Avant sa sortie sur les plateformes le 15 octobre, Faces émerge d’abord en 2014, tout droit sorti d’un trip sous acides. Cette mixtape exploratoire est souvent considérée par les fans comme le projet emblématique d’Easy Mac. Sur des sonorités lo-fi, jazz et des samples de films des années 70, Mac Miller nous livre ses pensées personnelles au plus fort de sa consommation de drogue.
Après l’excellent Watching Movies with the Sound Off, Mac Miller s’est enfin trouvé artistiquement, s’essayant à la frénésie irrévérencieuse d’Odd Future. Avec la lucidité de rester en indépendant dans une industrie influencée par internet, Malcolm a pu s’offrir le luxe de vivre à Los Angeles dans un manoir. Seul dans les collines d’Hollywood, tout ce succès semblait toutefois lui avoir bien retourné la tête.
Produit en très grande partie par ses soins, Faces est l’une des oeuvres les plus authentiques du rappeur. Il avait alors déclaré sur Twitter à l’époque « I wasn’t on Earth when i made Faces ». Et il est facile d’imaginer Mac Miller en studio expérimentant et déployant les paysages sonores des plus hypnotiques qu’il ait pu trouver, en partie grâce à sa consommation de drogues, sujet majeur de cet opus. Par conséquent, son court métrage Making Faces, réalisé pour cette nouvelle sortie, se révèle comme un accès nostalgique aux coulisses de la création de l’oeuvre. A l’aide des nombreux témoignages et d’images d’archive, nous embarquons dans un voyage hallucinatoire.
Un voyage psychédélique et exploratoire
Ces mots proviennent de Timothy Leary dans l’introduction du clip de « Colors and Shapes » choisi pour la réédition sur les plateformes. Cet homme était un activiste et un philosophe du mouvement psychédélique dans les années 60’s. Timothy a consacré une partie de sa vie à défendre l’utilisation d’acides et de psychotropes. Il décrit le voyage intérieur psychédélique comme un guide des différentes phases qui peuvent se produire sous l’effet du LSD. Prônant son utilisation comme une quête spirituelle, Timothy assure que cette substance permet de visiter certaines parties inexplorables de notre monde.
« Colors and Shapes » traite justement du LSD et de cette perception du monde et de la vie de ses consommateurs. Le morceau fait tout de suite écho à la cover de l’album que l’on peut imaginer basée sur un trip sous acides. Ce mix abstrait de couleurs et de formes représente les drogues telles que la cocaïne et les champignons hallucinogènes. Certains éléments de l’album sont imagés : la barre de Strip sera évoquée dans « San Francisco », la vague sur « It Just Doesn’t Matter » et « Funeral » puis les talons font référence aux femmes tout au long du disque.
Cependant, un cerveau se retrouve comme perdu au sommet de toutes ces formes et ces couleurs. Sam Mason, le réalisateur du clip, a crée un monde visuel, coloré et unique visité par Ralph, le chien de Mac Miller, comme s’il traversait l’esprit de l’artiste lors de l’une de ces utilisations de psychotropes. Pourtant, danger après danger, Larry Lovestein finit toujours par s’en sortir. Une belle métaphore de sa santé mentale en somme.
« I should’ve die already »
Sa consommation de drogue semble d’ailleurs devenir trop dangereuse pour lui. Le disque s’ouvre sur le morceau « Inside Outside » avec la phrase « I should’ve die already ». Cette thématique demeure ainsi omniprésente : Malcolm joue constamment avec sa vie à travers l’utilisation de substances. On a l’impression troublante que Mac marche sur la pointe des pieds vers le chemin de l’autodestruction. Impuissant pour modifier sa trajectoire, sa musique finit par devenir son salut.
Mac Miller était un homme troublé par ses addictions. Un homme se sentant seul et déconnecté des autres dans son manoir à Los Angeles, incapable de changer. Néanmoins, ça ne l’a pas empêché d’être un artiste tout aussi obsédé et passionné par la musique. Les sentiments de bonheur synthétique peuvent devenir ennuyeux, même s’il représente le rêve de beaucoup de gens. Toutefois, sans cela, le rappeur de Pittsburgh fait face au vide, ne ressentant plus cette sensation : « I’ve experienced every feelin’ except fine ».
« Angel Dust » est d’ailleurs très représentatif de l’atmosphère de la mixtape. Dans une ambiance très psychée et brumeuse, Mac Miller balance des lyrics brutalement honnêtes sur sa condition de vivre à travers ses addictions et son rapport aux autres, dans une attitude totalement détachée et nonchalante. La voix pitchée remplie d’hélium fait référence à son alter ego Délusional Thomas, personnage qu’il utilisait pour laisser paraitre les crevasses les plus sinistres de son esprit. Le morceau suivant, « Malibu » s’inscrit dans ce récit. Mac soulève ici un éventuel passage dans un centre de désintoxication, avouant ses difficultés au quotidien. Il espérait simplement qu’il arriverait à survivre jusqu’au lendemain : « Check myself into rehab, I might die before I detox ».
Des sonorités expérimentales
Évidemment, Mac Miller possédait une surprenante énergie positive ressentie également dans les sonorités et la production. Faces a en effet été produit de moitié par l’alter-égo du rappeur, Larry Fisherman, et l’autre moitié par Earl Sweatshirt, Vince Staples ou encore Thundercat. L’accent est mis sur l’échantillonnage, ce qui donne une texture très nostalgique au disque. Certains morceaux nous soulagent délicatement comme « Polo Jeans » avec Earl et Ab-Soul sur un flux de paroles rapides et soigneusement complexes. Des cuivres explosifs de « Here We Go » aux synthés brillants sur le génial « Diablo », Mac sait aussi rappeler son talent pour réaliser de tels morceaux. Le featuring surprenant avec Rick Ross sur « Insomniak » livre une gifle d’égotrip qui apporte un banger de renom à cette mixtape, tandis que des titres comme « Uber » et « Thumbalina » partagent un rythme psychédélique qui vibre dans nos oreilles.
De même, les samples vocaux sont omniprésents sur la mixtape. On retrouve le fabuleux monologue de Bill Murray de la comédie Meatballs de 1979 dans l’introduction de « It Just Doesn’t Matter », mais aussi l’écrivain Charles Bukowski dans « Wedding », ou encore Hunter S. Thompson dans « Funeral ». Sur le plan technique, le filigrane élevé de Mac Miller reste toujours aussi présent. Les jeux de mots sont souples et étranges, les flux de flow se déplacent et se distordent au milieu des versets, imprégnant des tournures de phrases autrement insensées d’une vie saccadée. « Yeah », le dernier morceau de cette version de Faces, est inédit. Ce bonus track se dote d’un ton effrayant et ténébreux par la domination d’accords mineurs, accompagné d’une grande performance vocale de Mac exprimant ses peurs existentielles de la mort et ses inquiétudes de gâcher sa vie.
Le triptyque de la vie
« Happy Birthday », « Wedding » et « Funeral » forment au milieu du projet une trilogie de morceaux incarnant trois événements majeurs de la vie : la naissance, la rencontre avec l’amour et la mort. Dans « Happy Birthday », Mac Miller explore les sentiments de solitude sur les gens qui l’entourent, symbolisés par un storytelling sur une fête d’anniversaire organisée par ses amis. Pour lui, c’est une occasion unique de s’amuser à leurs côtés. En revanche, il ne peut s’empêcher de lutter avec des émotions vides et une gloire creuse. Eazy Mac se demande si les gens l’aiment encore vraiment pour ce qu’il est.
Et évidemment, impossible d’y échapper dans une mixtape aussi introspective que celle-ci, un titre aborde sa relation, découvrant le but ultime de trouver l’amour. Wedding » s’ouvre ainsi sur un extrait sonore d’une interview dee Charles Bukowski. Le célèbre poète y décrit l’alcoolisme comme un moyen de briser le cercle routinier de la vie. Mac aborde quant à lui le propre dégout qu’il éprouve envers lui-même. Conscient de ses failles et ses erreurs, il rentre en opposition avec le nom du titre à la connotation positive. Il y explore sa relation, se demandant si elle est digne d’une chose aussi puissante que l’amour. Seulement, malgré tous les défauts et tribulations que traverse leur histoire traitée au fil du titre, c’est ce qui finalement les rapproche le plus.
Enfin, Malcolm explore dans « Funeral » le concept de la mort. Chaque seconde pourrait être la dernière, son esprit le quitte peu à peu. C’est la fin du cercle de la vie. Il est rempli d’acceptation, se remémorant son enfance et les événements passés de sa vie. Son âme ne suit plus que son corps, il n’est plus que la coquille de son ancien lui naviguant dans ce monde. Tout cela ressemble à la pensée torturée d’un homme conscient que la flamme de sa vie s’éteint peu à peu.
Grand Finale
Mac Miller terminera Faces avec « Grand Finale », bouclant ce récit dans un environnement très obscure. Au-delà de marquer la fin du projet, la track souligne surtout son éventuelle mort. Pour son décès, il précisait vouloir être enterré à Pittsburgh. Au final, Faces est un récit introspectif et honnête sur les pensées personnelles de Malcolm James McCormick. Au plus fort de sa consommation de drogue, il bricole sans cesse ses talents de compositeur et de producteur dans l’une des meilleures oeuvres de sa carrière.
Malheureusement, cet opus sonne aujourd’hui terriblement dans nos oreilles après sa mort tragique. Mac Miller n’a jamais caché combattre ses addictions et c’était sûrement sa façon de déclencher un appel à l’aide. Nous voyons de nouveaux visages tous les jours, mais l’intérieur de l’esprit lui, est invisible. Un visage peut mentir : « I’m the only suicidal motherfucker wit’ a smile on. » Souvent incompris, un esprit peut alors vaciller d’un jour à l’autre. Il peut changer, du plus clair au plus sombre, or le visage lui, reste toujours le même.
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