Slimka

Qualité en guise de promo, un adage plus qu’actuel

De tout temps, une partie du paysage musical a toujours voulu proposer une musique novatrice. Cela se ressent également dans le rap. Souvent, le chemin est long et sinueux, mais le travail et la qualité payent, faisant évoluer les normes. Démonstration avec quelques cas d’école.

Photo : @chadylacreative

Qualité en guise de promo
Crédits : TBMA

De Laylow à Alpha Wann en passant par Hamza, ces dernières années auront vu des profils singuliers imposer un vent de fraicheur sur la scène rap francophone. Dans leur style, ils ont su pousser leur recette pour redéfinir les standards établis.

Cependant, tout n’a pas toujours été facile pour ces artistes. Evidemment, l’industrie du rap est réputée pour être impitoyable. Vouloir bousculer les codes avérés à travers une nouvelle formule se fait rarement en un claquement de doigts. Raison de plus pour souligner le parcours de ces artistes qui, depuis des années, travaillent dans l’ombre et tentent autant qu’ils échouent pour trouver la sauce qui les installera parmi les plus grands. Ces derniers ouvrent alors consciemment ou non la route aux plus jeunes se cherchant encore.

Cette voie peut décourager. Surtout quand les sirènes du mainstream se font insistantes. Une chose qui a notamment été mise en image dans le court-métrage de Laylow accompagnant son dernier album, L’Etrange Histoire de Mr. Anderson. C’est à coup de mixtapes, d’EP’s et de travail acharné qu’il a pu trouver une recette efficace qui semble germer depuis Mercy, les prémisses de sa carrière.

Qu’en pense le public ?

Du coté du public, le chemin a également été long. Trop longtemps catégorisés comme des rappeurs de niches, ils ont souvent polarisé les auditeurs, donnant naissance d’un côté à des fanatiques plus que fidèles, et de l’autre à des détracteurs. Bien entendu, on ne peut pas plaire à tout le monde, mais cela prouve surtout que la différence attire autant qu’elle effraie. Malgré une évolution dans leur musique et une volonté de rendre leur singularité la plus accessible possible, ces artistes gardent une part du public dans l’incompréhension de leur succès.

En regardant dans le rétroviseur, on constate que ce phénomène a toujours été appliqué. Quand Booba arrive avec 0.9 en 2008, sa musique change, laissant une partie du public sur le côté. Dernièrement, les succès de Gambi, Koba La D ou encore Ziak leur ont valu des critiques par un pan d’auditeurs n’arrivant pas à accrocher au timbre de voix qui ancre la singularité de ces artistes.

La qualité toujours au centre des débats

Au fil du temps, la recette se peaufine, les auditeurs adhèrent et la porte s’enfonce. Il paraît maintenant envisageable d’arriver avec une singularité et de la pousser au maximum tout en trouvant un public assez large. Aujourd’hui, on observe désormais plusieurs nouveaux cas d’école surfant sur cette volonté.

Zamdane et Slimka en sont notamment de bons exemples. Tous les deux baignent dans le rap depuis un moment, mais ce n’est que récemment qu’ils ont commencé à prendre en envergure.

Le premier vient tout droit du Maroc, arrivant en France en 2015. Il commence à se faire un petit nom seulement deux années plus tard. Sa faculté technique impressionne quand il l’allie à la mélodie. Sommairement teinté de mélancolies, c’est davantage en égo-trip que Zamdane excelle. Petit à petit, le rappeur de Marseille va développer ces aspects discrètement éparpillés au sein de ses premiers titres et en fait sa force. Ses racines marocaines et son envie de réussir prennent en importance dans la série de freestyles Affamés. La mélodie et la mélancolie viennent affirmer la sincérité de l’artiste et en deviennent ses principaux atouts. Conscient de ses points forts et de ce qui plait à ses auditeurs, Zamdane a su les renforcer pour conquérir un plus grand nombre de spectateurs.

Quant à lui, Slimka a proposé deux volumes de No Bad, un laboratoire d’expérimentations favorisant l’ouverture de sa proposition et la transmission de cette énergie qu’il qualifie de « XTRM ». Il lui a également permis de comprendre où son public l’attendait pour ensuite affiner sa vision. Mission réussie si l’on se fie aux critiques positives de Tunnel Vision, le premier album du genevois. Ce dernier a été accompagné d’une multitude de visuels à l’esthétique soignée ancrant l’univers proposé par le suisse. De plus, Slimka est réputé pour être un gros client sur scène. Ce véritable XTRM boy a le potentiel pour devenir un atout majeur de plusieurs programmations en francophonie et sait répandre son nom sans avoir forcément besoin de l’appui des médias.

L’impact du format

Le parcours de ces deux talents appuient aussi un autre facteur, celui du format. En faisant leurs armes à l’aide de séries de freestyles ou sur des EP/mixtapes, ils évitent de souffrir de la pression du premier album. Certes, cette méthode n’est pas nouvelle, réussissant à certains là où d’autres se cassent les dents. Mais c’est surtout un procédé qui perdure : des artistes comme So La Lune, Tedax Max ou encore Bakari semblent l’avoir bien assimilé. A eux trois, ils comptent pour le moment 10 EP cette année.

Progressivement, leur régularité et leur talent leur permettent de regrouper un plus grand panel d’auditeurs s’intéressant à leur proposition encore brute. Effectivement, le potentiel est indéniable, mais il semble encore leur manquer ce petit plus qui leur fera passer les stades un par un. Rien ne presse et, à l’image du travail livré cette année, on ne peut s’attendre qu’à les voir frapper encore plus fort à l’avenir.

Le facteur promotion

Actuellement, une masse de nouveaux rappeurs semble émerger chaque semaine. Pour faire son trou, beaucoup tentent de passer par une stratégie de promotion calculée pour les médias. Pourtant, si l’on prend les noms évoqués plus haut, on les retrouve assez peu dans ces canaux d’information. Alors oui, le monde médiatique n’est pas une fin en soi. De nos jours, une multitude d’options s’offrent à eux. C’est sûrement pour cette raison que ces rappeurs ont basé leur promotion sur l’essentiel : la qualité de leur musique, laissant le public faire leur propagande. Une fois que la musique plait, elle finit souvent par arriver aux oreilles des « diggers », avant d’être répandue à un plus large public. La qualité de la musique devient un argument majeur, mais pas exclusif, de ventes.

Et dans le futur ?

En voulant être identifié par ce qu’ils apportent, les rappeurs diversifient leur proposition. Les auditeurs trouvent désormais ce qu’ils aiment, peuvent se renseigner davantage et s’intéresser à la grande famille du rap francophone. La singularité est maintenant presque devenue la norme, chaque année sera amenée à présenter son lot de talents cherchant à pousser le plus loin possible la sauce qu’ils font mijoter depuis leur début. Certains avec succès, d’autres moins, mais comme le prouvent les exemples du passé, c’est en tombant qu’on arrive à se trouver.

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Pierre Simon

Le sel dans tes frites