Myth Syzer, la renaissance après quatre ans de silence

10 février : c’est à cette date que le producteur prolifique Myth Syzer a amorcé son retour sur la scène rap francophone. Poison, album de 15 morceaux aux collabs avec Realo, KAYTRANADA ou encore Arthur Teboul, risque de faire figure d’OVNI. Qu’importe : le projet, qui le voit endosser le rôle d’auteur et interprète à 100%, aura nécessité quatre ans de maturation, après une année 2018 au sommet. Entre raison et transgression des codes de l’industrie, rencontre avec un artiste aux multiples casquettes.

myth syzer
Crédits : Wokuplucid

En 2018, c’est l’un des producteurs de rap francophone les plus en vue de la décennie. Sa carrière est assurée par des prods percutantes, placées en France et aux États-Unis. Ses connexions et sa patte artistique font rêver les beatmakers. En six mois, il sort deux albums, acclamés par la critique, qui le voient poser aux côtés de Hamza, Lolo Zouaï, Ateyaba, Doc Gynéco ou encore Bonnie Banane. Son morceau « Le Code » accumule des millions de streams et inonde playlists comme radios. Les festivals se l’arrachent. Et puis, après une mixtape en 2019, c’est le blackout. Myth Syzer disparaît.

Patience, déj et Facetime

Les retrouvailles pour un entretien avec Syzer prennent du temps. Quatre ans plus tard, il aura fallu approcher son label. Attendre patiemment. Avant de le retrouver, au début d’un après-midi de février, en FaceTime. New Era Supreme Yankees sur la tête, doudoune Arcteryx sur les épaules, et médaillon Mercedes doré sur le torse, l’artiste est posé : « J’allais manger avec des potes, y’a pas de galère. » Le calme et la tranquillité font son bagou. L’occasion de revenir en douceur sur cette fameuse année 2018. « J’étais vraiment focus sur le fait de ne faire que de la musique, de la bonne musique », dévoile-t-il avec pudeur.

Le succès n’était pas calculé, et il lui aura fallu un peu de temps pour réaliser l’engouement autour de Bisous et Bisous Mortels, notamment pour « Le Code ». De s’habituer à son statut de rappeur-chanteur, relativement nouveau. Et des conséquences de cette exposition : lui qui n’était pas habitué à montrer son visage en composant des prods se retrouve à clipper auprès de ses featurings. « On me reconnaissait dans la rue », confie même le Yonnais qui, attaché à sa vie privée, a perçu ce phénomène avec anxiété.

« Est-ce que tu veux vraiment de cette vie-là ? »

« C’est bon, t’es sur le devant de la scène et tu vas devoir assumer mon pote », se remémore-t-il. Vient ensuite la prise de conscience : « Je me suis demandé : “Est-ce que tu veux vraiment de cette vie-là ? Est-ce que tu veux vraiment être sur le devant de la scène ? Tout assumer ?”  » Après réflexion, la réponse est sans appel. Myth Syzer n’y arrive plus. Ses envies de faire de la musique – lui qui compose depuis ses quinze ans – sont passées. Les questionnements sur sa vie pro et perso se multiplient. « J’avais besoin de souffler […] de prendre le temps de trouver ce que je voulais faire », déclare-t-il.

Partir pour mieux revenir ? Il l’a envisagé,tout en pensant aux conséquences d’une telle absence sur sa carrière. « Sur une carrière comme la mienne, même si elle est respectable, c’est un risque », reconnaît-il. Osant même la comparaison avec PNL, dont la musique vit extrêmement bien malgré des sorties rarissimes : « C’était aussi une manière, un peu inconsciemment, de dire aux gens : “Écoutez, on est trop habitués à avoir trop de projets trop souvent, trop de nouveaux artistes… Essayez de prendre le temps d’attendre, si vous aimez vraiment la personne.” « . Et le rappeur de rire du ridicule de la situation : “J’essayais de me dire que ce n’était pas grave de partir, que si je n’avais pas l’envie je n’avais pas à sortir quelque chose, tout simplement !”

myth syzer
Crédits : Wokuplucid

Sources au retour

Dans le même temps arrivent l’épidémie de Covid-19 et les premiers confinements. Sources de repli et d’inspiration pour certains, ces périodes d’isolement auront surtout suscité l’angoisse chez Syzer : « Quand je suis dans cet état d’esprit-là, je n’y arrive pas, je ne suis pas inspiré du tout […] j’ai besoin d’être bien dans mes baskets pour faire de la bonne musique.” Après trois mois passés seul dans son appartement, c’est décidé. “J’ai pété un câble, je suis rentré chez mes parents. » Direction La Roche-sur-Yon, en Vendée, pour la maison familiale et le jardin. Prendre l’air, refaire de la mécanique et de la moto, voir sa famille et ses potes lui auront donné l’envie d’une vie « plus simple ». Et d’un retour aux sources.

« Me poser sans penser à la musique m’a fait beaucoup de bien », concède-t-il, le regard pensif à travers la vitre de sa voiture : « La carrière, c’est bien beau, mais la vie personnelle c’est important aussi. Et j’ai eu un manque là-dessus, au regard de ma carrière. » D’où cette envie de mettre la musique de côté… avec plus ou moins de succès. « C’était toujours dans un coin de ma tête ; à cette période, j’avais simplement besoin de respirer », concède-t-il. Mais l’envie de retravailler, de retrouver la sensation de créer finit par revenir, et le pousse à retourner faire ce qu’il sait faire de mieux, selon ses propres termes. « C’est fini ces conneries-là, faire de la moto tous les jours, vivre sa vie de vacancier pendant trois ans, c’est bon quoi ! », s’esclaffe-t-il.

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Crédits : Wokuplucid

Step up

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Poison n’a pas trouvé son origine pendant ces quatre années, mais dans la continuité de Bisous et Bisous Mortels. « Je savais déjà que j’allais travailler sur autre chose, même si je n’en avais pas l’envie tout de suite », confie le rappeur. La création de certains titres atteste tout de même d’une certaine prématurité, à l’image de « Chamaille » et « Rodéo », qui étaient déjà prêts en 2018 et 2019 : « J’avais plein de tracks existants, mais je ne me sentais pas encore de faire LE projet en auteur à 100%. »

La suite se fera crescendo, au fil des mois, après un coup d’envoi début 2022. Lui qui a posé des refrains sur Bisous et Bisous Mortels – ses phrases sur « Le Code » sont en général les premières dont on se rappelle -, il était temps de se bonnifier. Une sorte de suite logique. Il manquait les couplets : c’est aujourd’hui du passé. Après le producteur et le beatmaker, Myth Syzer ajoute la casquette d’interprète à son arsenal. Et ainsi, la capacité de produire des titres « de A à Z ».

Le clip de Chamaille, extrait du dernier album de Myth Syzer, Poison.

Du neuf avec l’ancien, et d’autres ingrédients

Alors l’artiste crée, expérimente, ajoute, retire. « J’ai un peu compilé ce qu’il s’est passé dans ma vie durant ces quatre années d’absence, pour en faire un album », résume-t-il en redressant sa casquette. Une façon de dire à son public : « Vous ne m’avez pas vu pendant tout ce temps, j’ai fait ce style de track-là, le projet s’appelle Poison, il est à vous, faites-en ce que vous voulez. » Syzer profite de ses nombreuses influences musicales et, à la manière de son retour en famille, s’entoure des artistes les plus proches de lui : Ichon et Loveni, frérots de longue date et membres du crew Bon Gamin. Muddy Monk, présent sur Bisous et Bisous Mortels.

Malgré cela, le producteur s’ouvre à de nouvelles influences. Et à des collaborations plus inattendues. « J’écoute de tout, donc je pourrais mettre en feat sur un de mes morceaux rap une personne qui n’a rien à voir avec ce genre musical », appuie-t-il, à renfort de gestes de la main. À l’image de « Distance », en featuring avec le chanteur Arthur Teboul, du groupe Feu ! Chatterton. “Je ne me suis jamais dit qu’il fallait que j’aille dans leur sens”, glisse Syzer. Pour le duo avec Arthur Teboul, chacun a ramené son univers : rien d’hétérogène, mais un mélange de deux influences.

myth syzer
Crédits : Wokuplucid

“Moi je voulais flex un peu !”

Parlons-en, d’ailleurs, de ces deux collaborations. « Kaytranada et moi, on se connaît depuis la même époque à laquelle j’ai connu Joke, donc vers 2008-2009″, se remémore Syzer, main sur le menton. « Connaître c’est un grand mot. Mais on s’est rencontrés sur les réseaux, t’as capté », complète-t-il avec un regard appuyé. Les deux artistes continuent d’échanger pendant plusieurs années. La carrière du producteur, DJ et beatmaker canadien s’envole ; tandis que celle de son homologue français met plus de temps à décoller. Sans rompre ce qui sera devenu une proximité : « Il m’a invité à son Pitchfork sur Paris ; quand je suis allé à Montréal il est venu à mon DJ set… » La connexion reprend alors que le producteur prépare Poison. Un échange sur Instagram, suivi de l’envoi d’une trentaine de prods : « Celle-là [la prod de “Sunday Love Fever”, NDLR] je la trouvais grave spéciale ; elle avait un délire. »

Pour Arthur Teboul, la rencontre relève plus de l’anecdote, de l’aveu de Syzer. Le père de sa copine est fan de Feu ! Chatterton et l’écoute à fond chez lui. Cela pousse le rappeur à lancer qu’il connaît le groupe, qui le suit même sur Instagram. « Moi je voulais flex un peu !”, s’esclaffe-t-il. Sa curiosité piquée, il écoute leurs projets, prend contact avec eux, et se retrouve à proposer un featuring au chanteur du groupe. Une session studio plus tard, l’alchimie donnait « Distance », « l’un des morceaux – si ce n’est le morceau préféré » de Myth : « Le gars est adorable, ouvert d’esprit. […] Il n’était pas du tout habitué à ce genre de prod, donc je l’ai un peu briefé sur le flow chanté, un peu moins parlé. Il a foncé. »

Le titre Distance, interprété par Myth Syzer et Arthur Teboul, du groupe Feu ! Chatterton.

“Si ça te vient au naturel, c’est que tu as encore des trucs à dire”

Après une telle carrière et quatre ans d’absence, il était normal que le producteur – interprète se sente stressé à l’approche de la sortie de son album. « Est-ce que le game est pareil qu’avant ? Est-ce que les gens vont aimer ? » se demandait-il. Lui essaie de ne pas trop y penser, avoue ne pas regarder les réseaux, « sauf pour poster ». Tout en étant content, son bébé allait arriver : « C’est comme quand ta femme va accoucher, t’es heureux de ouf et tu te dis : “Bon, là ça devient sérieux quand même, t’as des responsabilités maintenant !” [rires]. »

myth syzer poison
Crédits : Wokuplucid

Mais même avec quatre ans d’écart, de nouvelles collaborations et une foule de souvenirs, il reste un vestige de Bisous et Bisous Mortels : l’amour. Un thème simple pour l’interprète qui revient presque naturellement au détour des toplines et des refrains. Lui n’a pas pensé qu’il fallait arrêter avec cela : « Je me suis dit : “Parles-en encore. Si ça te vient au naturel, c’est que tu as encore des trucs à dire”, c’est un thème qui me touche. » Mais dès qu’il se sent tourner en rond, il passe à autre chose, ce qui ne risque pas d’arriver à sa création musicale. En juin 2022, l’artiste déclarait en interview au magazine Trax : « Profitez-en, ça sera peut-être le dernier. » [au sujet de l’album Poison, NDLR].

Un an plus tard, la version a changé : « Je suis un mec qui marche au mood et au feeling. » Myth Syzer ne sait pas ce qu’il se passera demain. Par contre, il sait qu’il a des featurings en stock, « et de beaux morceaux qui vont sortir par la suite. Donc ce que j’avais dit à Trax c’est nul en fait, c’est juste que j’étais dans ce mood-là. » En pleine crise sociale autour des retraites, le Yonnais l’affirme : il continuera à travailler « jusqu’à [ses] 60 ans s’il le faut » comme producteur. Pour l’auteur, la question reste en suspens : « Je sais que j’ai encore d’autres projets à envoyer avec cette casquette. » 

Quentin-Mathéo Pihour

Le journaliste préféré de ton journaliste préféré, je tourne au Mac Miller et je bingewatch Le Code.