succès croissant jusqu’à devenir la star internationale qu’il est aujourd’hui.
Et en France ?
Dès le début de la décennie, c’est la Sexion d’Assaut qui va permettre au rap d’élargir ses frontières. En étant plus consciencieux dans leurs textes, la bande à Maître Gims va parler à de nouveaux auditeurs, notamment avec le succès de l’émouvant « Avant qu’elle parte » ou encore du hit « Wati By Night ». Cette évolution à la fois artistique et commerciale va se développer tout au long de la décennie. En 2015, année »grand cru » du rap français, c’est avec des titres comme l’entraînant « Reuf » en duo avec la popstar internationale Ed Sheeran, que Nekfeu va démontrer la puissance du pop-rap.
Un grand nombre de rappeurs disent tirer leurs influences de la pop et variété française. On le ressent très bien sur l’excellent « La Nuit » de SCH qui, au passage, n’a pas écarté le souhait de faire un album de variété.
Un rap aux multiples facettes
On ne vous apprend rien lorsqu’on vous dit que le rap possède aujourd’hui une multitude de styles différents. Que ce soit le cloud rap amené par PNL puis TripleGo, la trap propulsée par Gradur et Kaaris, divers genres ne cessent de voir le jour sur la scène française et internationale. C’est cette diversité qui va amener de nouveaux auditeurs à s’intéresser aux musiques urbaines. Cette même diversité que l’on va retrouver dans la grande variété d’auditeurs. De plus, la montée en puissance des artistes féminines comme Aya Nakamura ou Shay va ouvrir encore plus de portes et rendre bien plus accessible ce style musical.
Il suffit de se rendre en boite de nuit. A l’heure actuelle, les clubs (de manière générale) diffusent presque exclusivement des musiques issues de la scène urbaine. Depuis quelques années, certains titres ne cessent d’être diffusés quelques années après leur sortie : « Djadja » de Aya, « Rosa » de Gradur ou « Tchoin » de Kaaris, etc.
Aujourd’hui, il est facile de savoir lorsqu’un titre a été composé dans le but d’être joué en club, comme le dernier « Ne reviens pas » entre Gradur et Heuss l’Enfoiré. Les mélodies entraînantes, les paroles simples à retenir, les danses virales… Si la plupart de ces facteurs sont bien orchestrés, c’est le hit assuré. Si cette recette vous intéresse, vous pouvez d’ailleurs lire la nôtre.
« Le rap, c’est la pop d’aujourd’hui »
En se penchant sur la playlist Top France de Spotify, on se rend vite compte que les titres en haut du classement sont des morceaux avec des sonorités et des textes assez accessibles au grand public. Ce type de son possède une certaine similitude avec le type de titre qui faisait la une des classement lors de l’âge d’or de la pop. On retrouve par exemple pour la plupart :
- Des morceaux qui parlent d’amour : « Angela » – Hatik, « Lettre à une femme » – Ninho…
- Une partie des titres qui ont pour but de vous faire danser, la plupart du temps grâce à des chorégraphies virales reprises sur TikTok : « Toosie Slide » – Drake…
- D’autres morceaux qui sont là pour ensoleiller votre quotidien et qui se veulent festif comme « 6.3 » de Naps avec Ninho.
Les artistes ont une réelle volonté de faire du rap la nouvelle pop. Ce qui leur permettrait d’avoir une plus grande audience, pour ensuite être diffusé en radio, dans les boites de nuit et obtenir des certifications.
Avec »Folie », Jul a carrément fait une reprise du titre phare des années 80 « Nuits de folie ».
Un renouvellement artistique
Et ça, c’est quelque chose que les artistes du milieu de la pop ont bien compris. Des artistes avec une renommée internationale qui n’ont rien à prouver à personne comme Ed Sheeran sont de plus en plus influencés par ce qui se fait dans le monde du rap. Son dernier projet en date, No.6 Collaborations Project, montre vraiment la volonté de l’artiste de renouveler son image. La tracklist de l’album et les collaborations montrent la couleur du projet.
Ce renouvellement artistique lui permet de toucher un nouveau public en vogue. Que ce soit en réunissant deux des icônes du rap comme Eminem et 50 Cent sur le titre « Remember The Name », ou bien en s’entourant de stars du moment comme Travis Scott sur le morceau « Antisocial ». Ed Sheeran est même allé jusqu’à s’accaparer l’univers de La Flame à travers la direction artistique de leur clip.
Les artistes grand public utilisent de plus en plus, des productions aux sonorités rap sur lesquelles ils utilisent des flows qui alternent entre la mélodie et des paroles saccadées. Mais cela est-il gage de réussite assurée ?
Est-ce que ça fonctionne ?
Personnellement, je ne connaissais pas vraiment certains artistes comme Ariana Grande (bien que certains de ses titres me soient familiers). Je ne me sentais pas si intéressé par l’artiste car je ne faisais pas partie du public visé. Mais à compter du jour où j’ai découvert le morceau et le clip de « 7 Rings », mon avis a totalement changé et elle venait de captiver un nouvel auditeur. J’ai tout de suite adoré la prod’ qui est similaire à ce qui se fait de mieux dans la trap actuelle. Sans parler de la manière dont Ariana pose sur l’instru. Son flow saccadé, mélangé à des phases chantées a su me prendre à contre-pied. À tel point que je me suis penché sur la carrière musicale de l’artiste.
Certains n’adhèrent pas du tout au mélange de ces deux écoles bien différentes. Certes, il arrive parfois que la connexion ne soit pertinente (je ne veux plus jamais à avoir à entendre quelque chose d’aussi nul que Revival d’Eminem). Mais cette combinaison de styles est quelque chose de réellement important pour la musique. Elle permet de regrouper des communautés très différentes et d’élargir les horizons ainsi que la culture musicale de chacun. Ce mélange pop/rap a notamment permis l’émergence de très bonnes collaborations sur la scène francophone, notamment « Minuit 13 », succulente association entre Hamza, Christine and the Queens et Oxmo Puccino.
Et vous, pensez-vous que le rap est la nouvelle pop ?