Prince Waly : en route vers sa Terre Promise

Un accident de parcours peut parfois venir modifier le cours de nos vies. Capable de susciter des émotions chez nous autres auditeurs, la musique relate par moments de temps faibles dans la vie des artistes. C’est en les racontant qu’ils arrivent à toucher, faire rire, pleurer. Comme l’a fait Prince Waly, qui est revenu après un long combat contre sa maladie avec son premier album, Moussa. Un récit profondément personnel entremêlé d’égotrips, de storytelling, mâtiné de références cinématographiques.

prince waly moussa cover
Crédits : Fifou

Dans l’Ancien Testament, le peuple hébreu, alors sous l’emprise de la famine, part en fuite en Égypte Ancienne. Effrayé par leur croissance démographique, le peuple égyptien réduit les israélites à l’esclavage. Ils ordonnent l’assassinat de chaque nouveau-né mâle à la naissance. Un jour, un panier flotte dans le fleuve : l’enfant Moïse est sauvé par la fille du Pharaon. Il sera plus tard choisi par Dieu pour libérer son peuple. Guidant les siens dans un long voyage, les hébreux lui désobéissent et subissent 40 ans d’errance dans le désert avant d’arriver à la Terre Promise, symbole de liberté vers un monde nouveau.

« Moïse a traversé l’enfer, la mer ». Le long d’une bande sonore cinématographique orchestrée par le musicien Crayon, Arthur Téboul ouvre le disque d’une homélie intense, au ton solennel et religieux. Il cristallise l’histoire de Moïse en quelques mots, pour mieux la transposer à celle de Moussa. Prince Waly emprunte cette légende au point d’appeler son album ainsi ; comme son prénom, équivalent de Moïse en arabe. Cela engendre des raccords logiques, où la colère de Dieu s’abat sur un passé sulfureux. Ce qui provoque une trop longue errance – ici, le début de son voyage – en route vers sa Terre Promise.

« Chaque jour je décède, marathon dans le désert

J’attends qu’il pleuve, un panier flotte dans le fleuve »

Prince Waly – WALYGATOR

La cité de Dieu

Écrit en 1997, le roman de Paulo Lins « La cité de dieu » se révèlera en 2002 être une oeuvre intemporelle à travers son adaptation cinématographique. Le narrateur y prend vie dans le personnage de Buscapé, un jeune rêvant de devenir photographe et qui immortalise le théâtre de la violence dans le quartier le plus dangereux de Rio. Le métrage élucide l’engrenage d’un monde puissamment sanguinaire et tyrannique, dans le Brésil des années 60 jusqu’aux années 70. Il met en scène la jeunesse prisonnière d’un cercle vicieux. À la fois acteurs, mais surtout victimes d’une criminalité funeste, les jeunes des communautés marginales d’Amérique latine n’ont que peu de moyens de s’en sortir.

photo la cité de dieu

Si Prince Waly n’a pas grandi dans la favela la plus dangereuse de Rio, le récit de son ancienne vie partage certaines similitudes avec les protagonistes du film. Tantôt l’incarnation du parfait gangster, tantôt un jeune au caractère plus nuancé rêvant d’élévation. Le rappeur vit dans un environnement néfaste, une sorte d’immense purgatoire qui laisse les mauvais choix venir toquer à sa porte tous les jours. « Walygator » symbolise ce tiraillement interne en énumérant dans un premier couplet les éléments d’une vie de malfaiteur. Le second, plus nuancé et marqué de doutes internes, se voit ajouter  au compte-gouttes quelques références spirituelles. Une manière subtile d’étendre son fil rouge dans l’histoire qu’il nous conte.

À l’image de cet hommage aux X-Men et leur morceau « Score » sorti en 1998, les pistes sont truffées de références à la culture rap et cinéma des années 90/2000. « Avertisseurs, Part 2 », est le premier morceau créé pour l’album, appuyé par le travail d’orfèvre de JAYJAY et LAMAONTHEBEAT. Il est démonstratif et aveugle par une découpe agressive sur un fond de références multiples. La musique s’enchaîne et symbolise la vie des mecs de quartier, prêts à tout pour se sortir de la précarité dès que le soleil se lève. La présence de l’illustre Ali sur « Rottweiler » est un symbole important, figure de consécration pour un album qui rassemble toutes les influences de Prince Waly. 

« Survivre, tu crois c’est un jeu ? C’est un sport » 

Prince Waly – AVERTISSEURS, PART 2

« Ma 6-T va crack-er » est un monument essentiel dans le paysage de la culture cinématographique du hip-hop français. Un extrait de ce film est utilisé pour introduire l’atmosphère de « Messe ». Ce storytelling entrelace finement la réalité et la fiction : l’histoire sans lumière d’une embrouille sur un banc, d’une transaction qui se passe mal, jusqu’au bruit assourdissant d’une arme à feu qui détonne dans nos oreilles. 

Le récit brutalement réaliste d’un monde gangrené par les bavures policières, la drogue et les jeunes qui s’entretuent trouve son point culminant sur « Movie », film audio et point de bascule du disque. Les coups de piano froidement balancés s’accordent aux violons lugubres pour dessiner l’environnement imagé par la prose. L’excès de spécificité descriptive immerge l’auditeur dans une affaire personnelle meurtrière… Qui rappelle elle-même une histoire de « La cité de dieu ». Buscapé avait lui retenu la leçon, dans un monde où il est souvent facile de prendre les chemins les plus courts. 

CRASH

L’instant d’après, un homme referme le coffre de sa voiture, ouvre la portière et se place sur le siège conducteur alors que les gouttes de pluie dégoulinent sur le pare-brise. Il enfonce l’embrayage, démarre, puis appuie sur le bouton « lecture » de l’autoradio. Un morceau empli de tendresse d’Enchantée Julia retentit au fur et à mesure que le compteur s’élève. Alors qu’une ambiance mélancolique à fleur de peau embaume le paysage sonore, le bruit assourdissant d’un choc à grande vitesse retentit. Et laisse place au silence froid d’un pronostic vital compromis. 

Cette interlude métaphorique renvoie à l’accident de vie de Moussa. Un jour, il se réveil sans qu’aucun son ne puisse sortir de son diaphragme. Après plusieurs examens et des cordes vocales paralysées, Prince Waly apprend qu’il est atteint d’un cancer rarissime à seulement 27 ans. Dans un environnement tel et à un âge où notre carcasse semble souvent invincible, la vulnérabilité la plus injuste peut prendre le dessus sur nos vies. En jetant un œil à la pochette de l’album, le récit fait directement sens. Photographiée par Fifou, l’image met en scène l’artiste le visage enfoncé dans l’Airbag d’une Saab 9-3 cabriolet. La colorimétrie dominée par le rouge renvoi à la lutte qui démarre, le noir pour l’ombre, le blanc pour l’espoir. 

« Fauché par une femme célèbre

Suspendu à ses lèvres, je sens que mon âme s’élève »

 Jazzy Bazz – CRA$H

Précieux invité de l’album, Jazzy Bazz y relate la période complexe à laquelle il doit faire face. S’il est possible d’en guérir, le mot « cancer » rapproche souvent de la mort. Le disque plonge alors dans une grande sensibilité émotionnelle jusqu’alors insoupçonnée chez Prince Waly. « Cra$h » reprend les vecteurs spatio-temporels où nous avait laissé l’interlude dans une production douce et éthérée du compositeur AAYHASIS. Les morceaux s’enchaînent pour illustrer une période sentimentale plus vulnérable. « Problème » dévoile quant à lui une palette artistique surprenante, véritable lâcher prise vis à vis de la technique. L’attention est mise sur la musicalité et l’atmosphère chaude, voire dansante, qui rappelle l’énergie d’un clip de R&B des années 90. Qu’il s’agisse de Luidji au refrain, ou de Makala à la conclusion du titre, les invités s’intègrent parfaitement dans le disque et font varier l’intensité du récit.

Cette partie de l’album emprunte un chemin plus dansant, emplit de nappes planantes et de productions minimalistes. Ses vers agressifs et percutants se transforment en chant dans lequel ses tonalités perdent l’équilibre quand il présente sa vie amoureuse. Néanmoins, son mutisme sentimental disparaît définitivement sur « BFF », véritable morceau de rupture amoureuse alliant mélancolie à la chaleur nostalgique d’une histoire terminée.

Traversée du désert

Après avoir traversé l’enfer et la mer, le peuple hébreux arrive aux portes de la Terre Promise. Mais ces derniers perdent foi en ce nouveau pays, la colère de Dieu s’abat sur eux. Moïse et son peuple sont alors condamnés à errer dans le désert durant 40 années.

« Soigner le mal par le mal aujourd’hui j’en paie les sentences »

Prince Waly – MIROIR

Après l’accident, c’est là que commence sa traversée du désert. Les grains du sablier commencent à s’écouler de plus en plus vite et le temps qu’il reste est un combat face à la maladie. Souvent seul à déconstruire ses actes, ses regrets, ses relations, Prince Waly racontait au micro de l’ABCDR du son : « À cette époque, je me regardais et je ne reconnaissais pas la personne que je voyais dans le reflet. Je n’avais plus mes cheveux, ma moustache, j’étais amaigri ». Les derniers morceaux incarnent l’introspection la plus brute d’un homme plaqué violemment par la réalité. 

« Broke » et « Miroir » dessinent l’égo d’un homme en chute libre, bien entouré mais souvent seul face à son miroir. Prince Waly brise son reflet puis jette un regard approfondi sur chaque fragment des éclats de son être. Sur ces deux morceaux magnifiquement imbriqués l’un dans l’autre dans une performance COLORS, il puise dans des énergies difficiles à affronter. Sa créativité éteint définitivement son égo pour tendre vers une musique plus authentique, mais surtout plus belle. 

L’entourage est précieux, mais le cancer est une lutte qui se mène seul, le plus souvent chez soi. A l’image de ce plan du clip de « Walygator », la solitude a parfois tendance à nous transformer en fantôme tournant autour de la table du salon, à faire les mille-et-un pas. Les pensées inondent la boîte crânienne et s’entrechoquent sans jamais dégager une once de clarté. À quoi bon ? « Pas besoin d’encyclopédie si j’ai un doute j’en parle au vieux ». Les nuages noirs ne sont jamais éternels, l’errance non plus. Arborant souvent l’aspect décevant d’un mirage, la Terre Promise finit par se rapprocher, et ses premières lueurs éclairent le chemin de nos derniers pas.

photo clip walygator prince waly

« Je fuis les idées sombres, dans ma solitude

Les armes à feu moins que la folie tuent »

Prince Waly – miroir

Arrivée en Terre Promise / Mercy

Souvent, les accidents de la vie nous en apprennent davantage sur qui nous sommes que lorsque le fleuve reste calme. Mercy signifie la miséricorde, la grâce. Ce terme désigne la compassion ou le pardon manifesté à l’égard de quelqu’un dont on a le pouvoir de blesser ou de punir. 

Et c’est aussi le titre du dernier track de Moussa. Animé par Ford Stems et Crayon, il nous entraîne ainsi dans des chants célestes et une énergie gorgée de lumière. Avant que la mélodie ne ralentisse, Prince Waly cristallise un moment hors du temps pour s’adresser à ses auditeurs. Pour la première fois, il pose enfin les mots qui constituent son aventure : son cancer, sa lutte face à la maladie. Les notes de piano ralentissent et s’incorporent à l’émotion graduelle qui apparaît couche par couche dans nos oreilles. 

Nul n’est prophète en son pays

Quand le Seigneur est en colère, on obéit

J’voulais vivre (J’voulais vivre), j’voulais vivre (Vivre), vivre »

Prince Waly – MERCY

Aux derniers vers, le sang se glace à mesure que le volume diminue progressivement vers la fin. Le prince est parmi nous, il est enfin arrivé jusqu’à sa Terre Promise pour nous conter son histoire. L’album est un symbole d’espoir puissant pour chaque personne qui l’écoute, c’est le témoignage d’une chute libre vers les abysses, mais surtout la réincarnation la plus brillante d’un artiste sincère et authentique. 

Cette polarité entre discours personnels vulnérables et récit d’un passé sulfureux, couplés à la maîtrise des mots fait la force du disque. Prince Waly réutilise le style du storytelling et les références cinématographiques avec lesquelles il a fait ses classes sur la scène du rap français. Mais cette fois-ci, il met ces qualités au service d’une narration plus intense. L’histoire ne retient que les grandes histoires, pas les plus belles. Seul le temps nous dira jusqu’où ira Moussa. Mais il a en tout cas le potentiel pour s’affirmer comme le classique intemporel de Prince Waly.

Crédits : Fifou

C’est la foi, la détermination, et l’amour des siens qui façonnent l’histoire d’un humble survivant. Pour être un artiste, il n’est pas toujours nécessaire de composer de la musique, de peindre, de faire du cinéma ou d’écrire des livres, parfois c’est juste une façon de vivre. Il faut être attentif, se souvenir, filtrer ce que l’on voit et y répondre, participer à la vie.

Arthur Bobée

on navigue, on nage