Depuis bientôt deux ans, Twitter s’est enflammé sur une nouvelle génération autoproclamée « new wave ». Au départ, ce n’étaient que des bruits de fond, représentant un grain de sable dans le paysage du rap français. En 2020, La Fève sort Kolaf, son premier projet sortant de l’anonymat de Twitter pour toucher un public plus large. La machine commence à se lancer doucement et se répand à une vitesse folle dans les oreilles d’auditeurs à la recherche de nouveauté.
L’histoire vous commencez à la connaître : il ne se passe plus une journée sans voir les noms de Khali, J9ueve, Sonbest & Co. sur les réseaux sociaux. Pourtant, les succès de ces artistes restent encore modérés, en comparaison à des jeunes talents comme MIG, 1Pliké140 ou Fresh La Douille qui cartonnent en streaming. Le prisme est tellement tronqué qu’on en a sûrement trop fait en réduisant le champ de cette nouvelle génération à une dizaine de têtes, omettant tout un pan du rap français en pleine expansion. Avec ERRR, La Fève a mis ce groupuscule sur la carte « internet ». Il signe ici le premier disque majeur de son équipage, l’amenant dans une autre dimension.
Le tremblement de terre « Mauvais Payeur »
La Fève et ses collaborateurs bénéficient d’une grande hype sur les réseaux sociaux, mais aussi d’un grand intérêt de l’industrie de la musique qui s’arrache les nouvelles coqueluches. Alors que La Fève a lancé « le mouvement », son public attend désespérément son premier gros disque après le très réussi Kolaf en collaboration avec Kosei. Et dans la carrière d’un artiste, il y a souvent un moment de rupture. Ce titre, ce clip, ce featuring qui va tout changer et amener l’interprète dans une nouvelle dimension.
« Mauvais Payeur », c’est ce but de Drogba avec l’OM contre Newcastle, un événement qui le place sur une autre planète, une autre catégorie. Dès la première écoute, on observe un changement chez l’artiste : plus de charisme, plus d’attitude, plus de confiance en soi, mais aussi plus de moyens et peut-être plus de réflexion autour de sa musique. Le morceau est sans surprise un raz-de-marée sur les réseaux sociaux. Sauf qu’à la différence de ces anciens titres, « Mauvais Payeur » s’exporte. Le titre figure dans de nombreuses playlists, tourne en soirée et dans les grands médias. Bref, il est partout et « Mauvais Payeur » devient le hit de La Fève. L’attente autour de la ERRR tape est maintenant à son paroxysme et va placer le rappeur de Fontenay-sous-Bois sur la grande carte du rap français.
Le tsunami ERRR
Le vendredi 17 décembre 2021 sort le tant attendu premier opus majeur du rappeur. Le disque s’accompagne d’une promo très fine, tel un cadeau de fin d’année qui sera finalement peu défendu par le rappeur. Un clip, une cover, 18 titres : il n’en faut pas plus pour conquérir un public en dehors des réseaux sociaux. Sur ERRR, on retrouve Zamdane, S. Téban et $ouley pour les featurings. Concernant la production, ce sont les beatmakers du moment qui ont été appelés pour apporter leur patte artistique : Bayadis, Bricksy & 3G, D1gri, DAIGO, Demna, DoomX, Fakri Jenkins, FREAKEY!, Jead, Kosei, Lyele Gwapo, Mela, OG Mael, Rosalie du 38, S2000, Tempo Once Again & Timo Prod.
Avec 18 morceaux courts et un projet qualifié de « fast-food » par La Fève lui-même, que donne réellement ERRR ? Déjà, la qualité des productions du projet est un point fort de la mixtape. On retrouve de bonnes idées avec des influences très actuelles et au goût du jour avec un fort accent Détroit. La mention spéciale est à mettre au titre « LONERRR » où l’on retrouve le meilleur beat de l’opus. Dans le format, La Fève vise juste : des titres courts pour compenser de légères lacunes dans l’écriture. En effet, le rappeur ne se livre pas réellement sur ERRR, on tourne rapidement en rond sur les thématiques.
Il y a un côté très contemplatif dans l’avenir de La Fève. Il est conscient qu’il est destiné à réaliser de grandes choses. ERRR marque ainsi le début de son shonen. Après l’entraînement KOLAF, le natif du 94 arrive à Grande Line et commence son ascension du rap français.
Et maintenant ?
La Fève est installé dans le paysage du rap francophone et est bien identifié par un plus grand public. Son public est tellement large aujourd’hui qu’on s’approche d’un single d’or pour « Mauvais Payeur » et du cap des 500 000 auditeurs par mois, uniquement sur Spotify. Côté médiatique, il a su dépasser le plafond de verre Twitter et ce sont désormais Booska-P, Les Inrocks ou Trax qui évoquent son talent. Preuves du changement de dimension pour La Fève.
Une grande partie de son audience n’est sûrement même plus sur Twitter et ne connaît pas le terme « next gen ». Un mot d’ailleurs bien trop souvent employé – par nous aussi – pour rien. Chaque année, il y a de nouvelles générations, de nouveaux styles, de nouveaux genres. Parfois, des artistes de plus de 30 ans baignant depuis plusieurs années dans le rap se retrouvent associés à cette « nouvelle génération ». On parle aussi souvent de la volonté de cette grande famille de faire différemment. Alors oui, bien sûr, il y a l’ambition de faire un pas de côté, mais sûrement pas de ne pas réussir.
Maintenant que La Fève et consorts commencent à tout casser, il ne faut plus les voir comme ces artistes des réseaux sociaux, mais bien comme ces noms qui excitent désormais les festivals et les labels. We Love Green, Les Ardentes et Les Eurockéennes ne sont d’ailleurs pas passés à côté et l’ont programmé cet été. Avec ERRR, ce n’est pas uniquement La Fève qui est passé dans une autre dimension, c’est toute une génération.
Pour aller plus loin, retrouvez notre portrait de La Fève pour la sortie de Kolaf .