Varnish La Piscine : de l’oreille à l’écran

Varnish La Piscine brise les barrières des différents arts pour dévoiler son nouvel univers créatif. Avec CE LAC A DU SUCCÈS, il crée les contours de sa nouvelle histoire qui détourne les formes traditionnelles du cinéma, quand THIS LAKE IS SUCCESSFUL maquille ces nouveaux contes d’une bande originale à la croisée des genres.

varnish cover this lake is successful
Crédits : Rémi Besse

S’ il n’est plus à présenter, Varnish La Piscine peint les esquisses d’une nouvelle page de son histoire. On ne compte plus ses différentes casquettes : interprète, compositeur, réalisateur et surtout, penseur de contes presque épicurien. Le membre de la SuperWak Clique est de retour depuis quelques temps dans un nouveau processus créatif. Maître à penser de son précédent métrage Les Contes de Cockatoo en 2020, et de son album Le Regard Qui Tue défini par lui-même comme un film auditif, le rappeur suisse signe en avril 2021 avec le mythique label Ed Banger. Par où commencer…

L’industrie musicale est en constante évolution. L’une de ses variables essentielles réside dans la production à l’image. Avant d’être un moyen de promotion, c’est la couverture d’un produit destiné à être vendu, mais surtout, c’est une extension de l’univers musical et artistique des artistes. S’l s’agit d’un canal d’expression qui coûte de l’argent, il permet de déployer au mieux une création sans limite qui voit ses barrières de plus en plus fragiles.

Varnish La Piscine lui, a assimilé tout ça. Son attrait pour le cinéma le pousse à se servir de sa musique pour raconter les histoires qui s’empilent sans cesse dans un coin de ses pensées. Si bien qu’aujourd’hui, il n’existe plus vraiment de frontière au sein de son personnage. Ce n’est plus l’image qui sert la musique, ni la musique qui sert l’image, ce n’est plus vraiment important. Ce qui compte, ce sont les histoires qu’on raconte, de quelles manières, et les souvenirs qu’elles nous laissent.

CE LAC A DU SUCCÈS : LA SÉRIE

L’aventure de Varnish La Piscine dans son nouveau label démarre par quelques vidéos promotionnelles et une nouvelle série audiovisuelles de 4 épisodes nommés : CE LAC A DU SUCCÈS. Il conte ici l’histoire de M. Amaury Lefèvre, plus grand marin-pêcheur de l’Histoire, connu pour trouver des poissons aux propriétés magiques. Il semble avoir pêché le poisson ultime, détenant en sa possession un pouvoir surnaturel qui pourrait changer le monde. Mais pas le temps de finir le premier épisode que ce dernier est victime d’un meurtre. Sa compagnie Spinel Fly Fishing, référence numéro 1 en pêche, lui cherche alors un remplaçant. C’est ainsi qu’Abraham Finlay, interprété par Varnish lui-même, arrive dans l’équipage.

Varnish et le réalisateur Rémi Damino dessinent alors un environnement largement inspiré des films d’Alfred Hitchcock et Wes Anderson qu’on retrouve particulièrement dans la colorimétrie très pastel des images. « Je suis quelqu’un de très nostalgique » racontait-il dans son entretien avec Mehdi Maïzi. Effectivement, ce sentiment se dégage de l’univers de la série. On a parfois la sensation de regarder un vieux film des années 90′ qui s’entremêle à de la science-fiction loufoque. Les dialogues sont remplis de répliques excentriques. On retrouve les personnages dans des vieilles voitures, appareillés de paires de J.M. Weston ou de blouse de travail Carhartt.

Ces protagonistes incarnés par Rounhaa, Ike Ortiz, De Wolph ou encore Rico the Kid prennent vie dans les paysages suisses montagneux et les grandes étendues d’eau. Il est alors facile d’établir un lien ne serait-ce que visuel avec le dernier album de Tyler, The Creator, CALL ME IF YOU GET LOST, lui-même inspiré de ces mêmes paysages dans la direction artistique à l’image. Je ne me tenterai pas à spoiler tous les épisodes, prenez soin d’aller les regarder, mais une mystérieuse intrigue fantaisiste est mise en place. Quel pouvoir cachait le poisson ultime d’Amaury Lefèvre ? Qui est-il et quelles sont réellement les intentions de son meurtrier ? Comment Abraham Finlay va t-il s’en sortir ? Et tant d’énigmes qui ne trouveront peut-être pas directement de réponse…

photo ce lac a du succès série

CE LAC A DU SUCCÈS est finalement une extension cinématographique de l’univers nostalgique et fantasque qui s’échappe sans limite de la boîte crânienne de Varnish. Évidemment, la bande originale de la série est l’élément central, accentuant l’immersion évasive de cette comédie dramatique. Elle introduit aussi la couleur du projet, via des boucles sonores et des bouts de morceaux. Finalement, cette série n’a pas réellement la volonté de raconter une histoire traditionnelle reposant sur des schémas classiques de construction d’un scénario. L’univers de CE LAC A DU SUCCÈS est davantage énigmatique, mystérieux et bizarre, tout en s’imbriquant avec la musique pour former une œuvre entière.

THIS LAKE IS SUCCESSFUL : LA MUSIQUE

Tout juste un mois après le dernier épisode de la série, la bande originale qui l’accompagne débarque enfin dans nos écouteurs. Durant 7 titres, Varnish La Piscine dévoile toutes les facettes de sa virtuosité de compositeur. Le projet jouit d’un éclectisme total. On y retrouve évidemment des influences hip-hop, mais le rappeur fouille dans des mélodies plus pop, des rythmes de bossa nova mâtinées de synthétiseurs rétro. Cette production feutrée presque Dance Band vient appuyer des couplets et refrains chantés qui côtoient la douceur du R&B.

Dès l’écoute de « NUBIAN FARLOW », les sonorités insulaires du morceau nous font regagner en tête les images de la série comme une comédie musicale. Fermez les yeux et retrouvez-vous directement au milieu du lac de Genève à bord du bateau de pêche de l’équipage d’Abraham Finlay. « QUARTZ FREESTYLE » nous rappelle cette bagarre d’une violence presque burlesque qu’offrait le 3e épisode pour teaser le morceau. Cet extrait dévoile d’ailleurs une facette plus en retrait de Varnish, celle d’un rap incisif sur des sonorités lugubres.

L’album propose également quelques détours anglophones, notamment grâce au couplet de Snubnose Frankenstein, aussi brillant que nébuleux. Rico TK prête aussi sa voix et accompagne les refrains de « RING ISLAND », titre qui fait directement référence au jeu-vidéo Sonic the Hedgehog. La production funk rétro serait même capable de remplacer le thème sonore de Green Hill, mythique zone du hérisson bleu, remplie de palmiers, de rings et de loopings.

On ressent la patte de toutes ses influences telles que Stereolab, L’éclair ou encore Les Baxter dans les mélodies exotiques. Il emprunte parfois les contours de sonorités jazz-funk sur des morceaux comme « CEVICHE » et au groove cinétique de « NUVOJOB », bien accompagné par son frère de toujours, Makala. Le disque se conclut avec l’excellent « BYE BYE FOREVER » qui nous replonge dans la chaleur nostalgique de la série. Au fil de l’écoute, on a souvent l’impression que cette musique aussi évasive qu’implicite raconte subtilement ce que la série ne nous a pas encore dit.

L’EP dégage une authenticité brute à travers des productions éthérées et une interprétation exceptionnelle. L’artiste genevois lâche totalement prise sur ce court opus. Il donne envie de s’allonger au bord d’un courant d’eau et de s’exposer aux puissants rayons du soleil qui donne l’impression que tout paraît flou autour de nous.

SUCCÈS SANS CONCESSION

Pour célébrer la sortie du projet, l’artiste nous a offert un ciné-concert à Paris. Le projet cinématographique et phonographique a alors pris tout son sens durant une séance hors du temps. Varnish nous réserve le visionnage intégral de la série et interprète directement les morceaux avec son orchestre durant les entractes.

Difficile de passer à côté. On a tous vu Pharrell Williams se balader avec le vinyle du projet sous le bras. Sans parler de Tyler qui n’a cessé de s’exclamer durant le roll-out du projet sur ses réseaux sociaux. Cette validation de ses pairs idolâtrés est une victoire pour la figure de proue de tout un mouvement musical suisse. La musique de Varnish La Piscine, et plus largement de la SuperWak Clique, dégage tout l’amour fraternel qui règne au sein de cette équipe.

C’est la belle histoire : une bande de potes de Genève qui mettent des années à découvrir, créer, assimiler, produire une musique et un univers visuel unique validé par le légendaire Neptunien Pharrell Williams. Des gamins issus de l’underground qui finissent par rencontrer et travailler avec leurs plus grands modèles. C’est finalement une musique sans compromis artistique qui finit par porter ses fruits. Elle célèbre la victoire d’un mouvement, d’une vision qui échappe aux règles cruelles d’une industrie de plus en plus formatée.

On se laisse ici avec ce cliché, sans spéculation collaborative entre ces trois hommes. Contemplons juste ce moment historique pour cette scène qui nous réserve à chaque fois des surprises. Ce lac est effectivement plein de succès.

Arthur Bobée

on navigue, on nage