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Pourquoi 1pliké140 divise-t-il autant ?

Voilà maintenant près de deux ans que le phénomène drill a frappé la France. Et l’un des meilleurs représentants français de ce style est le jeune clamartois 1pliké140. Le comorien d’origine a su s’imposer comme une figure incontournable de la drill française en s’appuyant sur une solide fanbase. Pour autant, il est de ceux dont l’atypie divise fortement l’opinion. Lumière sur un rappeur pas comme les autres.

1pliké140
Crédits : @vu.par.jeunexx

Un minimalisme à outrance

Inconnu il y a encore deux ans, 1pliké140 rassemble aujourd’hui un million d’auditeurs sur Spotify et cumule plus de 75 millions de vues sur sa chaîne Youtube. Le tout sans apparition médiatique et un seul featuring avec Niska sur sa mixtape Le Monde Est Méchant sorti le 5 novembre. Pourtant, s’il a su atteindre un succès non négligeable, le rappeur de Clamart divise et fait l’objet de nombreuses critiques auprès du public.

En premier lieu, l’une des marques de fabrique du rappeur réside dans son minimalisme. Dans sa proposition artistique, 1pliké140 affiche une imagerie à la fois simple et sombre. Sans aucune fioriture, ses clips proposent une esthétique fidèle à la rue. Les thèmes abordés restent classiques : la rue, l’argent, la drogue, le banditisme, les femmes. Mais l’une des critiques dont il fait régulièrement l’objet porte sur son flow, souvent jugé « hors tempo ». En effet, son style se différencie fortement des autres drilleurs français. Plus minimaliste, il propose un débit saccadé, à la limite du parlé, se rapprochant très étroitement de la manière de poser des drilleurs anglais. Cette rythmique dont on a encore peu l’habitude d’entendre dans la langue de Molière lui confère une atypie qui ne résonne pas toujours auprès des aficionados du genre.

Néanmoins, son minimalisme ne s’arrête pas qu’à sa musique. Sa communication ne déroge pas à la règle. A l’instar de nombreux drilleurs français, 1pliké140 est très discret sur son identité et dévoile très peu d’informations sur sa vie personnelle. Il se présente comme un personnage nonchalant, adepte du je-m’en-foutisme. Le jeune artiste n’accorde aucune interview et ne communique que très peu auprès de son public, à l’exception de quelques rares sessions questions/réponses qu’il opère sur Instagram. Là encore, ses réponses sont souvent expéditives. Sur ses réseaux sociaux, il ne partage aucun moment de vie – ou de studio – et très peu de médias sont relayés en dehors des visuels promotionnels. Il est donc difficile de cerner la personnalité du clamartois et son indifférence peut facilement être assimilée à de l’antipathie.

Un rappeur qui ne favorise pas l’identification

Si le culte du mystère peut exprimer une stratégie assumée de la part de certains rappeurs, elle est gagnante lorsque l’identification reste possible dans la proposition artistique. Et pour qu’un système d’identification puisse être opéré, il faut parvenir à se dévoiler et transmettre des émotions. Celles-ci participent aux affects qu’un auditeur va développer pour un artiste. Des artistes comme Nekfeu ou PNL l’ont compris. Malgré une ultra discrétion mûrie, ils ne sont que très peu clivants car leur musique est empreinte de sincérité et d’authenticité. Elle retranscrit implacablement leur vécu et favorise l’effet miroir. Les émotions transmises par leur musique suffisent alors à nouer un lien privilégié avec leur public. A cela s’ajoute une esthétique de clips poussée et maîtrisée qui accroît cette effervescence d’émotions.

Or, la drill est un style à part, dans lequel il est difficile pour tout un chacun de s’identifier tant les thématiques sont peu fédératrices. L’aspect brut, presque primaire, du genre ne favorise pas l’émergence d’affects émotionnels. C’est pourquoi les personnages publics ont quasiment autant d’importance que la musique présentée. En France, nous pouvons citer Gazo – dont l’image joue un rôle primordial dans son succès – ou encore Ziak, un rappeur très discret en passe de devenir un incontournable de la drill en France, mais dont le personnage masqué donne un imaginaire divertissant – voire cinématographique – auquel le public peut se référer.

Force est de constater que, de nos jours, le nerf de la guerre est la communication et l’image en est une composante cruciale. Pour certains rappeurs, elle fait même la différence. Elle peut permettre de passer du fameux succès d’estime au succès commercial tant souhaité. Et ce succès, 1pliké140 le vise. Il ne s’en cache pas : s’il fait de la musique, c’est pour l’argent.

« Ne crois pas qu’c’est ma passion, j’ai rempli mes poches, donc j’ai rempli ma mission »

« 1pliktoi bien »

Des textes controversés

L’argent est un sujet central de sa musique. Son but ultime : posséder « une montagne de kichta ». En mettant en avant sa soif d’argent, 1plike140 n’hésite pas à exprimer son indifférence envers le rap.

« Un an qu’j’suis dans l’peu-ra, ça fait déjà trop longtemps »

« Batard #4 »

Le rappeur du 92 ne sera donc certainement pas un artiste à la longévité exemplaire. La musique est pour lui un moyen et non une fin en soit. Sa franchise pourrait être louable mais elle n’en est pas moins dangereuse pour l’image qu’il dégage auprès de son public. Bien qu’il ne soit pas le seul à revendiquer cette course effrénée à l’argent, son honnêteté glaciale peut s’avérer malvenue pour certains dont la musique est avant tout un art que l’on pratique par passion.

« J’suis dans ma bulle, j’calcule pas ces p’tites crasseuses »

Batard #4

Par ailleurs, une autre thématique notable dans les textes du drilleur est son rapport aux femmes. Et si la drill n’est clairement pas un genre qui rend hommage à la femme, le clamartois ne s’en émeut pas, bien au contraire.  Là encore, il ne met pas les formes. L’insolence et la brutalité de ses textes se transforment souvent en irrespect envers la gent féminine. Son vocabulaire peu fourni amplifie ce sentiment.

« Si tu veux pas donner ton cul, tu dégages »

Freestyle hors série

« Sale pute tu mérites pas le tel-hô »  

Freestyle hors série

Ce genre de dithyrambes, on en dénombre par centaine dans les projets de 1pliké140. A l’heure où les femmes tentent tant bien que mal de se faire une place légitime et crédible dans le milieu du rap, le rappeur est bien loin de ces revendications. Au contraire, à travers ces textes, il autorise la dégradation de l’image de la femme. Si ses paroles n’engagent que lui et qu’il est primordial de prendre du recul à l’écoute de ses sons, le rappeur possède néanmoins un public souvent très jeune, auprès duquel il véhicule ouvertement une image déshonorante de la femme.

1pliké140 peut-il réconcilier ?

Malgré sa froideur apparente – et si l’on fait abstraction de ses irrévérences – 1pliké140 a un talent indéniable. Une voix facilement identifiable, des références marquantes, mais surtout une énorme envie de rapper. L’ADN du rap coule dans ses veines et il en est un pur produit. S’il est avant tout connu pour la drill, le rappeur sait toutefois poser sur d’autres types de production, parfois plus old school. Sa force réside dans sa capacité à manier plusieurs styles de rap tout en y ajoutant sa touche personnelle. Il sait diversifier ses propositions artistiques alternant kickage et flow mélodieux. Ses freestyles hors série #1 et #2 sont une preuve de sa capacité d’adaptation. L’artiste de 20 ans aime le rap et connaît ses classiques, il s’y approprie deux grandes instrumentales venant d’outre-atlantique : « Survival of the Fittest » de Mobb Deep et « Moody » de Sheff G.

Sa polyvalence et sa capacité d’adaptation peuvent ainsi lui permettre de se faire connaître à un plus large public. Son atypie lui a d’ailleurs valu l’attention de grands rappeurs. Récemment, c’est Niska qui l’a invité sur son dernier album pour sa toute première collaboration avec le titre « 140G ». Cet événement pourrait marquer un tournant dans sa carrière. Une opportunité pour – enfin – se dévoiler ? 

Jihane Hadjri

Pacifique est le meilleur album de Disiz.