Isaiah Rashad, victime d’hémorragies interne

5 ans. Telles sont les années qui se sont écoulées depuis la parution de The Sun’s Tirade, le premier album de Isaiah Rashad. A présent, le rappeur du Tennessee revient sur le devant de la scène sans ambiguïté avec un second essai nommé The House is Burning.

Lorsque l’on observe un feu laissé pour compte qui est en train de danser seul, on y trouve une forme de beauté symbolique. Les contorsions des flammes et les échappées de gaz qui troublent la vision ont un semblant de poésie. Pourtant, lorsque l’on se trouve piégé entre quatre murs jaunis d’une maison en train de brûler, le stress et la palpitation nous empêchent d’émettre un avis concluant sur la chose. Car, à cet instant, votre souffle se coupe, des débris s’écrasent à quelques centimètres de votre corps, une fumée cramoisie se répand avec volonté dans toutes les pièces morcelées de l’habitacle. Ce constat peut paraître paradoxal quand on sait que le mot « feu » en latin désigne le foyer. Une situation bien étrange lorsque l’élément ne vient plus nous réchauffer ou créer un lieu de convivialité, mais plutôt détruit notre lieu de résidence. Et si la situation peut bel et bien se manifester physiquement, celle-ci peut également devenir abstraite.

Par exemple, le rappeur Isaiah Rashad empreinte cette allégorie au point de nommer son album The House is Burning et d’orner la pochette d’une esquisse venue retranscrire le titre. Cela engendre des raccords logiques, où le corps de Rashad serait la maison, et ses organes le feu. S’annoncent alors la cristallisation des tourments qui le guettent dans les lyriques et la prosodie de ce dernier. 

Drogues de synthèses en guise de camisole

« The first thing that was really scary about leaving rehab was trying to create music without drinking » déclare-t-il au média NPR lors de la promotion de son album. Ainsi rentrons-nous dans le vif du sujet quant aux soucis qui le hantent. Durant ces cinq ans où Isaiah rentre dans une période d’incubation musicale, il passe du temps à consommer des drogues diverses et à faire croître la coulée de litres d’alcool dans son estomac. Un choix qui implique de lourdes conséquences dont un séjour au fameux centre de désintoxication qu’il évoque. Ainsi récolte-il de tragiques images eidétiques afin de les déverser dans ses textes. De fait, la longue attente qui a suscité tant d’engouement et de crises de panique chez ses fans trouve sa justification dans cette tirade de près d’une heure.

« Came out bustin’, came out bustin ». Lors du refrain de « From the Garden », Isaiah effectue une épizeuxe entêtante pour souligner ce besoin constant de s’autodétruire, de s’éclater. Cela n’est pas sans rappeler ces instants juste après la session studio où des gardens party sont organisées à l’arrière des maisons pavillonnaires délabrées, de la liqueur coulant à flot pour se loger dans le foi des fêtards, car il n’est jamais question de rentrer sobre chez soi. Alors, par processus de cause à effet, Isaiah Rashad devient victime de sa propre attitude pour effectuer une descente au enfer brutale. 

Back to Tennessee

« Who wants a shot, wanna die? ». Isaiah commence le couplet de « Headshot » par un double sens inavoué : veux-tu te prendre une balle dans la tête ou bien récupérer ta dose de junkie pour à nouveau élever ta conscience vers la métaphysique ? D’un côté, la question vient dresser l’éternel constat dramatique des ghettos américains tandis que de l’autre elle souligne un aspect personnel à propos de ces fameuses addictions qui guettent l’artiste. Là encore, on comprend pourquoi ce dernier s’est absenté du label TDE, n’apparaissant que très rarement sur les projets de ses compères que sont SZA, Jay Rock ou Schoolboy Q. De ce fait, les retrouvailles se veulent d’autant plus grandiloquentes lorsque notre rappeur les invite un par un. On pense au très bon freestyle « True Story » avec Jay et Jay Worthy, figure montante de la côte californienne. Cette fable placide en tryptique décrit la vie locale de chaque interprète, allant des terres arides de la Californie à la bande rectangulaire qu’est le Tennessee, patrie initiale de Rashad. Le bitume qui borde chaque pâté de maisons dont le rappeur et ses homies écument à la recherche d’une raison d’exister, souvent ponctuée par des drames où les mères pleurent leurs défunts enfants morts dans des tueries entre gangs, se retrouve à être conté dans la prose du morceau.

Il faut dire que le Tennessee, bien qu’il soit la terre natale d’Isaiah, a souvent été obstrué à cause de l’encombrante machine californienne qu’est TDE, gommant alors peu à peu ses racines durant ses projets précédents. Alors, à l’inverse de certains afro-américains qui prônent le retour vers le continent africain, lui trouve cet équivalent au sein de son état sudiste en épousant les back up vocales du groupe légendaire Three Six Mafia ou du rappeur Project Pat

Il prouve cette envie avec un titre, le puissant « Lay With Ya » où s’invite Duke Deuce, fervent défenseur d’une trap 808 survitaminée parsemée d’une prosodie brutale qui s’harmonise avec les snares boulimiques de la production. Plus encore, « 9-3 Freestyle » prolonge l’expérience sous la pression écrasante des bases de la boite à rythme, appuyées par un refrain canonique. Ce pèlerinage en direction de Chattanooga – ville natale d’Isaiah Rashad – offre une œuvre dichotomique où s’affrontent la barbarie festive empruntée aux quartiers nord de Memphis contre la saupoudreuse couche mielleuse de RnB qui peuple une large partie de l’album.   

Chanteur RnB à la voix trouble

En effet, le rappeur n’oublie pas de proposer ce qu’il sait faire de mieux : un flirt ambigu avec le RnB. Depuis sa première mixtape Pieces of a Kid, Isaiah ne cesse d’exploiter des lignes de basses timides appuyées par la troubleté des instruments qui accompagnent son flow lancinant, quasiment translucide. Cette fragilité n’est pas sans rappeler celles des voix phosphorescentes de quelques têtes de RnB telles que Sade ou, dans une moindre mesure, Björk. Ce paramètre se remarque dans « Score », morceau à la rythmique oscillante ou encore, dans des titres plus fades, tels que « All Herb » ou « Don’t Shoot ». Ainsi The House is Burning vacille entre des coups d’épée mollassons et des hypercut magnifiquement contrôlés. Pour autant, on ne peut nier le fait que ce disque plane les angoisses et addictions du rappeur de bout en bout.

Alors s’inscrit dans cette œuvre imparfaite car ciselée un reflet exact de l’état mental de Rashad. Dans le réussi « HB2U » venu conclure l’album, une oxymore se crée dans la superposition de quelques vers. Cela commence par « You are now a human being » où il ose clamer que son esprit se voit être libéré des mantras venimeuses qui lui ont joué des tours des années durant, pour être finalement nuancé quelques vers plus tard dans cette ponctuation : « This ain’t the time of my life, but I’m still on drugs ».

Au final, la sobriété ne l’a pas totalement sauvé de ses tourments. Il est destiné à consommer une dose minimale afin de subvenir à ses besoins bourrés d’additifs. A moitié guéri dans un sens rationnel, Isaiah Rashad a toutefois peut-être trouvé l’équilibre parfait. Entre placidité d’une semaine de travail organisé digne d’un white collar et ambiance ivre du week-end qu’il choie tel un local de la Nouvelle-Orléans attendrait le carnaval de Mardi Gras.

Pour aller plus loin, explorez la quête de lumière de Brockhampton dans leur dernier projet, Roadrunner.