Geeeko : « Surveillez la Belgique, Bruxelles est fâché »

En quelques mois, une nouvelle voix bruxelloise s’est propulsée sur le devant d’une scène prometteuse et déjà indispensable à l’avenir du rap. Fruit d’une jeunesse cosmopolite dont il est le porte étendard, Geeeko lève sa voix pour prendre le contrôle de ses rêves. Alors que son deuxième projet, Iréel, s’apprête à sortir, il se tient prêt à assumer toutes ses facettes et à retranscrire ses émotions avec la plus grande authenticité. Rencontre. 

Ce ne sont pas dans ces conditions qu’il avait imaginé sa première année de carrière. En plein confinement et à une heure où l’industrie musicale fait face à une crise aux conséquences alarmantes, l’optimisme se laisse entrevoir derrière deux sourires. À 21 ans, Geeeko peaufine son univers musical à travers la création de son deuxième projet Irréel, prévu pour le 18 décembre prochain. Focus sur l’étoile montante de Bruxelles. 

Geeeko
© Raia Maria Laura

La sortie de quelques clips et freestyles le feront repérer par le label Vangarde Music il y a un an. À un âge où nos choix déterminent notre avenir, Geeeko fait face à un dilemme : saisir l’opportunité d’une signature en label et choisir le chemin artistique plutôt que scolaire, ou le regretter toute sa vie. C’est en ses mots qu’il s’introduit : « Quand mon label m’a fait une proposition il y a un an, j’ai arrêté les études. Je ne pouvais pas rater cette opportunité, sinon je l’aurai regretté toute ma vie. Il fallait convaincre ma famille, ça a pris des mois. Ils voulaient que je réussisse et ce chemin leur a fait peur. Mais depuis la signature, ils comprennent que c’est sérieux. Ils ont vu une différence au niveau des clips et de la musique. Ma mère a commencé à me faire confiance petit à petit et elle a compris que j’avais moyen de m’en sortir avec la musique. Maintenant, ils me font entièrement confiance, ils sont fiers. Même au bled ils m’écoutent. C’est le meilleur des cadeaux. » 

Désormais managé par Dimitri Borrey, ancien manager de Stromae, Geeeko vit ses premiers pas en tant qu’artiste et appréhende cette pression avec une grande excitation : « Je kiffe à mort tout ce qui m’arrive. En fait, c’est le moment où tu dois gérer beaucoup de stress parce que t’es en train de construire la base de ton empire. C’est la partie la plus intéressante. Je crois que quand je serai plus haut, je vais la regretter. C’est bien plus authentique, parce que c’est maintenant qu’on voit que tu as la dalle. Et les artistes qui ont la dalle généralement, ils ont plus de choses à dire. » 

Geeeko
© Raia Maria Laura

Tout est Réel…

Son premier projet Réel dévoile les nombreuses couleurs de sa palette et se reçoit comme le premier chapitre de son histoire. Durant l’enregistrement du projet paru en avril dernier, un producteur s’est révélé particulièrement important. Il s’agit de Chuki Beats, que Geeeko considère comme sa base, et avec qui il partage une réelle alchimie. Le mérite revient également à Sim Izi et Berry. Pour le visuel et les clips, c’est sur Johann Dorlipo que Geeeko peut compter. Il souligne d’ailleurs l’importance de son entourage : « Je suis très bien entouré, et chaque fois qu’on se connecte avec d’autres gens, on agrandit la famille. Ce sont des gens proches qui croient vraiment au projet. Donc c’est un truc de fou. »

D’ailleurs, le baroudeur a pu se fier à l’œil avisé d’artistes affirmés tels que Krisy : « Il connaissait mon manager depuis longtemps, et moi il me connaissait vite fait de loin. Je le faisais rire. Parce que moi en soirée, c’était n’importe quoi. Un vrai fouteur de merde, j’étais turbulent. Donc je me faisais déjà remarquer par les grands. Et via Vangarde, quand on a fait mon premier projet, on lui a demandé qu’il vienne pour donner son avis, parce que c’est quelqu’un que je respecte à mort musicalement, et je voulais avoir ses conseils. Ça m’a beaucoup aidé. Il m’a éclairé sur beaucoup d’aspects et après il m’a invité chez lui. On a commencé à travailler un son sur une prod à lui, et ce son il dormait depuis longtemps. Mais il y a un mois, il l’a écouté et il m’a dit qu’on ne devait pas dormir dessus. »

L’univers d’un artiste est construit à travers tous ses supports de communication. C’est pourquoi l’élaboration d’une identité en harmonie avec son art permet de plonger le public dans un monde qui lui est propre. Geeeko affirme y porter une attention particulière, conscient de l’importance de l’image dans la musique : « Moi je fais autant attention à mon visuel qu’à ma musique. Maintenant les gens ont besoin de s’attacher à une image. C’est là où tu fais la différence, quand les gens accrochent à ton visuel en plus de ta musique. S’il y en a 5 ou 6 autres qui sont déjà là et que toi t’arrives mais que tu n’as aucune dimension visuelle, tu n’apportes rien à la culture. Alors que si tu viens vraiment impacter ce truc et que les gens ont envie de te ressembler, là tu apportes quelque chose. »

… et irréel 

Pour faire suite à Réel, Geeeko se montre perfectionniste. Rien ne freine sa productivité : « En ce moment, j’ai rien d’autre à faire que du son. Ça me laisse du temps pour me concentrer, aborder certains sujets, avoir un regard plus objectif, prendre le recul nécessaire par rapport à ce que je vis. Quand t’es dans les concerts, t’as pas le même temps. »

cover geeeko irreel
© Adrien Beaujeant

Celui qui baraude la nuit dépeint d’une voix singulière les aléas de sa vie, avec des mélodies qui nagent entre plusieurs influences. Geeeko revendique Don Toliver, Daniel Casear, SAINt JHN, ainsi que la scène africaine avec Wizkid ou Davido. L’artiste souhaite être polyvalent et ne compte pas se limiter au rap pour autant. D’ailleurs, ce qu’il préfère, c’est chanter, comme en témoigne « Noche », premier extrait du projet. « Ce son est plus connoté pop que rap, parce que clairement je chante. Là, je ne prends pas ma voix de baroudeur. Je chante, et j’assume. D’ailleurs, je kiffe faire ce genre de son, c’est ce que je préfère. Parce que ça me touche plus, je me livre plus et je ressens plus la musique. En plus, j’ai l’impression que ça vieillit mieux. Les bangers, au bout d’un an tu t’en lasses. Alors que si t’écoutes un son qui te touche à un moment précis de ta vie, 5 ans après tu t’en souviens encore et ça te rappelle certains souvenirs. Ça te transporte. Moi, si on me dit que mon son est fort en émotions, je me dis que j’ai réussi ma mission. » 

Après de longues semaines de charbon, il peut enfin se vanter d’avoir finalisé la conception de son œuvre : « J’étais à Marseille en train de charbonner avec PH, et je ne voyais pas le bout du truc. Je me disais que c’est chaud, qu’il reste je ne sais pas combien de sons à faire. Là on est au bout, on a réussi à peaufiner tout ça, à choisir les meilleurs sons. J’ai dû jeter des morceaux qui me tenaient à cœur, mais c’est comme ça. » 

Si le talent n’est plus à prouver, il possède le recul nécessaire par rapport à son art, et compte se surpasser encore plus, revenir toujours plus fort, et choquer à chaque fois. Pour cette raison, il tend à renouveler son entourage afin de renaître musicalement. Cette tracklist confirme cette renaissance artistique, et se compose d’un casting brillant. Chanceko, Squidji, Frenetik et YG Pablo se sont ainsi réunis pour un projet dans la même lignée que le précédent, avec des allures d’album.

Côté production, il compte toujours sur Chuki, mais souhaite également explorer de nouvelles sonorités, afin de ne pas tourner en rond. Il nous explique d’ailleurs sa collaboration avec PH Trigano, qui a également produit Lala&Ce, Ichon et bien d’autres : « J’avais besoin de ce genre de connexion pour que mon projet soit plus classe. Tu vois, ce genre de musique un peu plus sophistiqué. Parce que Réel c’était brut, j’ai montré ce que je savais faire. Mais PH apporte cette classe et cette finesse avec laquelle les français vont plus accrocher. J’ai également travaillé avec Benjay, parce que même en dehors de la musique c’est mon gars. Là c’était aussi l’occasion de s’ouvrir à d’autres personnes, d’apporter une âme un peu plus française. » Les productions ont également été soignées par Berry, Kosei, et Busy Jacuzzi, ce qui présage forcément la formulation de véritables propositions mélodiques et innovantes.

tracklist Geeeko Irreel cover album
© Adrien Beaujeant

Il poursuit ensuite : « Les gens vont voir qu’il y a eu une prise de maturité par rapport à Réel. Alors que c’était juste en avril. Là j’ai envie de choquer, de mettre tout le monde d’accord. On a aussi beaucoup travaillé sur ma diction, chose qui m’a été énormément reprochée. Même si la vibe était cool, les gens avaient aussi besoin de s’accrocher au lyrics, de se reconnaître dans certaines paroles. Donc certains sons sont plus clairs, plus cloud. Il y aura un peu de tout. Ce projet c’est plus moi, je me dévoile plus. Réel m’a permis de montrer ce que je savais faire, j’arrive dans le rap game, je sais faire ça, je chante comme ça, je rappe comme ça. Mais je ne parlais pas vraiment de moi. Là, je parle de ma famille, de ma perception de la musique, ce sera plus personnel. » 

« La musique, c’est fait pour prendre son temps. Il faut faire de la musique parce que tu aimes ça, continuer d’avancer par passion. Il ne faut pas regarder les chiffres, les statistiques. Ça gâche ta musique, c’est ça qui tue les artistes.« 

On lui demande alors ce qu’il attend de ce deuxième projet, comment il appréhende sa réception, et sa réponse fuse : « Je ne me mets pas ce genre de pression. Parce que si tu as trop d’attentes, t’es vite déçu. La musique, c’est fait pour prendre son temps. Il faut faire de la musique parce que tu aimes ça, continuer d’avancer par passion. Il ne faut pas regarder les chiffres, les statistiques. Ça gâche ta musique, c’est ça qui tue les artistes. Parce qu’on le ressent que tu le fais pour les chiffres et pas par pur kiff. Quand un artiste fait ça parce qu’il veut passer en radio, c’est pas intéressant tu vois. Sans aucune prise de risque, l’art perd de son charme. » 

L’authenticité comme maître mot du processus créatif

On se plaint beaucoup de la tournure que prend parfois le rap français, des conséquences de la surproduction avec cette masse d’artistes qui s’enferme dans des recettes sans risques et déjà explorées dans un but commercial bien précis. En parallèle, une scène montante se démarque, avec une génération d’artistes tous plus créatifs, hybrides et en avance. On souhaitait alors connaître l’avis de Geeeko au sujet de l’évolution de la scène française : « Je ne suis pas trop intéressé par la scène française. En tout cas pas par les artistes qui sont déjà confirmés. Ceux qui ont déjà percé on les connaît, on sait ce qu’ils savent faire, ils ont déjà inspiré certaines personnes, c’est cool. Mais moi maintenant, je veux voir ceux qui sont en bas. Ceux qui sont en train de charbonner. Ceux qui ont la dalle. Ce qui m’intéresse, c’est les jeunes rookies comme Chanceko, Cashmire, Lestin, tu vois. Tous ces gens sont mes potes. Ça m’intéresse beaucoup plus d’évoluer avec des gens qui sont au même niveau que moi. C’est une scène archi talentueuse et diversifiée. En France, on rentrait dans des clichés, tu devais venir d’un bloc et rapper en bas de ton bloc. » 

À son tour, la Belgique a fait énormément de bruit ces dernières années. Hamza, Damso, Shay, Isha, Caballero & Jean Jeass et bien d’autres ont ouvert une porte qu’une nouvelle génération prometteuse tend à honorer. La relève se prépare, et Geeeko possède toutes les qualités pour s’imposer comme l’une des principales têtes fortes de cette scène : « Hamza a ouvert une porte que j’ai poussé ensuite. Il peut se vanter d’avoir ramené ce truc un peu ricain, qui n’était pas encore totalement assumé. Moi c’est assumé aussi visuellement. Depuis que Damso et les autres ont ouvert la porte, l’œil est sur nous. On a toujours eu la dalle en Belgique, on est déterminés. Quand on a vu qu’ici on commençait à briller, on s’est dit qu’on devait charbonner deux fois plus que les français pour se faire voir. Là c’est une opportunité, ça commence à marcher pour nous. Frenetik, YGPablo, moi. Maintenant, on nous voit les Bruxellois, et ce n’est que le début. » 

« Moi, quand je serai en haut, je serai le même. Je continuerai toujours à m’intéresser à ce qui se passe en bas. Parce que la rage qu’il y a en bas, ce n’est pas la même en haut, et l’authenticité artistique n’est pas la même non plus.« 

Lorsque l’on évoque les prémisses de son succès, Geeeko sait garder la tête droite sur ses épaules, sans jamais manquer de lucidité. Il nous confie : « Moi, quand je serai en haut, je serai le même. Je continuerai toujours à m’intéresser à ce qui se passe en bas. Parce que la rage qu’il y a en bas, ce n’est pas la même en haut, et l’authenticité artistique n’est pas la même non plus. Là, l’envie de créer est immense. Viens on charbonne, on va au studio, on crée le futur hit. Parce que pour l’instant, on a rien, et on a la dalle. »

Cette dalle justement, c’est ce qui le pousse à voir toujours plus loin, à viser toujours plus haut : « Je veux m’exporter à l’international. Là, je rentre dans les codes francophones, parce que c’est le public que je dois toucher dans un premier temps. Mais je ne veux pas me limiter à la France. Je veux collaborer avec des ricains, ou encore avec des anglais. J’aime trop leur vibe, elle est différente, ils sont à part. Ils osent plus, ça me rappelle Bruxelles. J’aimerais que ma musique s’exporte partout, qu’elle dépasse le continent européen. » 

S’exporter, encore et toujours. Mais sans jamais quitter Bruxelles : « Bruxelles, c’est ma ville. Je veux bouger, parce que je n’ai pas eu la chance de voyager beaucoup dans ma vie. C’est en train de changer, grâce à la musique, et je kiffe de fou. Alors je veux voyager, mais j’aurai toujours un pied à Bruxelles, quoi qu’il arrive. » 

À l’écouter, on comprend que ce n’est définitivement pas la peur de l’échec qui le guide, mais bien cette soif de création, animée par une passion débordante. C’est en ses mots que Geeeko ponctue cet échange : « Je souhaite continuer à kiffer la musique avec autant d’authenticité. Que ça me procure le même plaisir que maintenant, et que je ne le fasse pas pour plaire à un tel ou à un tel. Je veux continuer à faire ça par passion. Maintenant, il faut rester connecté, ça va être terrible. Mon projet arrive, ceux de YG Pablo et Frenetik arrivent l’année prochaine. Ça va être un bordel. Surveillez la Belgique, Bruxelles est fâché. »

Pour aller plus loin, Monsieur Nov donne un second souffle au RnB en France.