Cobalt, le nuancier de Zinée

Un décor peut tout changer. Si l’on prend un exemple banal au possible, il est plus agréable de passer ses vacances à Tahiti qu’à Mulhouse. Pour les films de science-fiction, c’est la même idée. Il est plus agréable de regarder Blade Runner plutôt que Le Gendarme et les Extra-terrestres. Bon, vous allez dire que personne n’a vu Le Gendarme et les Extra-terrestres et que le film, en dehors du décor, doit être pourri. Vous avez sûrement raison, mais revenons à Blade Runner. Le film est mythique par sa beauté, ses plans et ses couleurs. Une palette qui en met plein la vue, qui nous touche et qui prend le spectateur aux tripes. La musique de Zinée, c’est la même chose.

L’artiste peint une toile qui, au premier abord, tend vers un noir quasi-infini, cachant une infinité de variations remplies d’espoir. La discographie de Zinée, c’est un peu le tableau dans ce musée qui, pour beaucoup, n’est juste qu’une toile bien trop complexe devant laquelle on reste 10 secondes. Pour d’autres, dont moi, elle représente un moment agréable où l’on prend son temps pour déchiffrer ses secrets.

Guerzina

La définition du mot couleur est à l’opposé de l’image qu’on s’en fait. Quand on évoque les couleurs, on visualise un endroit chaleureux teinté de nuances chaudes. Sinon, on se fie à la définition officielle : « impression produite sur l’œil par la lumière réfléchie par la surface d’un objet. » Pour l’enfant du sud, la couleur est un sentiment, un ressenti, une image. Sa palette musicale et les émotions dans sa voix sont si forts qu’on ressent des teintes souvent très noires, jamais identiques et toujours éloquentes.

Pour la rappeuse, la couleur se définit comme « un mélange de matières ou de pigment qu’on associe à des émotions ou un moment ». Zinée serait donc aussi forte en Larousse qu’en rap. Mais ne lui donnez pas l’idée de réaliser un freestyle avec Squeezie quand même. Maintenant, venons un peu à son projet Colbat.

La première partition fait penser au tableau Guernica. La protégée de la 75 y dépeint un monde très apocalyptique, une sorte de fin du monde avec comme devise marche ou crève. Il y a un délire très SF avec une monarchie dans notre monde moderne où l’artiste exprime sa colère et dénonce l’horreur du monde qui l’entoure. Une partition très noire accentuée par des productions oppressantes – merci tonton Sheldon -, un flow tranchant quasiment robotique et des lyriques très sombres.

Guernica, Pablo Picasso (1937)

Zinée nous rapporte d’ailleurs une anecdote concernant Guernica. Elle a eu la chance de le voir en Espagne avec l’une de ses professeurs de l’époque qui s’est mise à pleurer devant la célèbre œuvre. Un événement marquant à l’époque.

Tout au long de Cobalt, on retrouvera cette ambiance guerrière poussée par un esprit revanchard. On y retrouve également des teintes de gris où Zinée contemple tristement le chaos ambiant. On pourrait citer le tableau de Rubens Les horreurs de la guerre, sur lequel on peut y voir Vénus, la déesse de l’amour, cherchant à retenir Mars, le dieu de la guerre sans succès, laissant le monde à sa perte. Pourtant, Lisa n’a pas laissé le monde mourir et a pris son courage à deux mains, défiant ses démons tout en diffusant de nouvelles couleurs.

La lumière vient du ciel

À partir du titre « Grenadine », d’autres couleurs s’affirment sur la toile. Le jaune d’abord, symbole de l’espoir et du bonheur, ainsi que le blanc pour la pureté. Zinée s’élève vers le soleil pour trouver sa paix intérieure. Une façon de quitter un monde qui ne lui convient pas. Cette partie de l’album fait d’ailleurs miroir aux œuvres de Pietro Da Cortona, des tableaux sombres dans lequels la lumière blanche éclaire un point central. Sur le tableau ange gardien, on garde cette idée d’une Zinée voulant s’échapper de sa prison terrestre, mais cette fois-ci sans renoncer.

Venus as Huntress Appears to Aeneas, Pietro Da Cortona (1631)

Autre œuvre d’art à mettre en avant, la cover riche en signification. Dans un premier temps, il faut souligner l’excellente direction artistique mise en place par Bouherrour. Il collabore avec la rappeuse depuis le début et leur complémentarité est impressionnante. L’artiste a réalisé la pochette avec seulement 3 morceaux de Cobalt et a totalement réussi à s’imprégner de son ambiance. La toulousaine nous a relevé certains secrets de cette pochette. On l’aperçoit au centre, devant faire un choix entre son ancienne vie symbolisé par la tête-de-mort de son projet Futée, ou une nouvelle vie. C’est l’histoire de sa vie, l’histoire de ce projet, faire des choix en espérant qu’ils soient bons et qu’ils nous guident vers un monde meilleur. Faire des choix non pas pour survivre, mais pour exister.

Le club Zinée

Bien plus sombre que le club Dorothée, Zinée raconte son propre film. L’évolution de sa mentalité est perceptible. Une prise de confiance d’abord, mais surtout le choix de marcher dans la bonne direction. Le colbat est un métal dur qui permet de confectionner des armures. Zinée a eu le temps de se protéger. Désormais, elle est prête pour scalper des têtes et imposer sa vision. Elle est la réalisatrice de ses choix et ça se ressent dans sa musique.

Outre l’aspect visuel omniprésent, Cobalt est aussi cinématographique. Sa terre sale et inhospitalière nous amène dans les décors angoissants des Triplettes de Belleville. Derrière son côté sûr de soi, on retrouve un personnage aux failles apparentes à la American Beauty où une image peut en cacher une autre, voire un côté Parasite où la survie est prépondérante…

Les triplettes de Belleville

Si son œuvre, aussi courte soit elle, me rappelle autant de classiques, de films, de peintures, c’est qu’il y a une flamme, une résonance. Il est encore un peu tôt pour s’avancer, mais ce sont souvent des œuvres spéciales qui perdurent dans le temps. Ces dîtes œuvres sont réalisées par un(e) artiste qui emprunte son propre sentier, caméra à l’épaule pour nous montrer sa propre vision sans l’édulcorer, même si elle est différente. Zinée nous a confié que son prochain projet serait encore plus cinématographique et encore plus travaillé. Sans en dévoiler plus, elle a déjà réussi son pari. Un magnifique prélude qui pose les bases de sa musique certes, mais surtout de sa personnalité. J’ai l’impression de mieux la connaître, mieux la comprendre et surtout d’avoir été amené quelque part.

Colbat est une œuvre qui fait du bien. La musique est un art subjectif et tout le monde ne peut pas aimer Colbat. Mais qu’est-ce qu’il est bon d’avoir un projet sur lequel on peut mettre des mots, et encore plus quand c’est lui qui nous apporte des réponses. Zinée possède ce supplément d’âme qui fait d’elle un personnage plus qu’intéressant. Elle nous raconte une histoire unique dans laquelle tout le monde peut pourtant s’identifier. J’ai d’abord longtemps pensé que la couleur de Zinée était le noir. Finalement, elle se rapproche plus de l’arc-en-ciel.

Pour aller plus loin, plongez dans Roadrunner, le dernier projet de Brockhampton.

Noé Grieneisen

Lala &ce mérite une carrière à la France Gall.