Booba a lancé son concert au Stade de France sur l’épique « N°10 », l’occasion d’ouvrir son mémento par « que des numéros 10 dans ma team ». Après 2h30 d’un show irrégulier, on se demandait toutefois où étaient les flocages abordant le numéro 10, et si Booba ne célébrait pas plutôt un anniversaire artificiel monté de toute pièce ou un mirage de célébration alimenté par des fans aveuglés et le laxisme accordé au rap français depuis des années, notamment envers l’un des plus grands artistes que notre pays nous ait offert. Entre instants marquants qui nous rappellent pourquoi Booba est le patron incontesté et des moments plus brouillons voire des non-événements, retour sur un enterrement doré à ciel ouvert.
Booba, destiné à briller comme une étoile
Ce Stade de France n’est pas le résultat d’une soirée, mais bien le reflet d’une carrière qu’on connaît tous par cœur. Des débuts difficiles, lorsque le rap était encore mis à l’écart et les rappeurs traités tels des pestiférés. Mais Booba brillait déjà plus que les autres. Des débuts quasiment parfaits, des enchaînements de titres qui, même 20 ans plus tard, ont lancé des frissons aux 80 000 ratpis présents au Stade de France. S’en est suivie une discographie mémorable mais irrégulière, avec des morceaux mythiques et une aura impressionnante. Vous connaissez la carrière de Booba et le mythe s’est créé autour de l’incontestable plus grand rappeur français.
En parallèle de sa carrière d’artiste, Booba est devenu producteur. Il a mis sur le devant de la scène des dizaines d’artistes fabuleux parmi les meilleurs du rap français. Damso, Siboy, Shay, Benash : voilà une génération dorée qu’on ne présente plus, et surtout qu’on ne reverra plus, aucun de ses artistes n’étant présent au Stade de France. Malgré des frasques et des échecs, la carrière du DUC semblait quasiment parfaite, ponctuée par l’immense Nero Némésis, corde générationelle qui enverra définitivement Booba dans la légende.
Son concert a toutefois été rythmé par une communication à la limite du naufrage, entre le partage d’Eric Zemmour, ses discours réactionnaires et ses prises de positions douteuses en matière de géopolitique et du Covid-19. Si son combat contre les influenceurs lui est légitime et respectable, Booba prend souvent la parole à tort ces derniers temps. On ne parle même pas des divers clashs sans intérêt, à la limite du ridicule à son âge. Mais une carrière de 25 ans ne peut se résumer en un article. Nous avons toutes et tous été témoins du tableau tiré durant toutes ces années, un tableau à deux visages qui a forcément impacté son ultime grand moment.
Une finale et des absents
Revenons à ce concert. Son entrée est à son image : en empereur du rap français, il commence avec l’incontournable « N10 ». Une fois l’excitation et la folie générale descendue, la prestation du rappeur devient une caricature. Des temps forts qu’aucun autre rappeur en France ne peut égaler, des moments faibles, voire dérisoires, rappelant ces derniers singles anodins, le roster plus jeune et plus tendre du 92i, et surtout des absences.
Les fantômes des absents ont résonné tout au long du show. Dans la queue, on pouvait déjà entendre cette éternelle question : « Tu penses que Kaaris et Damso vont venir ? » Même les neo-lieutenants du chef du 92i n’étaient pas présents. Pas de Maes, ni de Niska, les deux derniers gros vendeurs avec qui il a partagé le micro. Sans manquer de respect à ses artistes, SDM, Green Montana, Dala, Bramsito, Sicario étaient les seuls représentants d’une carrière de 25 ans. Quand on joue une finale, c’est dommage de ne prendre que des jeunes qui doivent encore se former, même si la belle surprise de la soirée reste SDM qui a vraiment tenu son rang.
Malgré tout, ce concert au Stade de France reste légendaire. Booba est le premier rappeur sans contestation possible à remplir ce stade symbolique. L’engouement autour de B2O est toujours au rendez-vous et sa discographie est toujours chantée par cœur de A à Z, de « Temps mort » à « Trône ». Cette victoire symbolique sonne comme une fin d’un jeu dans lequel Booba a tout gagné. Le show avait certes ses défauts, mais en connaissant sa carrière et son attitude, rien de bien surprenant. Le public a obtenu ce qu’il cherchait, un showcase XXL de la plus grande discographie du rap français. Il n’empêche qu’un goût amer reste à travers la bouche, celui d’une conclusion imparfaite.
Dernière fois
La seule intervenante de renom et gage du passé était Kanya Samet, qui a ébloui le Stade de France sur le mythique « Destinée ». C’est d’ailleurs l’un des points forts du concert : Booba est sûrement le seul rappeur français pouvant se targuer de faire chanter intégralement à son public des morceaux sortis 20 ans auparavant. Quant à la prestation de Booba, on relève peu de surprises et d’énergie et une célébration avec ses fans parfois à la limite de l’aveuglement. Toutefois, il a eu ses moments forts : ce tremblement de terre sur « Mové Lang », cette union sur « 92i Veyron » ou encore cet ultime adieu au bord des larmes avec « Boulbi ».
Ces temps forts ont été accompagnés d’un medley qui pourrait faire office de morceau de clôture pour la majorité des rappeurs. Le medley était aussi frustrant qu’impressionnant. S’il représente une véritable démonstration de force d’une grande carrière, difficile pourtant de penser que Booba a préféré chanter en entier « Plaza Athénée » et seulement 15 secondes de « Tallac ». Ces choix perplexes peuvent probablement s’expliquer par le fait que ses fans et l’industrie du rap aient trop longtemps caressé Booba dans le sens du poil, lui laissant passer trop de choses grâce à tout ce qu’il a fait – et on ne lui enlèvera jamais.
Après 25 ans de carrière et une emprise absolue sur le rap français, ce Stade de France sonnait comme un dernier adieu. On ne reverra plus jamais Booba performer au stade de France, comme on ne le reverra plus jamais sortir un grand album. Chacun tirera les leçons et enseignements d’une carrière qui n’a laissé personne indifférent. Pour le meilleur et pour le pire, à l’image de ce dernier show.