implaccable

Implaccable : Kè la ka bat

En avril 2022, Implaccable sortait So Vladdy, sa sixième mixtape en deux ans seulement. On y découvrait une direction artistique plus que solide, une voix posée et un emploi des samples d’une justesse à nous transporter au pays des souvenirs. Le public pouvait y ressentir une inspiration des plus grands rappeurs américains et une culture antillaise personnelle riche qui impose Implaccable en tant qu’artiste qui compte révolutionner le rap français dans les années à venir. Rencontre avec un talent qui n’a pas fini de nous faire danser. 

Crédits : Laurent Segretier

Représenter les siens

Implaccable est originaire d’Anse-Bertrand, petite commune du nord de la Guadeloupe. Il y a grandi aux côtés de ses parents et ses grands cousins. Tous l’ont immergé dans l’univers de la musique depuis le plus jeune âge : « Je me rappelle que mes parents avaient pas mal de disques. À chaque fois qu’on partait en voiture, ils en prenaient ou mettaient la radio et on chantait tous ensemble. En Guadeloupe, tout le monde reçoit un amour musical. Inconsciemment, on est tous touchés. »

« Mamie !

Je sais c’est crazy, la vitesse à laquelle Zozo grandit

Arrivé au sommet, j’prends l’drapeau d’AnzB j’le brandis

J’prends l’drapeau d’AnzB j’le brandis »

Implaccable, Drapeau d’Ansz B

Puis il y a eu l’impact de ses grands cousins, Forsay, Yawil et Ryu MC, eux-mêmes artistes reconnus en Guadeloupe : « Forsay habitait en face de chez ma grand-mère et il y avait toujours de la musique chez lui. Il m’a offert son premier projet à sa sortie et je l’ai beaucoup écouté. Je connaissais toutes les chansons par cœur, encore aujourd’hui ça revient par moment. Il m’a ouvert la voie pour me lancer dans le rap et assumer qui j’étais, car la Guadeloupe est assez stricte de ce point de vue. Il m’a permis de m’imposer et de suivre ma passion. » Si l’on écoute attentivement les projets d’Implaccable, la Guadeloupe a toujours été une inspiration pour lui. Que ce soit dans les prods, dans son écriture et même dans de rares sons en créole. Dernièrement, l’artiste a rendu hommage à son pays natal avec l’entraînante Fanny J.

Mais si l’on parle d’Implaccable, vous penserez sans doute à Jennifer Lopez. La chanteuse et superstar étasunienne a créé une isotopie dans la construction artistique du rappeur, se trouvant au cœur de nombreuses thématiques amenées par l’artiste, dont le désir profond de rendre hommage à la Guadeloupe. On peut retrouver des dédicaces la mentionnant dans ses références, les titres de ses morceaux, les lyrics, ses publications… Et même son fond d’écran. Le tout avec beaucoup d’humour.

Parce que oui, le parcours de la chanteuse a touché Implaccable. Il y retrouve des similitudes avec le sien, ou du moins celui qu’il aimerait apporter. D’origine portoricaine, la chanteuse œuvre pour la reconnaissance de son peuple depuis ses débuts. Elle s’engage pour la visibilité des Latinos dans la culture, ou plus globalement en faveur des droits des femmes. Un objectif que s’est aussi fixé le rappeur : « Le but serait de rentrer en ayant accompli de belles choses ici et de pouvoir continuer sur place. Il y a tant de choses à faire, que ce soit dans la musique, ou plus généralement pour la population. C’est un peuple riche. On a une identité plurielle car c’est un mélange d’Inde, de Syrie, de la France, des Caraïbes, de l’Afrique, des États-Unis. »

Nous avons pu, en exclusivité pour 1863, obtenir quelques clichés de sa rencontre avec Jennifer Lopez, et leur amour de longue date :

implaccable jennifer lopez
implaccable & jennifer lopez
Crédits : Implaccable Match en personne

« Même les rencontres du hasard sont dues à des liens noués dans des vies antérieures… tout est déterminé par le karma. Même pour des choses insignifiantes, le hasard n’existe pas. »

HARUKI MURAKAMI

Une affaire de TRACS

Si le rap outre-Atlantique vous est familier, alors vous avez sans doute déjà entendu le gimmick « Slatt ». Il signifie « Slime Love All The Time » ou « Slime Life All The Time ». Popularisé du côté d’Atlanta par Young Thug et son « Slime » puis par Playboi Carti avec « Slatt », ce terme est aujourd’hui omniprésent. Il lie les rappeurs entre eux tout en symbolisant l’amour des siens, de la musique, de la vie. Ce lien servira d’inspiration pour Implaccable lorsqu’il créera « TRACS »« Je voulais trouver un gimmick simple qui ferait sens pour moi. J’ai d’abord pensé à « TACNA » qui voudrait dire « Toujours Aller Chercher Notre Argent » [les noms de ses premières mixtapes TACNA 1 et TACNA 2 y sont référées, ndlr]. Mais c’était compliqué à prononcer quand je posais. Alors je l’ai changé en TRACS. J’étais encore en Guadeloupe quand j’ai développé ce gimmick. »

Son arrivée à Paris sera alors décisive. Un jour, un ami beatmaker souhaite lui présenter quelqu’un dont il est certain de la fusion avec Implaccable : Ricky Bishop. Originaire de Madagascar, Ricky a vécu en Guadeloupe et à Mayotte. Au fil des sessions studio, un lien se crée entre eux, les deux rappeurs se retrouvent l’un en l’autre. Ils sortiront le morceau commun « Dex » en août 2020 pour cristalliser cette connexion, tout naturellement.

Quelques mois plus tard, ils se voient désormais quotidiennement et cette rencontre transforme Implaccable : « En une soirée, on pouvait faire quatre ou cinq sons. C’était fascinant. Il m’a énormément apporté, c’est grâce à lui que j’ai gagné confiance en moi. » Ricky lui présente ensuite les Vivis (collectif Jeunes Visionnaires), Dirty Bastard, designer de Piece of shit, Twizzy Cinco et Chucky : « Même si TRACS ne représente pas seulement ce crew, mais aussi tout ce qu’on peut aimer, nous sommes liés. Nous nous tirons tous ensemble. » La suite vous la connaissez déjà. Les prestations s’enchaînent, les scènes sont marquantes. Implaccable a fait sa place en tant que performeur de renom. Une affaire de TRACS…

Crédits : Laurent Segretier

« J’imagine le sample comme un moyen de retourner dans le passé, de se rappeler de nos enfances mais aussi pour s’inspirer de mes anciennes écoutes pour les remettre au goût du jour. »

Le long chemin pour se trouver

Au final, la musique a toujours accompagné de près de ou de loin Implaccable. Que ce soit dans son enfance ou étant adolescent : « Dans les anciens projets de La Fouine, il y avait souvent une courte période d’instru à la fin des morceaux. C’est comme ça que j’ai essayé de poser pour la première fois. »

Au collège, il installe Garage Band et Voloco sur son téléphone et compose ses premiers sons. Ce sont des logiciels dont il se sert encore, car finalement il a juste envie de « faire les choses » [Steve Lacy en parlait dans son TedTalk après avoir composé un album sur son téléphone, ndlr] : « J’ai toujours aimé le lifestyle des rappeurs. À mes yeux, ça donne l’image de ne pas avoir de problèmes, d’avoir confiance en soi, d’être libre. Comme mode de vie, ça n’a pas été le plus simple à construire. J’ai longtemps été quelqu’un de nature réservée. Je n’aime pas avoir les projecteurs sur moi, ça m’a surpris le succès de la scène. Mais peu importe ce à quoi ma vie allait ressembler, je sais que tout me ramène à la musique. »

Crédits : Laurent Segretier

Souvent rapprochée à la jersey, courant particulièrement présent dans l’Hexagone en 2022, sa discographie démontre pourtant des inspirations variées. Des rythmiques antillaises traditionnelles à la drill, la trap et même des mélodies pop, l’identité plurielle de la Guadeloupe se ressent dans ses projets. S’il écoute Shawny Binladen [principale influence pour So Vladdy, ndlr], Four50, B-lovee ou Kay Flock, il est également inspiré par ce que nous écoutions tous en 2012. C’est ce qui fait sa force aujourd’hui. Il joue de nos souvenirs pour les réactualiser avec les courants rap actuels : « J’ai samplé des classiques de la Guadeloupe, des musiques qui m’ont touché. C’est devenu propre à mon ADN. Maintenant, des beatmakers m’envoient des samples de leurs classiques. Si j’en sélectionne un, c’est qu’il y a un sentiment ou un lien avec le son original. J’ai même pensé à sampler « Baby » de Justin Bieber. »

Pour Implaccable, être artiste c’est aussi être curieux de tout. Il est essentiel de construire son identité par la découverte de l’art des autres : « J’aime voir des expositions. Mais c’est un processus sur le long terme. Par exemple, si je vois un gros carré rouge, je ne vais pas me poser et écrire un texte. C’est plus abstrait. Quelques jours plus tard, en posant au studio, c’est possible qu’une image, un mot ou un son me rappelle ce que j’ai vu et m’inspire pour le morceau que je compose. »

En parallèle de ces inspirations visuelles, le rappeur met un point d’honneur sur la redécouverte du plaisir de la lecture, un art qui serait similaire à celui d’écrire ses propres textes : « J’ai redécouvert la lecture il y a quelques temps. Je suis tombé sur un livre de Haruki Murakami et ça a été une révélation. Déjà, je me suis rendu compte que je passais plus de temps sur mon téléphone que ce que je pensais. Puis la lecture est vraiment inspirante pour écrire soi-même. Dans un sens, les phrases d’un auteur sont ses propres punchlines : il y a un rythme, un style. »

implaccable exposition
Crédits : Laurent Segretier

Cette soif de connaissance est aussi un moyen pour préserver son indépendance car Implaccable gère seul sa carrière. À ses yeux, cette absence d’accompagnement traditionnel rime avec liberté, lui permettant de continuer de créer comme il l’entend : « Quand certains artistes se lancent, ils préfèrent investir leur argent en espérant être remarqué. Je ne pense pas que ce soit une bonne stratégie. Si on parle de toi, c’est parce que tu as apporté quelque chose de concret. Le plus important est d’investir dans un studio et du matériel pour rechercher ce qui fera ta différence. »

Pour conclure l’année en TRACS, Implaccable a d’ailleurs fait son retour le 26 décembre dernier avec un projet toujours aussi marqué par la jersey drill et le sample : Pour Yis <3. Il y apporte toutefois une nouvelle thématique : l’amour envers sa mystérieuse « tracs bitch », Yis. Alors, dans l’espoir de le découvrir un jour sur la programmation du All Day In festival sur la plage du Moule en Guadeloupe, découvrons les nouvelles facettes d’un artiste… qui n’a pas fini de nous faire danser. 


Alissa Polonskaya

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