FEMTOGO, à l’assaut du rap français

« La flamme peut détruire. Maîtrisée, elle illumine. » Cette phrase prononcée par l’égyptologue controversé Christian Jacq s’applique volontiers à FEMTOGO. Depuis quelques mois, il avive, lentement mais sûrement, un feu explosif qui tend à se propager dans le paysage rap francophone. En deux ans, l’énigmatique rappeur s’est discrètement constitué sur SoundCloud une vague de soldats prêts à le suivre à chaque sortie. Depuis octobre dernier, il attire davantage la lumière avec son EP à l’énergie conquérante : One Man Army. Portrait d’un combattant prêt à envahir le rap français.

One man army
Crédits : @foutaizz

De Femto à FEMTOGO, une évolution clandestine

FEMTOGO fait partie de ces rappeurs dont il est difficile de cerner l’identité. Présence très limitée sur les réseaux sociaux, aucun clip à son compteur, on ne connaît ni son visage ni son parcours de vie. C’est dans sa musique que l’on cherche davantage de précisions. Mais, là encore, sa réserve se fait sentir. Pourtant, c’est dans cette nébuleuse que l’on arrivera partiellement à capter quelques traits intéressants sur l’identité de l’artiste.

D’abord, on sait qu’il est membre fondateur du collectif « Scarpackage » [abrévié en SPK, NDLR], aux côtés des prometteurs Irko, Giaco et Amnezzia. Il fait ses débuts sous le nom de Femto, en référence à l’antagoniste principal de l’animé Berserk, le « God Hand ». Ce personnage représente une divinité démoniaque aux pouvoirs surnaturels, chef d’un groupe de mercenaires nommé « La Troupe de Faucon ».  Le ton est donné.

« Les 4 faucons bientôt en Blackhawk
SPK : ça laisse des cendres
J’veux mettre les miens au fond du Trackhawk
On descend bientôt sur des sangles »

FEMTOGO – NOVITCHOK
Femto Griffith animé Berserk femtogo
Femto (Griffith), Berserk

Femto commence sa conquête artistique sur la plateforme SoundCloud à partir de 2020, en publiant avec parcimonie quelques morceaux. C’est à partir de ses premiers textes que l’on perçoit succinctement le rappeur de 23 ans : un « fils de prolétaires » ayant souffert de difficultés financières. Un homme loyal, attaché à ses racines, à ses liens familiaux et amicaux, voire fraternels. Ces textes abordent des thèmes relativement triviaux et habituels au rap français, entre galères de rue et trahisons. Certains titres ont même des tendances mélancoliques, à l’instar de « Sonata » ou encore « Boulevard des pleurs » [qui n’est plus disponible à l’écoute, ndlr].

La marque de fabrique de FEMTOGO réside également dans ses références récurrentes à la pop culture : jeux vidéos, cinéma, sports de combat ou encore mangas. La vallée du vent, Berserk, Game of Thrones, Kill Bill, ou plus globalement l’e-sport et le MMA, sont notamment abordés. On retrouve aussi de nombreuses allusions aux jeux vidéos tels que Halo, Call of Duty, Mirror’s Edge ou encore Soulcalibur. Il nommera d’ailleurs un morceau de son dernier projet d’après le personnage principal du jeu Soulcalibur : « Siegfried ».

« Goofy van bozo, Hayabusa, Nikito, appelle-moi comme tu veux »

FEMTOGO – UNDERCOVER
Goofy est un personnage de Disney (Dingo en français)
Bozo est un clown fictif américain
Hayabusa est un perso de la série Ninja Gaiden et du jeu vidéo Dead or Alive
Nikito, en référence au film Nikita de Luc Besson

« J’m’acharne comme Guts sur Bazuso* 
Bientôt ils vont m’appeler le roi fou** »

FEMTOGO – SIEGFRIED
* Référence à l’animé Bersek
** Le roi fou était un roi dans l’univers de la série Game of Thrones

« Full roaster que des vrais coureurs
Venus griffer leurs têtes comme monsieur Krueger »

FEMTOGO – BLACKHAWK
Référence à Freddy Krueger des films “Les Griffes de la nuit”

Au fil de ses sorties, la recette de Femto va se préciser et – paradoxalement – s’obscurcir. Les références à la culture de masse laissent place à la sphère cabalistique, qui concrétise davantage son projet artistique. Son évolution musicale se ressent à partir du premier EP qu’il rend disponible sur les plateformes de streaming en mai 2021 : BRAVO-6, produit par Amnezzia. Il y offre deux morceaux tranchants et noirs : « VENTABLACK » – comme son nom l’indique -, et « ADDY ». Ces titres nous plongent dans un univers plus singulier, sombre et téméraire. C’est l’entrée du conquérant FEMTOGO, un artiste à la croisée de deux mondes, entre pop culture et ésotérisme. L’un fédère le grand nombre, alors que le second s’adresse aux initiés.

Entre culture populaire et ésotérisme : une conjonction singulière

FEMTOGO démontre la capacité à fédérer une armée d’auditeurs de tout horizon. Dans sa proposition artistique : des influences venues du rap du début des années 2000, d’autres ultra modernes et cinématographiques. Le tout, teinté de références fédératrices mais aussi initiatiques. Sa proposition partage plusieurs similitudes avec celle du membre le plus remarqué du collectif 667 : Freeze Corleone, un artiste originellement niché dont l’essence musicale repose sur un système de codes ésotériques croisé à des repères culturels grand public. Avec le temps, son univers pourtant énigmatique a su capter une audience fidèle et exponentielle. Cette substance artistique est particulièrement perceptible dans le dernier projet de FEMTOGO, One Man Army.

C’est le 14 octobre dernier que sort sur les plateformes son deuxième EP, produit cette fois par neophron. Un opus de quatre titres qui nous plonge dans un monde apocalyptique avec comme héros un combattant de guerre venu conquérir des terres. La première line du projet (« tu peux m’appeler Yupa », en référence à l’animé La Vallée du temps) annonce clairement la couleur. Quatre tracks, baignés de références à la culture populaire. Mangas, jeux-vidéos ou encore cinéma : FEMTOGO prouve encore à de nombreuses reprises son attrait pour ces domaines, mais pas que.

Le membre du SPK se montre plus érudit et ésotérique, en délivrant pêle-mêle des références politiques et historiques pointilleuses. Comme le conflit entre les soviétiques et les moudjahidines durant la Guerre d’Afghanistan, l’affaire Tarnac ou plus largement des allusions à l’Islam et la mythologie grecque. Il nomme par ailleurs son outro, composée par Rosaliedu38, « Al-Masada », d’après un complexe de grottes et tunnels fondé par Oussama Ben Laden.

Une volonté de conquête affirmée

Si les couplets sont baignés de ces rudiments culturels et n’expriment que très peu d’informations personnelles sur le rappeur, il réussit la prouesse, de temps à autre, de transposer ses codes à des sujets plus confidentiels. Ainsi, on retrouve des phases concernant son rapport aux femmes ou encore sa volonté d’indépendance dans l’industrie musicale. Une manière de s’affranchir des carcans de l’industrie pour conquérir noblement le rap français.

L’esprit de conquête est omniprésent dans le projet. La cover, le storytelling, les thématiques abordées et sa manière incisive de poser le démontrent. En utilisant à de très nombreuses reprises le champ lexical de la guerre et des métaphores en tout genre liés aux jeux de tir (il samplera d’ailleurs la musique du jeu Halo 3 sur le titre « 55 West »), FEMTOGO prouve qu’il a non seulement sa place dans le rap jeu, mais surtout la possibilité d’arriver au sommet. Et quand bien même le projet se nomme One Man Army, cette éminence, il souhaite clairement l’atteindre avec ses fidèles soldats du SPK. 

« Tout en haut dans l’Blackhawk
Y a que 4 membres ça n’augmentera pas »

FEMTOGO – BLACKHAWK

FEMTOGO offre tout au long de son EP un marathon de couplets tranchants dont on ne ressort pas indemnes. Le nom de son art, « Warfare Music », devient évident. Le sentiment d’avoir assisté à un bain de sang s’émane du projet. Le remarquable travail sur les productions, aux atmosphères alarmantes et urgentes, proposé par neophron amplifie ce sentiment. Mission accomplie pour le rappeur qui aura prouvé en seulement sept minutes et quarante secondes sa capacité à découper les prods une à une, tel un guerrier abattant ses ennemis sur le champ de bataille.

Objectif « Le roi fou » : première mission accomplie

Avec son univers artistique incisif et ultra-référencé, FEMTOGO ne peut laisser indifférent. Son acharnement et sa détermination laissent présager une ascension inarrêtable pour le guerrier du SPK. Reste à maintenir le cap. La première bataille est gagnée mais la guerre ne fait que commencer. Et c’est désormais sur un long format qu’il doit déployer sa combativité. Le jeune rookie accèdera-t-il au Trône de fer du rap français ? C’est tout ce qu’on lui souhaite.

Jihane Hadjri

Pacifique est le meilleur album de Disiz.