Et si l’on ne devait plus choisir qu’une seule identité musicale ? Si l’on pouvait composer un projet axé sur l’ambivalence de nos souvenirs ? C’est certainement le défi relevé par kahnji, producteur multi-facettes de la scène explosive strasbourgeoise, avec son projet l’été aura tout brûlé sauf la solitude. Une approche authentique et spontanée que nous avons retracée pour 1863 au travers d’un portrait de l’artiste.
La visioconférence commence. Tous les trois – kahnji, Pierre et Alissa, sommes connectés depuis nos chambres par souci géographique : l’un est à Strasbourg, l’autre est à Bruxelles et la dernière à Paris. En se lançant, on prend la température. Après tout, on découvre kahnji pour la première fois. Malgré des airs réservés, le jeune artiste n’a pourtant aucun mal à se confier. De ses débuts à son récent album, on vous en retrace les moments forts…
La genèse de l’aventure kahnji
On en sait encore peu sur kahnji. Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut pas se laisser avoir par son nom de scène. Même s’il ne cache pas être influencé par la musique ambient asiatique, ce n’est pas de là que son nom prend ses racines : « Quand j’ai commencé à faire du son en seconde, je voulais trouver quelque chose qui reflète mes origines asiatiques, et celui-là est tombé par hasard. Au début, c’était Kaan-g. C’était la phonétique qui me plaisait. J’ai appris après coup ce que ça voulait dire », nous confiera t-il.
Pour implanter ce nom de scène, kahnji va être partout, en créant des groupes avec ses potes ou en se représentant dans des bars. Depuis qu’il a découvert la guitare au collège, il n’y avait plus que la musique à ses yeux : « Je voulais être une rockstar », sourit-il. Petit à petit, rattrapé par une curiosité grandissante, il découvre d’autres styles qu’il s’amuse à mélanger avec ses bases de guitare : « Tout s’est mélangé à partir de 2015-2016, dès que l’électro et le rap se sont croisés. C’est devenu flou à ce moment-là car j’ai envie de devenir une rockstar, puis de devenir Avicii. Finalement, je vais devenir le premier moi. »
Strasbourg comme laboratoire d’expérimentations
En parallèle de ses expérimentations, le jeune artiste alsacien découvre SoundCloud et en fait son nouveau réseau social préféré : « Quand je l’ai découvert, je passais plus de temps dessus que sur Messenger. Puisqu’on pouvait s’écrire, c’est ainsi que j’ai connecté avec plein d’artistes à l’époque. » Ces mêmes artistes qui sont des habitants de sa ville natale, Strasbourg, et avec qui il connectera bien vite. Ce qui est marquant, c’est que ce ne sont que des noms déjà implantés dans le paysage musical actuel : SonBest, Kay The Prodigy, Jeune Austin ou encore HIBA.
À cet égard, kahnji décrypte : « Contrairement à d’autres viviers comme Lyon, pour la trap, ou le Sud, avec un rap plus électronique et ensoleillé, à Strasbourg on est tous différents. Il y a une grande diversité et tout le monde peut y trouver son compte. On a tous ce rapport affectif à Stras’. L’isolation nous a permis de faire quelque chose d’authentique. » De ces rencontres naît un projet commun avec le duo HIBA, quasi triste. Sorti en novembre 2023, nous y retrouvons les premiers jets de l’esthétique plutôt pop de kahnji.
S’en suit, six mois plus tard, son premier projet, l’été aura tout brûlé, sauf la solitude. Il représente la première compilation de ses années d’exploration musicales. Cet album s’éloigne des bases pop empruntées par l’artiste dans ses collaborations pour basculer vers des sonorités plus expérimentales.
Une recette entre minimalisme et mélange des genres
Si pour certains, les vacances d’été riment avec amusement, pour kahnji il s’agissait plutôt de longs mois d’isolement. Se sentant obligé de passer le temps avec « des gens » sans pour autant y parvenir, il reste seul dans sa chambre. Paradoxalement, il s’agit aussi de la période où le collégien – à l’époque, est le plus libre. Loin du regard des autres, kahnji prend le temps d’explorer et d’apprendre la musique et consacre des heures à la découverte de la guitare et des logiciels de composition.
La solitude lui permet de découvrir les recoins des genres qu’il affectionne : du rock de Metallica ou AC/DC aux premiers grands noms de la scène électronique actuelle comme Sam Gellaitry ou Flume, en passant même par la musique de film. Pour condenser l’ensemble de ces inspirations, il décide de miser sur la simplicité de la forme musicale des compositions électro-minimalistes. « Ce que j’aime beaucoup faire dans ma musique, c’est souvent d’essayer de centrer les choses autour d’un élément en développant un thème simple en l’habillant d’éléments harmoniques sans le transformer », explique kahnji.
Pour lui, partir d’un thème permet d’ouvrir un panel infini de constructions harmoniques possibles. Plus simplement, une mélodie unique peut être complétée par d’innombrables sonorités dans l’accompagnement. Par exemple, quand kahnji reçoit un acapella, il propose au moins deux versions d’instrumentales différentes : « Ça me vient des riffs iconiques du rock, comme chez AC/DC ou Metallica. Tu retiens une mélodie principale, puis une voix et une batterie qui viennent se calquer dessus. J’aime bien faire ça. »
Prenons par exemple le titre « apprends-moi le piano ». Le morceau commence par un thème mélodique qui vient se répéter deux fois et qui ne nous quittera plus. À la troisième répétition, un accord de synthétiseur s’ajoute au thème qui se répète une seconde fois. Un bref motif à la guitare électrique distordue crée une transition vers une énième répétition. Cette fois, l’ensemble des précédents éléments sont unis, mais des accords de cordes pizzicato et une ligne mélodique à la basse doublent le thème. Ce dernier sera répété une seconde fois avant de disparaître.
Un projet sur la solitude, né de multiples collaborations
Pour intégrer ces inspirations au sein d’un projet, kahnji a fait le choix d’aller à contre-courant. Souvent, on demande aux artistes de choisir un genre musical dans lequel ils doivent évoluer pour être reconnus. Pourquoi se limiter en définissant une identité musicale lorsque celle-ci peut être plurielle ? « C’est la première fois où je ne me suis pas posé la question [de l’identité musicale, ndlr]. Quand ça fait dix ans qu’on le fait, on l’a déjà en nous. Il faut réussir à se faire confiance, se détacher de toutes les interrogations. C’est là où on parvient à faire quelque chose d’authentique. » Le projet ne se limite en rien. On vagabonde dans des sonorités rock, pop ou ambient avec cohérence.
L’authenticité de kahnji va au-delà de sa production personnelle et se transmet jusqu’aux collaborations présentes sur l’album. De annie.adaa, mei, Tony Seng, koboi, Jorrdan, san juliet à fisherman, elles se sont avant tout créées sur le plan humain, plus que sur la direction musicale. Ces connexions se travaillent dès les premiers pas en studio : « Lorsque je travaille avec des gens, on discute pendant deux ou trois heures avant de faire de la musique. C’est une façon d’accorder les violons », nous confie-t-il. Malgré la distance, le lien unissant les artistes à leurs souvenirs d’étés solitaires a été suffisant pour créer.
Ce travail de sincérité s’est imposé pour la pochette : « J’avais envie de faire un truc avec les câbles car je trouve ça fascinant comme ils nous relient à tout. On a tout le temps la tête dedans, on est dépendants d’eux car ils nous relient et nous déconnectent à la fois. On n’a jamais été aussi connectés mais j’ai l’impression qu’on est loin des autres. » C’est ainsi que kahnji a rencontré cherry (@aletiune) sur Twitter, qui créait des images avec des câbles. Un seul pitch fut envoyé, pour permettre de laisser libre court à la nostalgie de chacun et proposer le projet le plus authentique possible. « On a fait confiance à nos souvenirs », sourit kahnji.
Si la solitude avait une bande originale
Ces souvenirs nostalgiques façonnent même la trame du projet. L’ensemble des titres se suivent les uns après les autres et content l’histoire d’une journée d’été. Nous commençons par la « routine matinale » où l’on va sur « l’aire de jeu », et on « apprend le piano ». Puis, lorsque « la nuit tombe même en août », on gamberge et finalement on se dit que « même les ordinateurs iront au paradis. »
« Les journées en été sont plus longues, il y a plus d’images, de tableaux, de souvenirs. C’est comme un rideau qui flotte. Des tableaux que tu vois, auxquels tu prêtes plus d’attention parce que tu as le temps. Émotionnellement, c’est une saison intéressante. Je voulais peindre des décors qui sont banals pour tous, grâce à la musique », décrit kahnji. La clé de ce fil conducteur est de permettre à tout auditeur de plonger dans sa mémoire, le temps d’une journée. En quelque sorte, c’est le dessin d’une ode à l’ennui.
Ce projet est un retour vers le passé de l’artiste. Si autrefois être seul dans sa chambre était une crainte, il s’agit aujourd’hui d’instants recherchés. “Quand tu es petit, tu as le temps de t’ennuyer. Maintenant, les responsabilités nous en éloignent”, pense kahnji. Le temps lui a permis de créer un rapport ambivalent à la solitude. Entre tendresse et mélancolie, qu’il a réussi à retranscrire dans cet album. Un sentiment universel que le compositeur a souhaité retranscrire avec le plus d’authenticité possible.
Encore discret sur les prochains projets à venir, une chose est sûre : le live est en cours de conception et promet de mêler musique et image. Comme des chimistes, kahnji et ceux qui l’entourent travaillent méticuleusement pour extraire chaque substance des musiques qui les animent pour expérimenter la leur. Il sera curieux de voir comment tout cela continuera de grandir.