Adæb est né à Casablanca. Il a commencé à rapper en 2014 mais ne sort des morceaux que depuis quatre mois. Sa première mixtape « #UW S01 » est disponible depuis le vendredi 1er mai. 12 titres, 30 minutes, 100% de bangers, une interview.
1863 : Adæb, d’abord on voulait te féliciter, ça fait plaisir d’avoir un projet d’un jeune artiste qui sort du lot. On sent que tu as déjà ton style, on écoute ton projet et pas une copie. Tu as bossé cette DA ou c’est venu tout seul ?
Adæb : Merci pour le compliment ! Ça me va droit au cœur. C’est important à mes yeux de me démarquer en ayant ma propre identité. Innover c’est essentiel à mon sens, l’idée c’est de tenter d’apporter du renouveau. Je trouve qu’en 2020 le rap en manque cruellement. Les albums se suivent et se ressemblent. C’est regrettable…
Dans la mixtape, tu dis faire de la musique « carrée ». Pourtant on a l’impression que c’est l’inverse. Ta musique est particulièrement riche, bourrée de références, de flows et de prods différentes. On a l’impression de voir un feu d’artifice qui part dans tous les sens, ce qui amène à un joli spectacle. Comme le big bang finalement.
« #UW S01 » c’est le résultat de plusieurs années de réflexion, pendant lesquelles j’ai conceptualisé la trilogie dans son ensemble. Une fois que je me suis retrouvé en studio, j’ai enfin pu libéré toute cette frustration créative, tout ce que je n’ai pas pu exprimer auparavant. C’est ma spontanéité qui a pris le dessus : dès que j’avais une idée, je l’appliquais. J’ai laissé libre cours à mon flux de pensées. D’où ce cocktail explosif, que l’on peut assimiler au big bang et qu’on retrouve sur la cover. J’aime beaucoup cette image parce qu’elle reflète aussi la genèse, le premier projet.
Quand j’ai écouté ton projet, pour moi c’est vraiment la synthèse d’un bon album de 2020. On y retrouve de tout, tu expérimentes et surtout tu joues sur des références actuelles très pop culture . On est tellement débordés qu’on voulait te demander : c’est quoi tes inspirations, références du moment ?
Merci encore ! Visiblement vous avez apprécié la mixtape ça fait grave plaisir. Mon inspiration c’est la fusion de toutes les expériences que j’ai vécues, et forcément ça part dans tous les sens. Des dingueries auxquelles j’ai assistées, aux conneries que j’ai vues sur Internet, en passant par les accomplissements, les déceptions, la foi et les autres formes d’art. Le sport m’inspire énormément aussi de par ses valeurs : développement personnel, dépassement de soi, remise en question. Et puis, il y a aussi mon environnement. Entre le Maroc et la France j’ai rencontré des personnes de tous les horizons et c’est difficile de tout synthétiser dans un seul projet. C’est pourquoi j’ai choisi de faire de « #UW » une trilogie pour pouvoir dévoiler mon histoire au fur et à mesure. Sinon récemment, j’ai découvert Oiseau Tyson. Je regarde peu de stories en général mais les siennes sont vraiment drôles.
Tu as réussi à trouver un bon équilibre entre humour et sérieux. Il y a beaucoup de punchlines marrantes ou même certains flows que tu prends. Pourtant, à aucun moment on trouve ça lourd ou mal placé. C’est important pour toi de faire rire ?
À mon sens, un artiste doit susciter des émotions, et le rire en fait partie. Mais ça ne fait pas pour autant de moi un humoriste. Je fais avant tout de la musique et dans ce cocktail il y a de l’humour, forcément. Des délires qu’on a entre nous et que je retranscris dans ma musique. Par exemple, le « incroyable » qu’il y a dans l’outro de « La Clim », c’est un mot qu’on répétait tout le temps entre nous quand on se taillait, puis apparemment, rire prolongerait l’espérance de vie. Comme ça vous pourrez streamer ma mixtape encore plus longtemps. (rires)
Booba c’est Maradona, Adaeb c’est Messi.
Sah To Sah
On sent que par rapport à tes freestyles, c’est une musique mieux produite, plus construite. Tu peux nous parler de Wolfgang Records, ton label indépendant ?
La mixtape était déjà finie quand j’ai commencé à faire les freestyles. C’était un défi personnel d’en écrire un par jour et de poser sur des prods très différentes. C’était l’occasion d’expérimenter, de m’imposer une deadline quotidienne et de lire les retours des gens, positifs comme négatifs. Ça m’a permis de prendre des followers aussi, même si les freestyles n’étaient pas masterisés. À l’inverse de la mixtape qui est pensée et construite pour être cohérente de A à Z. « Sinon Wolfgang » c’est mes gars. L’ingé son c’est mon gars. Le manager c’est mon gars. Le réal c’est mon gars. Maintenant la question c’est : est-ce que toi t’es mon gars ? (rires)
Tu places le Maroc et surtout Casablanca à une place spéciale, même dans les sonorités. C’est ta source principale d’inspiration ?
Casablanca, c’est 20K, c’est ma source tout court. J’y ai grandi jusqu’à mes 18 ans, et j’y passe encore la moitié de l’année. Forcément ça m’inspire. Quand j’ai commencé à rapper, il y avait vraiment peu de studios. C’était moins accessible qu’en banlieue française pour enregistrer un son. Moins de possibilités donc ça développe une hargne de réussir. Quand je parle de cette « haine de briller », c’est de ça dont il s’agit. J’ai pas de producteur qui investit du cash sur moi, je finance toutes mes séances studio seul, les clips on les travaille en famille. Pour les sonorités, tu peux retrouver une mélodie orientale sur « Sah To Sah » par exemple. Dedans je dis « la capitale c’est pas Atlanta, la capitale c’est Casablanca ». C’est réel. La scène casablancaise est hyper riche, on y retrouve un mélange d’inspirations de trois continents. Il suffit d’écouter le projet « Safar » de Naar pour se faire une idée de la diversité et de la polyvalence des artistes marocains.
Tu n’avais pas l’habitude de faire des morceaux aussi ouverts comme « 20yo ». C’était un kiff ou tu veux continuer là-dessus dans le futur ?
Le sample de voix arabe, c’était une manière de conclure le projet de manière grandiose. « 20yo » c’est une ouverture, je me dévoile un peu plus. C’est aussi pour préparer la suite. J’ai écris ce morceau le jour de mes 20 ans. C’est une sorte de rituel. À chaque anniversaire j’écris un morceau qui fait le bilan de mon année, de mon état d’esprit actuel. J’y parle des événements que je traverse actuellement. Musicalement, c’est un morceau qui me ressemble beaucoup. Je n’ai pas encore exploré toutes les directions artistiques qui m’inspirent, l’idée c’est de garder une certaine cohérence dans chaque projet. Mais je peux d’ores et déjà vous dire qu’il y aura davantage de sonorités exotiques par la suite. Je ne me limite pas, je fais la musique qui me plaît et si elle plaît en retour, c’est todo benefito.
Pour le futur en 2020 tu vas vraiment faire vivre ce projet ou tu vas sortir d’autres choses ?
On prévoit de nouveaux clips pour « #UW S01 », notamment celui de « Sah To Sah » qu’on a déjà tourné en s’incrustant à une soirée juste avant le confinement. Peut-être « FTG » ou « Friendzone » si on peut les tourner cet été. Sinon, en ce moment, je finalise la deuxième mixtape. Ça fait tellement longtemps que j’en rêve, je vais pas lâcher l’affaire. Comme je dis dans « Okay Okay » : « maintenant je suis dedans, je peux plus me relâcher ».
C’est comme le football : certains le prennent comme un jeu, d’autres comme une compétition. Moi je le prends comme les deux.
On sent que tu as la dalle, que t’as envie de tout niquer et tu places des grandes ambitions en toi. C’est que de l’égotrip ou tu penses vraiment dans les prochaines années vouloir te faire une place mainstream ?
Quand je dis « Booba c’est Maradona, Adæb c’est Messi » bien sûr qu’il y a de l’égotrip. Il y a aussi du respect pour les anciens. Quand tu arrives dans un milieu, l’idée c’est d’observer les meilleurs et de voir comment s’en rapprocher. En tant que passionné, je veux juste vivre de ma musique pour pouvoir en faire H24, sans avoir à traîner dans d’autres business pour financer le son. Depuis que j’ai commencé le rap, je me suis toujours dit que, quitte à le faire, autant le faire pour tout baiser. C’est comme le football : certains le prennent comme un jeu, d’autres comme une compétition. Moi je le prends comme les deux.
Tu te considères comme un rappeur underground ? Si oui, c’est quoi ta définition d’un artiste underground ?
Je me considère surtout comme un artiste qui manque de visibilité. Un artiste underground c’est tout ce que je n’ai pas envie d’être. Je ne connais aucun artiste qui souhaite rester underground. L’art à mon sens c’est le partage. Être mainstream, c’est se faire comprendre du public. C’est ce que je souhaite à tous les artistes.
Le masque c‘était car t’avais prévu le Corona ou ça fait partie de ta patte musicale facilement reconnaissable ?
Le Corona j’avais prévu ça depuis longtemps. D’ailleurs j’avais aussi acheté du Bitcoin en 2009. T’as pas vu mon blaze dans le générique des Simpsons? (rires) Plus sérieusement, c’est une affaire de famille à la base. Il fallait pas qu’ils sachent que je rappe. Mais dis-toi que, même masqué intégralement, ma mère m’a reconnu. Les daronnes sont trop fortes pour ça. (rires) Artistiquement, j’aimais bien le délire de « personnage à débloquer » comme dans les jeux de baston. Tu vois seulement l’ombre de la silhouette, en mode j’arrive dans le game. Ça permet aussi à quiconque de s’identifier, sans notion de genre, d’âge ou de race. On a voulu innover visuellement avec Lukas, mon réal. L’imagerie fait partie intégrante du projet. L’idée c’est de faire voyager, de briser les frontières entre le réaliste et le fantastique. La réalité ne nous convient pas, alors on l’altère. Il y a plusieurs messages à décrypter dans les clips, avec des indices dissimulés dans les lyrics. Mais au vu des retours, les gens n’étaient pas spécialement prêts pour ça. Un ami m’a envoyé un screen des commentaires sur le live du Chroniqueur Sale. Il a diffusé le clip de Ligaments Croisés et un mec a parlé des sous-titres. Il disait un truc du style « oh la la Comic Sans MS ? C’est une erreur de débutant ! Je le sais, je suis graphiste ». Ça me fume. (rires)
T’as un projet à nous conseiller ?
Bah « #UW S01 » déjà (on confirme). (rires) Sinon sur la scène francophone j’aime beaucoup TripleGo. Je trouve qu’ils manquent de reconnaissance, ils ont sorti deux projets en 2019 et ils sont exceptionnels. Et puis intéressez-vous à la scène anglaise, il n’y a pas que la drill ou le grime. Écoutez de l’UK garage et de l’afroswing cet été, c’est ressourçant.
On peut te souhaiter quoi pour l’avenir ?
Qu’on se débarrasse tous du Corona et que vous puissiez me retrouver sur les festivals en 2021, si Dieu veut.
Pour aller plus loin, retrouvez notre article sur la mine Soundcloud et ses pépites.