Daft Punk : ambassadeurs, héros, légendes, dieux, et bien plus encore.
Si l’on devait présenter la famille 1863, je serais sans aucun doute le vilain petit canard. Celui qui écoute plus d’électro et de pop que de rap et qui s’ambiance plus sur un son des années 80 que sur le dernier clip de Lala &ce.
Ma culture musicale est aujourd’hui ce qu’elle est grâce à mon père et à nos nombreuses heures en voiture à écouter aussi bien INXS, Muse, qu’Eminem et Justice. Des musiques que les nouvelles générations n’auront peut-être plus la chance de découvrir au fil des années. Des heures au cours desquelles j’ai eu la chance de découvrir le duo le plus marquant de l’histoire de la musique.
1997, éclosion
Des bruits de klaxons se font entendre. L’impression d’être au milieu du dense trafic parisien, alors que je me trouve assis à l’arrière d’une voiture dans une petite ville de l’est de la France. Je me retourne dans tous les sens sur mon siège. Je cherche à comprendre. Tout d’un coup, une guitare électrique se met à résonner. Tout d’un coup, je découvre Da Funk.
La batterie tape le rythme, le synthé ajoute la mélodie, rien ni personne ne peut alors m’empêcher de bouger ma tête au rythme de la musique. Je me retrouve emporté par deux jeunes français dont je ne connais pas l’existence, à un moment où je n’ai pas encore conscience que j’écoute l’un des plus gros hits planétaires de l’époque encensé par la critique et qui propulsera ce groupe au sommet.
Je ne m’en rendais pas encore compte jusqu’à présent, et je n’imagine peut-être même pas encore l’effet que cette chanson ait pu faire sur mon conditionnement musical durant toutes ces années.
Le son est sale, brut, violent, avec une puissance extrême permettant de faire ressentir cet univers underground, à l’image du reste de l’album d’où le titre est issu. Cette chanson d’Homework fut pour moi la petite pierre lancée qui n’a cessée d’inlassablement ricocher pour finir par s’imposer comme une référence dans ma playlist et me marquer d’un genre musical à vie. Pour Daft Punk, cette petite pierre est une montagne lancée à la mer reliant les différents continents du globe. Mais c’est aussi pour la musique électronique, l’achèvement du mouvement musical qu’est la French Touch sur les scènes nationales et internationales. Le duo permet alors d’offrir à des milliers de gens la chance de les voir se produire en concert, la plupart du temps pendant des heures et des heures, occasionnant ainsi l’éclosion d’une histoire musicale qui durera plus de 20 ans.
2001, unanimité
Vingt années me séparent alors de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem Christo lors de la sortie d’Alive 1997. Je vous mentirais si je disais qu’à l’âge de 4 ans, j’écoutais de moi-même des albums live dans ma chambre, alors que les lecteurs mp3 n’existaient même pas. Là encore, mon père a su prendre le pas, faisant jouer l’ampli du salon pour monter le volume et me faire profiter des quelques milliers de personnes qui les avaient écouté jouer à Birmingham durant leur tournée de 1997.
En disant « c’était mieux avant », on passe souvent pour un vieux con. N’empêche, écouter une version live et une version studio n’a rien de comparable, surtout lorsque les 43 minutes de pure mix des deux compères aux platines arrivent dans mes oreilles. Ressentir la foule et les artistes en communion avec leurs fans, tout en découvrant des prestations totalement uniques et authentiques, c’est quelque chose. Les Daft Punk le faisaient même très bien.
Aujourd’hui, très peu, voire quasiment aucun artiste ne prend la peine de sortir un tel album, malgré la simplicité et la facilité évidente s’offrant à eux grâce aux nouvelles opportunités de plateformes digitales pour la diffusion et aux possibilités d’enregistrement accrues dans les événements. Cela fait peut-être partie de leur ADN de se sentir différent à tout prix. Le groupe choisira lui de sortir la nouvelle version de son épopée live, tirée de leur prestation à Paris-Berçy à travers Alive 2007.
Quelques années plus tard, j’ai droit à une nouvelle claque lorsque je découvre, sur un jeu télévisé constitué de plusieurs animatrices et animateurs du PAF, une scène galactique peuplée d’humanoïdes bleus illuminés par des boules à facettes. Je ne sais plus où je me trouve. Perdu entre un épisode de Dragon Ball Z et un clip de Claude François, ces sons disco accompagnés par une voix semi-robotique me remplissent la tête. Je ne sais pas ce que c’est, je ne comprends pas ce que c’est, je sais seulement que ça me plait. Et c’est peut-être à ce moment-là que mon amour pour ce groupe et leur musique est né. Moi le petit garçon qui n’ai jamais pu se souvenir d’un seul nom de chanson, venait de graver à jamais trois mots suivis d’un nom : One More Time – Daft Punk.
Il y a de ces musiques qui marquent les esprits et les cœurs. Celle-ci en faisait incontestablement partie.
Discovery a été pour les médias et le public la validation concrète du succès acquis depuis plusieurs années, mais pas seulement. Cette validation a été, elle aussi, avancée, concrétisée et créée par le groupe. Dès lors où ils ont su préserver leur intimité avec leur costume tout en construisant une image et développant un univers artistique, ils avaient déjà anticipé ce qui allait se passer pour eux. Cette science énorme du visuel a été pour les Daft Punk, un des aspects majeurs de la diffusion de leurs œuvres dans le monde. Apportant une esthétique toujours innovante et déroutante, allant jusqu’à même à devenir fascinante.
Comparés à des descendants de Kraftwerk, ils partagent une vision 360° de leur proposition artistique avec eux. L’album répond parfaitement à cela avec Interstella 5555: The Story of the Secret Star System. Ce film d’animation japonais relate l’histoire d’un groupe de musiciens extra-terrestres kidnappés qui deviennent des stars sur Terre, puis tentent de retrouver leurs souvenirs et leur liberté. Long métrage bourré de clins d’oeil à la pop-culture, la bande sonore est exclusivement composée des musiques de leur projet. Le dessin animé devient alors un medium leur permettant de partager sous une autre forme leur univers. Un premier virage vers le milieu cinématographique, puisque ce film sera diffusé en avant-première au Festival de Cannes en 2003, avant d’y revenir en 2006 avec Electroma.
Écouter un son des Daft Punk, c’est comme se retrouver dans un labyrinthe musical où tout est parfaitement orchestré pour te mener par le bout du nez, sans jamais savoir où et comment cela va se terminer.
À la fois pionniers et révolutionnaires, ils prennent la décision de venir bousculer les codes qu’ils avaient eux-mêmes créés et établis, et qui avaient fini par s’imposer dans la French Touch. Une manie qu’ils garderont d’ailleurs à travers tous leurs autres albums. Tellement à l’aise qu’ils se permettent d’utiliser des instruments et des technologies jusqu’à lors peu maîtrisés, voire peu utilisés par leurs compères. Créant ainsi une interaction entre la musique et la technique, celle-ci devenant un membre du groupe à part entière. Résultat, les craintes et les incertitudes laissent place à l’unanimité.
2005, apologie
Daft Punk pour moi c’est une vidéo sur YouTube, filmée au caméscope avec une scène à peine visible, où l’on distingue deux énergumènes casqués. Une foule frissonne au son d’une musique à peine audible. Cette vidéo – je ne le saurai que bien plus tard – n’est autre que celle de la meilleure prestation live d’un artiste dans le plus grand festival du monde : Coachella.
Around The World / Harder, Better, Faster, Stronger y est joué, simplement ce qui pouvait se faire de mieux en musique du genre. Je me rappelle encore d’un trajet en voiture avec ma famille, branchant ma prise JACK sur les hauts-parleurs pour faire découvrir à mes parents ce qui, selon moi, était la révélation de l’année. Et j’étais bien loin de savoir encore de qui je parlais, qui ils étaient, et ce qu’ils représentaient.
Certains pourront crier à de l’ego. Je crierai au génie.
Beaucoup de papiers, de documentaires et autres reportages sont déjà sortis sur ce tube, sur la discographie des Daft Punk et leur empreinte sur la scène musicale et artistique. Beaucoup en parlent, font des liens, interprètent… Mais est-il possible de mesurer l’impact de ces français aujourd’hui ? Le pourra t-on seulement un jour ? Tant ils ont influencé chaque personne à travers les générations. Nous en sommes arrivés au point où être affilié d’une quelque façon à leurs œuvres est une marque de légitimité et où l’on se réclame de l’esprit Daft Punk.
Rares sont les artistes ayant pu bénéficier d’une longévité d’exposition aussi importante qu’eux. Encore plus dans le monde musical où ils se situent, un univers largement soumis aux mouvances des tendances et des phénomènes de mode. Une longévité peut toutefois s’expliquer par une légitimité acquise au fur et à mesure des années, par leur présence accrue dans le milieu et leur départ depuis le bas, totalement à l’inverse de certains purs produits marketing de ces dernières années. Cette idée de se renouveler et se surprendre sans une volonté d’exposition permanente a contribué ironiquement à cet impact. Prendre le temps de créer, chercher à étendre et élargir le propos, rendre les apparitions médiatiques rares, c’est ce qui a rendu les interactions avec le public plus intéressantes.
Rien n’a pu passer en dehors de leur rayonnement : musique, sport, business, lifestyle… Tout a pu être, et a été à un moment, influencé par leur attitude. C’est grâce à leur intelligence humaine et artistique si bien retranscrite dans Human After All que cela a pu être possible. Et même si, comme j’ai pu le dire précédemment, leur travail relève du génie, ce génie réside dans des éléments simples comme la patience, la captation de leur environnement, et la maîtrise de leur proposition musicale.
L’intransigeance et l’attitude du Punk, le goût à la fête du Disco, la métronomie et la mélancolie de la New Wave, et la grandiloquence du Soft Rock.
Le home made qu’ils proposent depuis toujours est la résultante de leur apprentissage autodidacte, créant une spontanéité palpable. Des bugs ou erreurs si l’on se conformait à des cours de solfèges et aux principes établis de la musique mais qui avec eux apportent de nouvelles sonorités. Tout producteur de musique attendait de voir ce qu’ils allaient faire pour pouvoir connaître les prochaines tendances et s’en inspirer. Toujours avec un coup d’avance. Aucun musicien moderne ne peut se targuer de ne pas avoir été influencé par les Daft’s.
Ils ont toujours su rester intègre et grand public, rendant ainsi leurs albums aussi différents les uns des autres, mais toujours avec la même patte très reconnaissable et propre à eux. Musiciens en pleine conscience, ils ne font rien sans raison, partageant alors leur sagesse et leur savoir. Lorsque l’on arrive à un tel niveau et une telle force de présence, difficile de ne pas se sentir à l’apologie de son existence.
2013, consécration
Si je devais expliquer simplement en quoi Daft Punk est spécial pour moi, je pense qu’il me suffirait de dire que parmi les trois œuvres musicales que j’ai achetées physiquement au cours de ma vie, Random Access Memories en fait partie. Les semaines furent longues pour mes parents lorsque j’ai appris la future sortie de leur album, voulant à tout prix le posséder le jour de sa sortie afin de pouvoir réitérer, cette fois de mon propre chef, les sessions d’écoutes de mon enfance.
Il faut dire que leur prestation à Hollywood à travers le film TRON : L’Héritage en 2010 avait su là aussi faire écho à un large public et raviver la flamme éternelle. Présence à la fois lors de l’annonce du film pour la bande son mais aussi dans une des scènes du film, puis par la suite avec l’engouement de la sortie d’un album en plusieurs versions comprenant les 22 pistes composées exclusivement pour le long-métrage, la consécration : rien de mieux pour patienter.
Trois albums, et seulement un des Daft Punk pour me considérer comme un amoureux du groupe.
On a longtemps déterminé la légitimité de parler d’un artiste pour quelqu’un, en fonction du temps passé à s’intéresser à lui, au nombre d’œuvres possédées et à la période temporelle d’exercice de l’artiste. En effet, je n’ai jamais eu la chance de pouvoir participer à un de leurs concerts. Je ne possède pas tous leurs disques et je n’ai certainement pas passé les 24 années de ma vie à les écouter en boucle. Pourtant, je pense être tout autant touché par les sensations que dégage leur musique qu’une personne ayant pu suivre ce duo dès leur début.
De même pour vous, bien que vous n’ayez peut-être que très peu écouté ces artistes, je suis persuadé que lorsque vous avez entendu, ou que vous allez entendre, pour la première fois Random Access Memories vous serez transportés. Cette basse qui vient donner le ton, appuyée par une batterie posée avec justesse et souvent un piano élevant la mélodie. Un régal auditif.
Se renouveler, se surprendre, passer du synthétique à l’acoustique ? Daft Punk le fait sur cet album. Pendant des semaines voire des mois, des fans du monde entier avaient pourtant essayé d’imaginer les prochaines musiques, les prochaines tendances qu’allaient insuffler les frenchies. Cette interaction entre le monde de la musique et le groupe montre à quel point l’engouement autour de ces deux personnes est spécial voire magique, laissant un héritage hors du commun.
2021, mythe
C’est en milieu d’après-midi que, suite à quelques tweets, je me suis perdu sur YouTube à la recherche de la vidéo que je pensais être l’annonce d’un nouvel album. La vidéo est longue. Tout est fait pour attendre quelque chose de gros, quelque chose d’énorme. Et en effet, la fin fut énorme. A l’image de ce qu’a toujours su faire le groupe depuis le début : nous emmener là où il le souhaite sans jamais que l’on s’en rende compte. Malgré l’annonce, le suspens reste entier. Ce ne serait pas la première fois que le groupe se joue des médias et de la communication à leur fin. Quant à la promesse d’un dernier album, largement alimentée avec les prestations en public de The Weeknd, celui-ci ne semble encore pas à ce jour avoir été démenti. Alors certes, la fin semble inévitable, mais celle-ci pourrait être en musique.
Daft Punk représente pour beaucoup quelque chose de spécial, et on a tendance à facilement créer une relation spéciale avec ces artistes, jusqu’à ressentir une tristesse certaine lors de ce genre d’annonce. De mon côté, bien que ne pouvant voir leur visage, je retiendrai l’énergie qu’ils transmettaient à travers leurs concerts, les émotions qu’ils nous adressaient à travers leur musique, et enfin le plaisir qu’ils semblaient prendre à nous partager leur art. Car c’est avant tout leur choix, que nous nous devons de respecter. Quelque soit notre profond attachement à eux, il nous revient seulement de les remercier.
Merci Thomas & Guy-Manuel.