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Frenetik, Green Montana, YG Pablo… : la Belgique ne cesse de garder la forme

Longtemps cloisonnés au sein de leurs frontières, les artistes belges ont, avec le temps, su imposer leurs styles à un public bien plus large. Une invasion qui s’est faite progressivement et qui sévit encore aujourd’hui en Belgique et au-delà.

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Frenetik © Fifou

Des débuts en demi-teinte

Depuis 1989 et le titre Mais vous êtes fous de Benny B, le rap s’est créé une place au sein du plat pays. Petit à petit, cette culture s’y développe tant bien que mal grâce à l’apparition de structures comme Back In The Dayz et Give Me Five Prod dans les années 2000. Celles-ci permettent aux artistes belges de se rencontrer et de partager leurs arts. En résultent des collaborations plus ou moins marquantes, à l’image de Bx Vibes un morceau de Scylla qui regroupe une majorité de la scène bruxelloise de l’époque.

Même si cette musique se répand de plus en plus au sein de la Belgique, elle a encore du mal à se faire remarquer à l’étranger malgré quelques connexions avec des artistes français. En cause, un manque de moyen de la part de ces dites structures qui ne sont qu’au début de leur développement. Aussi, le rap reste une culture fortement stigmatisée. En résulte alors un manque d’intérêt de la part du public qui garde bon nombre de préjugés sur le milieu. Malgré la difficulté de faire résonner cette culture, tous continuent leur bout de chemin, animés par une passion qu’ils ne demandent qu’à faire rayonner, posant ainsi les fondations nécessaires au développement du paysage rap belge.

2015, année charnière pour le rap francophone

Après des débuts difficiles, personne n’est censé ignorer que le rap français a vécu un tournant en 2015. Des artistes ont confirmé et une multitude de rookies est apparue. De plus, la démocratisation des plateformes de streaming et des médias spécialisés jouent un rôle important dans la diffusion de ces artistes. Bien évidemment, en Belgique de nouvelles têtes apparaissent. Pourtant, la Belgique connait un sentiment d’infériorité face à l’étendue de rappeurs français. Il leur faut donc un moyen de faire leur trou tout en venant d’un endroit où les moyens sont limités. C’est comme cela que certains talents décident d’arriver avec une sauce qui a eu le temps de mijoter avec les années. Ainsi, Hamza, Damso ou encore Shay, apportent, à travers leur style et leur univers, un vent de fraicheur dans le milieu. Désormais, on ne parle plus de scène rap française, mais de rap francophone. Une notion encore plus vraie aujourd’hui quand on jette un œil du côté de la Suisse et du Québec.

Du coup, Hamza apporte, par exemple, des sonorités qui sont en train de se développer aux Etats-Unis. Cependant, tout le monde ne comprend pas de suite sa proposition, la faute principalement à un franglais qui peut dérouter. Mais, confiant avec sa recette, le Sauce God va la faire évoluer au fil des années jusqu’à devenir une tête d’affiche de la scène francophone actuelle. Un véritable modèle de réussite qui s’est construit sur l’exploitation de ce qui fait sa force pour l’ancrer dans un univers cohérent et singulier qui, muri par les années, l’a installé à la place espérée.

Un schéma de carrière un peu similaire pour Damso qui amenait une trap certes déjà bien exploitée en France, mais à laquelle il amenait une touche différente présente dans son écriture crue et imagée. Egalement confiant dans sa vision, il n’a jamais eu de mal à sortir des carcans qu’on lui imposait pour offrir un univers et une musique teintée de mystères qui lui a permis de susciter l’attention du public. QALF, son dernier album en date, est la synthèse de ce qu’il a toujours voulu livrer à son public : une musique difficile à cantonner dans des cases et des thématiques traitées avec froideur, mais surtout avec justesse.

Les portes s’ouvrent réellement

Avec Shay, les diables rouges ont évolué durant un moment dans la structure française 92i de Booba. Il était donc plus facile pour eux de proposer leurs musiques à un public français et d’allumer les projecteurs en direction de la Belgique. Cette ouverture via cette organisation prouve bien la difficulté qu’ont les structures belges à se développer. En dehors de ces évolutions qui les ont progressivement installés sur la carte du rap, ces artistes ont permis de forcer le cadenas qui bloquait le passage entre la Belgique et la France, qui commence à s’intéresser aux nouvelles recettes concoctées par leurs voisins.

En parallèle, des têtes bien connues par le public belge comme Caballero & Jeanjass s’émancipent avec des succès corrects en France, notamment grâce à leur proximité avec la scène parisienne. De Le Singe Fume Sa Cigarette avec Lomepal et Hologram Lo aux freestyles Grünt, ils ont acquis une expérience non négligeable qui découlera sur la trilogie Double Hélice et la création d’un studio important à Bruxelles. Les portes vers un plus large public semblent réellement s’ouvrir et l’envie de mettre en avant les talents de leurs pays se fait sentir. Damso met en avant Kobo quand Caba & JJ poussent Isha à faire éclater son talent aux yeux du grand public. Les nouvelles plantes sont en pleine incubation et préparent de quoi servir en abondance le rap francophone.

Un puit de talents sans fond

Etape par étape, la scène belge se solidifie. Les têtes d’affiches pètent les scores et des jeunes pousses ne cessent de fleurir. Le rap étant devenu une musique très populaire, la concurrence entre les nouveaux arrivants est rude. Et pour faire son trou, il devient presque obligatoire de trouver une recette originale. Ce que certains ont compris, d’autres moins. C’est notamment de cette façon que la musique de Geeeko a pu se faire connaître. Le jeune rappeur de Bruxelles est arrivé avec un univers qui, à l’image de Hamza ou de Damso, apporte une fraicheur à ce qu’il se fait dans le rap. Il n’est pas le seul à le prouver : Frenetik, YG Pablo ou encore Green Montana l’illustrent également à merveille. Tous ces artistes ont pris le temps de consolider et de perfectionner projets par projets leur art, poussant le public à s’intéresser à eux.

Frenetik ramène la technique et l’écriture au centre des débats avec une plume affutée et un phrasé reconnaissable. Quant à Geeeko, il tend à ancrer de plus en plus sa musique dans un univers nocturne où il dépeint à sa manière sa vision de la nuit et les différents aspects que cela peut comporter. YG Pablo et Green Montana étonnent par leur polyvalence et leur grande capacité à proposer des mélodies entêtantes.

Ces artistes aussi diversifiés soient ils, arrivent à collaborer ensemble et à montrer toute la complémentarité de leur univers distinct. Il est important de noter qu’ils bénéficient de belles équipes derrière eux, synonyme également de l’apparition de nouveaux acteurs qui comptent bien créer un véritable engouement pour le rap en Belgique et surtout poursuivre son export à l’étranger. Une vision qui n’est pas sans évoquer l’adage de Damso «Qui Aime Like Follow». Le bruxellois a bien montré cette volonté de proposer un univers singulier qui le représente aussi bien en tant qu’artiste qu’en tant que personne. Les leçons du passé ont été bien assimilées par les nouvelles têtes, ce qui devrait leur permettre de ne plus les reproduire.

La décentralisation du rap belge

Les portes sont belles et bien ouvertes et cela se ressent au sein du pays. Les jeunes artistes travaillent d’arrache-pied pour produire une musique aussi singulière que possible. De nouvelles scènes se développent et Bruxelles n’a plus le monopole des artistes. Les récents succès de Green Montana, originaire de Verviers, ou encore Bakari, basé à Liège, en sont une preuve. Toute la Belgique bouge enfin et des structures se mettent en place, de Namur à Liège en passant par Charleroi. Souvent limitées par leurs moyens, elles permettent tout de même aux artistes de proposer des morceaux remplis de potentiel ne demandant qu’à être exploités. Ainsi, les cinq provinces wallonnes sont de réels viviers de talents.

A Namur, Jeune Lux étonne avec un timbre de voix atypique servi sur des sonorités actuelles tandis que le collectif Narko T livre une trap agressive et bien construite. Du côté de la province du Luxembourg, le producteur, toplineur et rappeur Waren a pris le temps de peaufiner son amour du rap pour trouver sa singularité qui ne devrait qu’évoluer avec le temps. En plus de Bakari et Green Montana, la région liégeoise regorge de nombreux talents. Saints et sa maîtrise de l’égo-trip, DMC Homie et ses influences américaines ou encore Sempaï et son univers émo bien construit par le beatmaker Ephes prouvent la diversité de cette région.

Proche de la capitale, le Brabant Wallon a notamment vu Hunter prendre son envol avec des mélodies toujours plus efficaces. Pour terminer, le Hainaut est actuellement un vivier de talents étonnant. A Mons, le Shelta Studio, en plus de produire pour les artistes montois, propose des concepts vidéos intéressants mettant en avant cette scène qui ne demande qu’à se développer. Du côté de Charleroi, une cohésion entre les rappeurs se créent, confirmant l’adage qu’à plusieurs on va plus loin. Parmi eux, des noms comme Cest Calvin, Melvin Ross, Kaboumset Matisse sont à retenir.

Et du côté flamand ?

Au nord de la Belgique, là où l’on parle le néerlandais, le rap aussi fait son petit bout de chemins. Des connexions entre les artistes néerlandophones et francophones commencent à se démocratiser, à l’image de la récente collaboration entre Zwangere Guy et Frenetik.

Le rap a donc gagné tout le pays. Et même plus lorsqu’on voit le vent de fraicheur que les artistes belges ont amené sur la scène rap francophone. Cette mutation s’est opérée étape par étape et une multitude de facteurs sont à prendre en compte. Mais s’il faut retenir une chose de cet éclos de la scène belge, c’est cette volonté d’apporter un vent nouveau sur ce qu’il se fait déjà. Et pour cela, il est souvent nécessaire de travailler un univers singulier et propre à chacun des artistes. En tout cas, la Belgique est maintenant plus qu’installée et continuera de dévoiler année par année ces talents.

Pour aller plus loin, lancez-vous dans la découverte de la scène antillaise et ses nombreux talents à suivre.

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